Une très belle promesse tenue
Après avoir été snobée par le bureau de censure chinois en 2007 pour Lost in Beijing, lequel traitait de thématiques pas franchement bien glorifiantes pour le cinéma chinois –et le Pékin pré-JO, la réalisatrice Li Yu n’a, semble t-il, pas perdu de sa force. Sans faire preuve de la même charge provocatrice que son précédent, Buddha Mountain et son caractère trasho-bouddhiste est la plus belle des réponses de la cinéaste aux censeurs, présentant une copie remarquable qu’il ne faudrait pas manquer sous peine de passer devant ce qui représente le meilleur du cinéma chinois de ce début d’année 2011.
A l’heure où l’industrie du cinéma chinois présente un visage de plus en plus désuet, calqué sur son homologue américain (auquel il reprend par exemple cette année le What Women Want starring Andy Lau et Gong Li) pour ce qui est de renflouer les caisses avec des sujets exempts de prises de risques, ou produisant systématiquement ces films de capes et d’épées certains d’attirer les foules notamment pour leurs têtes d’affiche trois étoiles et leur aspect folklorique, voilà que comme sortie de l’ombre, l’une des cinéastes les plus importantes de cette génération - aux côtés des Wang Bing, Wang Chao et Lou Ye – trouve sa place et ses sujets. A l’image des réalisateurs précédemment cités, Li Yu expose la Chine, sa Chine, celle qu’elle capte d’un regard, d’un mouvement de caméra soulignant le caractère et les états d’âme de ses personnages. Buddha Mountain n’a rien de serein, il est le film de l’urgence, de personnages vivant vite au jour le jour, préférant délaisser les études (c'est-à-dire aller à l’encontre du droit chemin pour être plus précis et en marge avec certaines valeurs locales) pour le changement. Ils incarnent à eux trois cette envie de liberté, tout de suite, maintenant. Et pour incarner ces personnages, une très grande Fan Bingbing, et deux opposés pourtant complémentaires en la personne de Wilson Chen et Fei Long, nouveau venu formidable de naturel.
Li Yu ancre son récit dans une réalité toute contemporaine, avec en filigrane les échos du tremblement de terre du Sichuan qui résonnent encore dans la tête de Mme Chang, quinquagénaire, bouleversée au point d’en être malade, par la mort de son fils. Li Yu convoque alors le réel et l’imaginaire, en parsemant son intrigue d’ellipses conférant au film des allures d’étrange rêve éveillé. Ou de cauchemar, c’est selon. Cauchemar que la cinéaste inscrit sous forme de pulsions morbides (la tentative de suicide de Mme Chang), de traces de souvenir (une photo, une voiture abîmée). Buddha Mountain est aussi le film de l’union, d’une force, brisée lorsque ses éléments sont séparés. Film fragile, à l’image de ses héros et héroïnes d’un temps, tous sur la route du Sichuan pour reconstruire ce qui se trouve sur la fameuse montagne du Bouddha, et surtout se reconstruire eux-mêmes. Et sous sa belle symbolique bouddhique, l’après-reconstruction permettra aux principaux acteurs de partir l’esprit serein, comme libérés d’un fardeau invisible mais bien présent, chacun à leur manière.
Merveilleusement capté par le chef opérateur de Lou Ye, le parcours chaotique mais toujours solide du quatuor émeut lorsqu’il ne touche pas en plein cœur. La tentative de suicide de Mme Chang démontre à quel point l’attachement à un être peut être important pour la suite, pour mener ce combat au quotidien qui aboutira à une meilleure connaissance de soi-même et de ses propres sentiments. Car on aborde beaucoup de choses dans Buddha Mountain, la relation père-fils après le deuil d’une mère un peu trop laissée seule, père-fille avec une Fan Bingbing désemparée par l’attitude de son père alcoolique, et mère-fils avec une Mme Chang au départ incapable de faire le deuil de la mort de son fils, allant jusqu’à revivre les derniers instants du défunt à bord du véhicule qui l’a tué lors du tremblement de terre. Mais c’est ce beau combat à quatre qui touche le plus, où tous les opposés se rejoignent pour ne former qu’un, qu’une seule entité forte, capable de résister à tout, même aux plus forts des séismes.
Le très haut du panier du cinéma chinois.
Belle claque
"Buddha mountain" est une œuvre "casse gueule" qui aurait pu tomber dans l'excès de pathos sirupeux si toutes les "planètes" n'avaient pas étés alignés. Le ton d'une justesse bouleversante (et pas seulement dans le drame avec la présence de quelques touches d'humour au début), le script que je qualifierai de "naturel" et le casting attachant et talentueux au possible rend ce film précieux et simplement beau.
23 juillet 2020
par
A-b-a
Mission évasion
Petit à petit, Li Yu se construit une très jolie petite carrière de réalisatrice majeure au sein du jeune cinéma indépendant et il n'en faudra sans doute pas beaucoup plus pour s'imposer rapidement comme artiste majeure au cours des grands festivals internationaux – pour le meilleur et – peut-être pour le pire – d'ailleurs.
L'interdiction de tourner suite à son "trop osé" Lost in Beijing" aurait pu lui enlever du vent en poupe; mais il n'en est rien avec l'extraordinaire portrait de trois jeunes "marginaux", qui vont permettre à une femme en deuil de renouer avec la vie, tandis qu'eux vont gagner en maturité. Ca pourrait paraître rebutant sur papier, donner lieu à un drame intimiste austère et / ou mièvre, mais ça respire – au contraire – vie et bonheur.
Tout y est juste, depuis le portrait de l'entre-deux âges, en passant par des effets stylés sans être clinquants et cet extraordinaire portrait de femme au bout de rouleau, une fois de plus brillamment interprété par l'actrice-réalisatrice Sylvia Chang.
Une seule scène incarne tout l'esprit de ce film: les trois jeunes, qui vont sauter, sans se faire repérer, dans un wagon de marchandise pour déambuler vers une destination inconnue. Grande "aventure" pour eux, durant laquelle ils auront l'impression d'avoir "enfreint les règles et les lois", leur parcours est pourtant parfaitement tracé, sur des rails et vers une destination programmée d'avance par le chauffeur du train…Comme quoi, c'est plutôt notre imagination, qui crée le pouvoir "d'évasion", plutôt que nos actes en eux-mêmes…
Une nouvelle étape très, très intéressante également dans la jeune carrière d'une Fan Bing Bing très réfléchie, qui a porté ce projet à bout de bras au sein de sa propre société de production "Fan Bing Bing Workshop" par laquelle elle semble clairement viser le marché international…Son interprétation est assurément l'une des toutes meilleures sous l'œil attentive de Li Yu.
Il y a juste la mini-romance entre deux personnages, qui est totalement superflue.