Interview Keiichi Hara : à propos de Coo...

Réalisateur inconnu chez nous au moment de la sortie (septembre 2008) d'un Été avec Coo, Keiichi Hara trainait pourtant déjà derrière lui 20 années de carrière plus quelques beaux succès critiques et box-office avec les films de la franchise Crayon Shin-Chan, un personnage très populaire au Japon mais dont l'univers et l'humour n'en fait pas nécessairement un candidat de choix à l'export, comme s'en est probablement déjà rendu compte l'éditeur français du manga original (et pourtant, certains des films ont tout simplement l'air hilarant avec des séquences bien anthologiques). Coo a donc été le ticket à l'international pour Hara tout en lui permettant de passer du statut de "faiseur" doué au service de l'univers d'un autre, d'un studio et d'une licence, à celui "d'auteur". Tout un apprentissage (bonifié avec son dernier long, Colorful ) que le réalisateur, de passage à Paris en 2008 un peu avant la sortie de son film, avait bien voulu évoquer à l'occasion de cette interview.


 
                                                                

Après avoir caressé l'idée de ce film sur une vingtaine d'année, maintenant qu'il est fait et fini, sorti et visible par un public, qu'éprouvez-vous ?



Keiichi Hara : Ce projet de film m'a effectivement occupé pendant vingt ans et le premier sentiment à le voir fini c'est avant tout la satisfaction, la joie d'avoir terminé ce film que je désirais tant réaliser. Et en même temps il y a aussi un certain vide, le sentiment d'avoir perdu quelque chose d'important vu la place qu'occupait ce projet dans mon coeur, une certaine nostalgie...



Avez-vous le sentiment d'avoir appris quelque chose en tant que réalisateur avec ce film qui est le premier sur une idée entièrement à vous, dans un univers inédit par rapport à vos précédents travaux qui se situaient dans le cadre de « franchises » connues (Crayon Shin-Chan, Doraemon...) ?



Je ne sais pas si ça répond exactement à votre question, mais ce que j'ai essentiellement appris avec cette expérience, ce sont les difficultés qu'il y à réaliser ce que l'on désire vraiment faire, un projet personnel. Aujourd'hui je travaille en free-lance, mais vous savez, pendant de nombreuses années j'ai réalisé des films au sein du studio Shin-ei Animation en tant qu'interne, salarié du studio, et dans ce cas c'est donc la société qui décide des projets, des films à réaliser, ce qui en facilite la production... Tout au long de ces vingt années où j'ai porté mon projet d'adaptation de Coo, j'ai tenté à plusieurs reprises de le proposer aux producteurs, mais on me répondait qu'il n'y avait pas dans ce projet d'éléments susceptibles d'assurer le succès : parce que ce n'était pas tiré d'un manga à succès, parce que le design du personnage de Coo ne correspondait pas à ce qui était en vogue dans l'animation etc... Il y avait donc très peu de personnes qui y croyaient réellement et pouvaient m'apporter du soutien. Il y a eu des paroles dures et j'ai été parfois blessé. C'était un projet auquel je tenais énormément et plus que le design ou le personnage, c'était l'histoire qui me semblait le plus décisif, le plus important et c'est ce qui me donnait confiance en sa réussite. Ce sont toutes ces difficultés que j'ai appris à surmonter en menant ce film à son terme, des difficultés que je n'avais pas lorsque je travaillais sur les projets directement décidés par le studio...

           Nobita and the Knights of Dinosaurs (1987), 4ème film de la série et autant pour Keiichi Hara The Adult Empire Strike Back (2001)
Ci-dessus : Doraemon, 4ème film (les 3 premiers déjà par Keiichi Hara) - Nobita and the Knights of Dinosaurs (1987), Shinchan, 9ème film (tous les précédents par Hara également) - The Adult Empire Strike Back (2001), Un été avec Coo (2007), Colorful (2010).



Ce sont le genre de problèmes que peut rencontrer un réalisateur indépendant. Et avez-vous réalisé Un été avec Coo en tant que free-lance ou interne à Shin-ei Animation ?



En tant qu'interne du studio. La façon dont je suis finalement arrivé à le faire produire a été de le demander comme une « rétribution » après vingt ans passés à oeuvrer en tant qu'employé. En gros je leur ai dit, « j'ai fait pas mal de films pour vous, alors laissez-moi réaliser celui-ci ! ». Et ça a fini par fonctionner.



C'est d'ailleurs le même producteur avec qui vous avez travaillé sur vos derniers films de Crayon Shin-Chan pour Shin-ei qui vous accompagne pour Coo, Hitoshi Mogi (Haré + Guu)...



Oui, c'est d'ailleurs quelqu'un qui a commencé sa carrière presqu'en même temps que moi au sein de Shin-ei Animation et qui est aujourd'hui indépendant, tout comme moi. Il a d'ailleurs monté sa propre société de production (ndr : Ascencion) et c'est encore avec lui que j'ai vais réaliser mon prochain film.



Vous souvenez-vous de la première fois que vous avez lu le roman original, qu'est-ce qui vous avait plu à ce moment là ? Et vingt après, est-ce que c'était toujours la même chose qui vous poussait à vouloir en réaliser une adaptation ?



Ce qui m'a plu à la première lecture ce n'est pas le fait qu'on découvre un kappa, mais le fait que ce kappa vienne tout droit de la période Edo et qu'il soit réveillé après des centaines d'années « d'hibernation » dans notre société moderne. C'est cette idée là qui m'a séduite, la possibilité de mettre en scène le kappa de cette époque ancienne dans le cadre de notre époque actuelle, cela ouvrait de nombreuses perspectives, c'était le moyen d'aborder de nombreuses choses... Et puis il y a aussi le fait que le kappa, qui est une figure très populaire au Japon, posait à travers la destruction de ses conditions d'existence supposées, la question de l'environnement. Mais vraiment, au point de départ il y a cette idée d'un kappa perdu à notre époque... Et puis au fil des années sont venues se greffer de nombreuses autres choses que j'ai intégré, tirées de lectures, de la découverte d'autres films...



Au-delà des figures imposées de la représentation d'un kappa, comment est né l'idée du design de Coo ? Qu'est-ce qui vous séduisait dans celui-là en particulier ?



Le character design de Coo est le fruit du travail de Yuichirô Sueyoshi (Mind Game), également directeur de l'animation. Quand j'ai fait appel à lui pour faire le design du personnage je ne lui avais donné aucune indication, et pourtant, ce qui en est sorti était presque le design final. Cette version me paraissait pourtant encore un peu trop mignonne et je lui ai donc demandé de lui donner un côté plus grotesque. Le kappa n'est pas à priori très mignon, c'est un mélange de tortue et de batracien qui n'en fait pas forcément une créature attrayante pour les filles..., une créature plus grotesque donc. Et puis cela sert le propos de l'histoire, puisqu'au début Coo apparaît comme plutôt repoussant, d'ou la réaction de la mère par exemple, une réaction de rejet. Mais au final, après l'avoir découvert, Coo en vient même à devenir physiquement adorable...

            coo plongee.jpg  coo.jpg



Cela servait le projet de mise en scène...



Oui, c'était effectivement une intention de cette sorte. Concernant le design toujours, j'avais aussi demandé à un autre animateur de talent, YUASA Masaaki (Kaiba, Mind Game...), de me faire des designs pour Coo, mais je ne les ai finalement pas retenu parce qu'ils étaient vraiment trop « spéciaux » (rires)...



Tout comme ses designs pour le projet d'OAV de Batman : Gotham Knight (2008) jugés trop « excentriques » par les producteurs, Mr. Yuasa évoquait la chose lors de sa venue en France il y à quelques mois...



Ah oui, (ndr : ses design pour) le Batman américain... (rires). Ses designs pour Coo étaient bien aussi, mais on ne les a quand même pas retenu. Mais on peut les voir dans le guide officiel du film édité par Kadokawa au Japon.



Le film joue sur différents registres, histoire fantastique dans un cadre réaliste, parcours initiatique, chronique familiale et sociale, comédie et drame... Comment le définiriez-vous ?



Vous savez je ne suis pas d'accord avec le fait de catégoriser les films, de les classer dans tel genre et pas dans tel autre. Cela suppose toujours que l'on cible un public particulier, que l'on formate à priori. Par exemple pendant des années j'ai réalisé les films de Shin-Chan avec cette démarche là, des films pour enfants, et puis avec le film L'empire des adultes contre-attaque (ndr : sorti en 2001, énorme succès critique et box-office au Japon) j'ai changé d'optique. Pendant la production de ce film de Shin-Chan je me disais que ça n'allait pas forcément plaire au public japonais, mais comme j'avais confiance dans l'histoire j'étais prêt à aller jusqu'au bout. J'étais même prêt à me faire virer. Et puis les producteurs ont dit qu'effectivement ce n'était pas uniquement fait pour les enfants mais ils ont fini par donner leur feu vert. Et je l'ai fait, et il a marché, il a rencontré un énorme succès. Après ce film de Shin-Chan j'ai réalisé que ce qui comptait ce n'était pas de se focaliser sur le public supposé d'un film, mais de se concentrer sur ce qu'on voulait réellement faire.



Vous n'avez pas vraiment écrit de scénario avant de faire le storyboard de Coo, vous êtes, je crois, parti d'un simple "traitement". C'est donc l'élaboration du story-board qui a fait office de scénario. Ce n'est pas classique comme façon de faire, était-ce la première fois ?



Et bien en réalité il s'agit d'une habitude prise sur les films de Shin-Chan. Lorsque je suis arrivé sur la série, pour le second film, nous n'avions pas le temps d'écrire un scénario à l'époque, et nous avions donc directement attaqué le storyboard. Et ça nous avait pas mal réussi, à tel point que j'ai reconduit cette méthode sur les 6 films de la série que j'ai réalisé, une approche d'autant plus adaptée qu'on évoluait dans un univers bien défini. Pour moi, en abordant la production de Coo, la démarche me paraissait donc naturelle mais contrairement à Shin-Chan, je partais de zéro dans la construction de l'univers, et là les difficultés étaient d'un autre ordre.



Le film fait 2h20 mais un premier jet du storyboard aboutissait à une durée de 3 heures. Si vous en aviez la possibilité, réaliseriez-vous le storyboard de 3h en film, une version longue de Coo disons ?



Oui pourquoi pas, ça serait l'idéal si nous avions cette possibilité en animation, mais la réalité des contraintes de production en font quelque chose de difficile à concrétiser. Et en même temps je ne crois pas que ça serait aussi bénéfique au film qu'on pourrait le penser par rapport à la version de 2h20, pour des questions de rythme avant-tout.



Quel est votre prochain projet ?



C'est encore un film d'animation, mais la réalisation du storyboard n'est pas encore entamée et on en est toujours à l'écriture du scénario, parce qu'il y a un scénario cette fois. C'est d'ailleurs ma compagne qui s'en charge...



... Travailler en couple, ça a ses avantages et ses inconvénients...



(Rires) Effectivement. Donc c'est un film d'animation qui sera toujours produit par Hitoshi Mogi mais par sa propre société cette fois. Le nom de celle-ci est Ascencion, d'après le titre d'un morceau du jazzman John Coltrane. Mr. Mogi est fan de jazz. Je réaliserai donc ce film pour lui en tant que free-lance


Remerciements à Aurélie LEBRUN et à Hiroko ONOE pour sa traduction.
Interview initialement et partiellement publiée dans Coyote Mag. 29 (Nov. 2008). Propos recueillis par Anton GUZMAN.
date
  • novembre 2011
crédits
Interviews