Il y a quelque chose de pourri au royaume de Jiabo
Le génie des écrits de William Shakespeare (ou de ses "nègres" en vue de la qualité variable et foison des textes…) est d'avoir su écrire des histoires universelles et intemporelles. Innombrables les adaptations cinématographiques, télévisuelles et théâtrales au cours des décennies de la totalité de ses œuvres, depuis celles de Kenneth Brannagh, Baz Luhrman jusqu'à la récente version hype et hip hop, "O". Pourtant voir le grandiose "Hamlet" transposé dans les hauteurs himalayennes a quelque chose de mythique.
Et la production est incontestablement à la hauteur: le scénario reprend la plupart des dialogues (en tibétain, siouplait), tout en y ajoutant quelques touches inédites; les costumes et décors sont d'une beauté absolument inédite (et devraient être passés en boucle à Zhang Yimou et son équipe de "La cité interdite") et les paysages…les paysages…sont mon-stru-eux de beauté !!!
Sherwood Wu est inspiré et sa mise en scène transpire le génie d'un Kurosawa ou d'un David Lean à plus d'un moment…notamment au cours de quelques batailles mythiques. La scène de l'accouchement dans l'eau est l'un des plus beaux moments cinématographiques de toute ma vie (une femme s'allonge dans l'eau; un filet de sang teinte lentement la rivière. La camera recule, recule, recule jusqu'à dévoiler le nouveau-né en train d'être emporté par un courant bleu rougeâtre et juste avant le changement de plan, on le voit bouger…à donner la chair de poule, surtout sur un grand écran !!).
Qu'est-ce qui ne va pas pour que le spectacle ne se transforme pas en un chef-d'œuvre ultime ? Justement, toute la grandeur de la production au détriment des valeurs humaines. Un comble pour un scénario avant tout porté sur la psychologie humaine. La prestation paraît bien trop théâtral, comme si l'ensemble était une énorme représentation dans foison de décors. La beauté de l'ensemble est glaçante et n'implique jamais émotionnellement son audience. L'histoire roule à cent à l'heures, le montage se fait parfois elliptique et à moins de connaître l'histoire originale (et encore…), le spectateur risque fort d'être largué à plus d'une reprise. Des séquences musicales (une récurrente dans les grosses productions chinoises en ce moment, avec le récent "Ganglamedo") inutiles tombent comme de cheveux dans une soupe, sans rien apporter à l'intrigue, déjà suffisamment confuse. Et par d'autres moments, l'action se traîne lamentablement.
Le spectateur reste à la surface des choses, comme à regarder passer des beautés glacées lors d'un défilé de mode; des mannequins, qui ne servent que comme le portemanteau d'une pièce (de Shakespeare) bien plus belle à regarder.