Peinture du Japon d'après-guerre sans concession
Se déroulant dans le Japon d'après guerre alors en pleine reconstruction matérielle et sociale,
Rivière Noire dépeint comme Kurosawa l'avait fait avec
L'Ange Ivre une société à la ruine. Chez Kobayashi, cette société est menée par une poignée de voyous maîtres du marché du sexe et de l'argent sal avec à leur tête Jo, être criminel, manipulateur et misogyne. Si
Rivière Noire est un film signé Kobayashi, reconnaître son style unique qu'il développera au cours des années 60 n'est pas des plus faciles. Il se concentre davantage sur la gravité du fond plutôt que de miser sur une forme esthétisée à outrance -dans le bon sens du terme qui fera bien sûr sa réputation auprès des festivals. Mais Kobayashi n'est pas qu'un simple réalisateur pour festival, bien au contraire, il fait ici preuve d'un ton volontairement contestataire et critique à la fois sur son pays incapable de relever la tête correctement et encore sous l'occupation américaine. Les américains sont d'ailleurs montrés comme des êtres avides de sexe et de plaisirs faciles, quitte même à tomber dans la terreur en imposant leurs lois et coutumes, mais caractérisés comme de simples enfants lorsqu'une femme de mauvaise vie leur font une avance qu'ils ne peuvent -bien entendu- pas refuser. Il est d'ailleurs intéressant de voir que Kobayashi ne choisit pas son camp lorsqu'il est question de synthétiser la société dans laquelle évoluent les personnages. Tous dans le fond masquent une gêne : Jo (Nakadai Tatsuya), malgré son physique de beau gosse, ne peut s'empêcher de passer au viol car incapable de montrer de bons sentiments face aux femmes, la propriétaire de la pension est raciste et ne cache pas ses idées politiques, une femme quémande le sang d'autrui pour son mari souffrant alors que le sang de cette dernière est compatible, Nishida (Watanabe Fumio) incarne un héros aux antipodes de la virilité et du courage d'un samouraï et la belle Shizuko (admirable Arima Ineko) est incapable de gérer ses sentiments, créant un conflit entre Nishida et Jo.
Aucun ne produit le véritable effort pour améliorer une situation fort délicate. La propriétaire de la pension du quartier malfamé souhaite la vendre et de surcroît, obliger un jour ou l'autre ses -pauvres- occupants à partir se chercher un toit ailleurs et se combler de dettes. A force de manquer de moyens, l'argent semble substituer toute forme d'humanisme quelconque, rendant ses principaux intéressés obnubilés par le gain sous toutes ses formes. Les ouvriers semblent aussi aux abonnés absents puisque la démolition est orchestrée par Jo et sa bande de yakuza, payés aussi pour évacuer la pension. Il subsiste heureusement des âmes pures dans ce contexte bien sombre : Nishida représente l'une des rares formes d'optimisme à la fois par ses ambitions et son sérieux, à peine entaché par les sentiments perdus d'une Shizuko. Deuxième collaboration entre Nakadai Tatsuya et Kobayashi (que l'on avait pu voir dans La Pièce aux murs épais), le jeune acteur arrive à démontrer par son regard et ses actes inhumains toute la rage et le déséquilibre total de la société dans laquelle il vit. Kobayashi parvient d'ailleurs à articuler son histoire autour du personnage de Jo, pour tomber dans la tragédie la plus totale en fin de métrage. Cette fin énigmatique est à double tranchant car Kobayashi réussit à instaurer le doute sur les sentiments de Shizuko envers Nishida, dans un final brut exempt de happy end et ne nous renseigne pas davantage sur le sort réservé aux occupants de la pension. Cette volonté de laisser le spectateur dans le doute est à la fois une force et une faiblesse. La force réside dans la mise en scène spectaculaire et mélodramatique de cette séquence de fin, où l'ombrelle (volée par Nakadai en début de métrage) se retrouve cette fois-ci abandonnée dans la rue, tous comme les sentiments de Shizuko qui semblent aussi être à l'abandon. On n'en dira pas plus sur Rivière Noire, qui est en quelque sorte le Dodeskaden de son auteur option yakuza et sans une seule once d'ironie.