Kim Ki-duk s'essouffle...
La géniale concision de la mise en scène de Kim Ki-duk et la redoutable efficacité de son montage ne suffisent hélas plus à masquer un manque d'inspiration que l'on espérait être passager. Las, le cinéaste sud-coréen s'enferme à nouveau dans une répétition grossière des figures de ses précédentes œuvres et livre un film techniquement moyen. Les dix dernières minutes du film, complètement bâclées, relèvent clairement du foutage de gueule. Ou d'un manque de motivation pour le moins inquiétant.
Souffle, pour faire joli...
Souffle n'est pas une nouvelle étape dans la filmographie de Kim Ki-Duk, son dernier né n'est qu'un renouvellement des recettes déjà étudiées par son auteur au fil des années, surtout depuis le succès critique et festivalier d'un
Printemps, Eté, Automne, Hiver... et Printemps intéressant et d'une belle beauté plastique. Si Kim Ki-Duk semble s'être assagi depuis son dernier
Time, plutôt rentre-dedans, il parvient avec
Souffle à définir son cinéma avec davantage de symboliques plus ou moins fines, la faute à un manque de véritable "souffle" narratif, où les séquences semblent s'enchaîner sans véritable ordre et dont le but est de mettre en avant un cinéaste qui aime expérimenter ses scénarii sans faire preuve d'une véritable cohérence. Le cinéma de Kim Ki-Duk n'a pas besoin de cohérence pour exister, il vit par ses audaces de ton et de narration, par ses partis pris formels et narratifs audacieux mais très souvent hermétiques. On accroche ou pas, on est transporté ou pas, le juste milieu chez Kim Ki-Duk fait naître l'ennuie, et il n'y a pas pire que de trouver un film de Kim Ki-Duk "moyen".
Souffle fait hélas partie de cette catégorie, le cinéaste semblant tourner en rond depuis
Time, comme si il ressentait un besoin vital de tirer sur sa société, sur ses principaux acteurs, des gens normaux certes mais qui se laissent peu à peu aller vers les profondeurs de la routine. C'est le cas de Jin et de son mari. La première passe son temps devant la télévision et néglige sa fille, tandis que son mari la trompe. Malaise. La situation ne s'arrange pas depuis que Jin éprouve un certain intérêt face au sort réservé à Jin, condamné à mort pour avoir tué sa femme et ses deux enfants pour des raisons inexpliquées, qu'elle suit pas à pas depuis les chaînes d'informations, un évènement suivi de près puisque le condamné repousse toujours l'échéance par ses tentatives de suicide à la brosse à dent. Elle décide un beau jour de lui rendre visite.
Confrontation des rapports humains, scènes de ménage sitcomiennes et dialogues navrants plombent les ambitions de Souffle. Mais a t-il vraiment des ambitions? Le cinéaste ne prendrait-il pas un malin plaisir à se filmer, à se regarder filmer? Userait-il des ficelles déjà bien usées pour iconiser son cinéma? Les nombreuses séquences impliquant un miroir rappellent Time, le directeur de la prison (interprété par Kim Ki-Duk) fait tout droit penser à Han-Ki de Bad Guy pour son côté voyeur et joueur, cette femme muette devant son mari évoque ô combien les femmes tourmentées de son cinéma passé, Ha Jung-Woo en sang semble être un copycat de son personnage ensanglanté lors d'une séquence sévère de Time, encore et toujours. La liste serait encore longue et ne ferait que confirmer le manque de renouvellement du brillant metteur en scène de Locataires qui semble emprunter un nouveau chemin depuis l'année dernière. Et si encore le problème de Souffle ne s'arrêtait qu'aux influences grossières, mais non. Le casting, minimaliste malgré la présence de Chang Chen, ne semble pas bien impliqué ou alors mal adapté. Park Ji-A joue de son image dépressive pour asseoir son charisme, et si son jeu halluciné en fin de métrage effraie, elle semble dormir tout au long du métrage. Chang Chen travaille son personnage muet avec une certaine classe mais certains gros plans ne lui rendent pas honneur, avec ou sans bouée de sauvetage sur les épaules. Voir Francis NG pour un cas à peu près similaire lorsque ce dernier joue des rôles "difficiles". Ce n'est pas de leur faute mais une mauvaise direction peut faire naître du comique involontaire, un comique qui ne va pas si bien à Souffle car son emploi reste trop anecdotique : les séquences de karaoké en prison sont toujours sur le fil du naufrage artistique et l'on se plait, à vrai dire, de voir Park Ji-A pousser la chansonnette avec une fausseté déconcertante. Mais cette fausseté crée le malaise, donc un plus non négligeable quant à la crédibilité de Souffle, qui ne l'oublions pas, reste un véritable drame malgré ses rayons de soleil "pop ringard" sensés déstabiliser le spectateur.
Pestons aussi contre le manque de propos du cinéaste, obnubilé à créer un univers fantastique pour vivre et faire passer outre sa répétitivité : Jin et jalousé par son compagnon de prison homosexuel, répète les tentatives de suicide à la brosse à dent (toutes filmées en hors champ avec éclaboussures sur le visage d'un de ses compagnons atterré), use de travellings répétitifs pour balayer cette minuscule cellule décorée par des gravures érotiques sur pierre, sa caméra ne semble plus aussi innovante qu'avant malgré quelques choix artistiques intéressants (Ji-A filmée depuis son balcon fait tout droit penser à de la peinture expressionniste de par ses choix de couleurs et le positionnement des statues). Les scènes en appartement manquent hélas de variété et le montage n'aide pas. Le spectateur fan de Kim Ki-Duk s'étonnera toujours de voir ces scènes de maltraitance non simulées, ce goût prononcé par l'alliage de "poésie" et de "macabre", le voyeurisme sadique exacerbé qui s'allège au fur et à mesure que le film avance (le directeur de prison empêchant le moindre baisé en début de métrage pour finalement laisser les deux êtres faire l'amour au parloir), comme si chacun trouvait un sens à cette complicité montante entre Jin et Ji-A, même le mari de cette dernière, désireux de retrouver une nouvelle vie, désireux de repartir sur de nouvelles bases. Un constat hélas déjà vu chez Kim Ki-Duk depuis The Birdcage Inn : on a fait une connerie, mais ce n'est pas grave. Un peu facile, et le film de se terminer sur un ultime plan carcéral aux influences Tsai Ming-Liang, tragique, artistiquement inexplicable.