Flag : un flagrant délice !

Depuis de nombreuses années, une guerre civile frappe l'Uddiyana, un petit pays du Moyen-Orient. Alors que les forces armées internationales sont incapables de rétablir la paix, une photo représentant des civils soulevant un drapeau apaise les tensions. A travers le tissu, en contre-jour on distingue les silhouettes de deux femmes en prière.

Après le vol de ce symbole de paix, une force spéciale de l'O.N.U, la SDC (Special Development Command) est chargée de le retrouver. Elle est accompagnée de la photographe à l’origine du cliché,
Saeko Shirasu, qui doit rendre compte de leur mission. De son côté, son collègue le journaliste Keiichi Akagi tente de suivre les événement depuis Subasci, la capitale. Une course contre la montre s'engage pour rapporter ce dernier espoir dans une contrée ravagée par les clivages ethniques et religieux…

Envoyée spéciale en Uddiyana





Imaginez : et si le Projet Blair Witch et ses successeurs, de Rec à Diary of the Dead en passant par l’excellent petit dernier – ou bon gros dernier devrais-je dire – Troll Hunter du norvégien André Ovredal, n’étaient que les composantes d’une seule et même étape sur le point de se faire supplanter par une autre ? Ces films ont tous la même particularité : sous la forme du documentaire, grâce à la vue subjective d’une ou plusieurs caméras pseudo embarquées ils nous racontent les habituelles bonnes grosses fictions délirantes. Pourquoi alors en passer par là si c’est pour nous narrer toujours les mêmes histoires ? Pour des raisons évidentes de budget nous dit-on, et on le croit aisément même si ça n’a plus été le cas avec un Cloverfield qui, lui, a sacrément coûté bonbon. L’autre raison en devient le besoin de changement, l’envie d’essayer d’autres arcs narratifs, de créer de l’émotion autrement qu’avec les sempiternelles mêmes clefs. Tout comme d’ailleurs certains essayent de révolutionner le média actuellement avec la 3D, à la fois pour faire progresser le cinéma mais aussi pour contrer les effets pervers du piratage. Et, surtout, à Tsui Hark de le souligner, pour dépasser définitivement une technologie devenue à ce point accessible que chacun peut en arriver à se faire son p’tit film dans son coin. Il n’y a plus dès lors de challenge, de mérite, un signe que les déjà grands et les futurs génies doivent passer à autre chose, tourner la page et imposer la rareté qui fera jurisprudence avant de se transformer en institution... un temps. 

Revenons à nos moutons en caméra subjective. C’est mine de rien une sacrée gageure que de créer des effets avec cet outil. Quand un Wes Craven use d’un montage précis pour nous faire peur, le résultat ne peut pas être le même avec un caméscope mono plan à l’épaule, voire au coude. Reste alors le renfort classique du son qui explose – et s’impose - dès qu’un fantôme pointe le bout de son nez. Bien qu’efficace, l’artifice est par trop malhonnête puisqu’il nous fait davantage sursauter que le fantôme proprement dit.



Le drapeau du titre.

Recentrons-nous sur Flag puisque, je lis dans vos pensées, " ça n’est pas un film d’horreur, voyons ! C’est un anime japonais avec des méchas dedans !" En premier lieu et bien que j’adore les méchas – je suis curieux de découvrir la série Appleseed XIII, c’est vous dire si je suis bon public en la matière - ça n’est pas ce qui m’a intéressé dans cet anime. Avec cette idée de raconter sur 13 épisodes une histoire en usant seulement d’appareils photos, de caméras portatives ou embarquées sur des méchas ou autres hélicoptères, d’images satellites etc, je me suis dit : « mais comment vont-ils bien pouvoir créer du rythme et de l’émotion avec ça ? ».

Cette question, je me la suis posée en 2007, date à laquelle je me  suis focalisé sur cette série de 2006 qui arrive seulement maintenant dans les bacs. Nous sommes en 2011. Il aura fallu 5 ans pour que la bête vienne jusqu'à nous, 5 ans d'attente, de temps perdu, de films cités en références ci-dessus mais qui lui sont pourtant postérieurs. Un postérieur qui mériterait bien un bon coup de pied où (vous savez où) je pense !



A Subasci, la guerre civile fait rage...

En montrant deux personnes qui se filment, on obtient un champ contrechamp. Les auteurs vont plus loin. Quand, traumatisée, la photographe se prend en photo dans un miroir après avoir été témoin des conséquences d’une bataille peu glorieuse, on la découvre changée. Adulte. De la voir ainsi triste alors qu’habituellement elle affiche la naïveté optimiste d’une midinette en vadrouille, étayée par un doublage sciemment immature, cela aide à faire progresser le personnage. Quant à cette bataille, si elle n’est pas à proprement parler filmée, elle s’illustre par des moyens détournés. Par une caméra en mode vision nocturne on découvre que les balles d’un mécha font mal chez de simples soldats. Il suffit ensuite de filmer un insert sur des chargeurs dont le niveau de remplissage en allés simples pour la mort de gros calibre se vide à grand débit pour se rendre compte de l’horreur de la scène. L’impact est là, non négligeable. C’est un œuvre sur la guerre, pas sur l’action, les Macross et Gundam de tous poils chromés sont bien loin. Les combats ne sont pas gratuits, ils sont même plutôt rares et quand les méchas sont de sortie c’est blindage contre blindage qu’ils s’affrontent. Il n’y a pas ou que très peu de chorégraphies, on est dans le maousse statique. Cela nous fait parfois basculer dans un jeu vidéo tactique à la Dawn of War dans lequel des piétons anonymes ne font pas le poids face à un véhicule de combat tel qu’un HAVWC, prononcer « Havok », le « High Agility Versatile Weapon Carrier » sur lequel le génial mecha designer Kazutaka Miyatake (Macross, Dirty Pair, Gunbuster…) s’est manifestement éclaté les rouages. Personnage à part entière, le véhicule est un pivot guerrier, une démonstration de force autour de laquelle gravitent les acteurs de cette guerre.


      
                     L'atout majeur de la SDC : le HAVWC, prononcer « Havok », aka « High Agility Versatile Weapon Carrier ».


C’est en évoquant les désirs naissants de la photographe vis à vis d’un pilote que les auteurs font particulièrement mouche. Lorsqu’elle filme le décors qui entoure la base constitué de montagne, elle –et on – aperçoit celui-ci, au loin, en train de pratiquer son footing matinal. La caméra s’arrête sur lui. Nul besoin d’en rajouter, on sait à cet instant pourquoi elle le fait. Plus tard, lorsqu’elle part déjeuner au mess, elle pose sa caméra sur son plateau puis va s’asseoir. Elle hésite car un peu plus loin elle voit son beau militaire, seul, à une table. L’espace d’un instant, encore une fois, elle se trahit. Et une fois cet homme parti sur le champs de bataille on en arrive à vibrer doublement : pour lui qui risque sa vie, et pour elle qui semble tenir spécialement à lui. La froideur de la narration fait d’écrans glacés est alors compensée, équilibrée, par des enjeux clairement définis et pleinement ressentis. Joli. Trop rare à mon goût, pas complètement abouti au final mais joli.

En ancrant ces petites histoires dans la grande, Flag affiche une ambition géopolitique rare pour ce média. Arriver à faire vivre des personnages au milieu d’un tel conflit n’est pas chose aisée, et ça n’est pas un hasard si l’on pense parfois, en plus de certaines œuvres sur le journalisme comme le Salvador d’Oliver Stone, ou d’autres sur les casque bleus comme le superbe drama Warriors de la BBC, à la monstrueuse seconde saison de Ghost In The Shell de Kenji Kamiyama, dont le pitch de départ fut imaginé par Mamoru Oshii en personne. Nous y sommes : l’ombre du réalisateur de Patlabor plane à ce point sur Flag qu’on peut y voir sans peine une excroissance notable de l’univers du Monsieur. Habitué de l’anime militaire pas très finaud à la Area 88 ou blindé de méchas avec le rajeunissement des Votoms, le réalisateur Ryosuke Takahashi a semble t’il été durablement impressionné par la scène d’introduction d’un des chefs d’œuvre d’Oshii, Patlabor 2. On y assistait à un affrontement entre plusieurs labors, dont plusieurs de l'ONU, presque par la seule vue qu’en avait un pilote depuis son cockpit. C’est ce « presque » que le vétéran Takahashi, qui affiche plus de 70 ans au compteur, le co-réalisateur Kazuo Terada, ex-renfort japonais de Bernard Deyriès sur Ulysse 31, et les équipes de The Answer Studio et d'Aniplex, se sont appliqués à faire disparaître avec Flag.







A gauche, des captures du pré-générique de Patlabor 2 ; à droite celles de Flag.

Oshii a d’ailleurs parrainé le réalisateur pour cet anime lors d’une projection intégrale de la série à Shinjuku, le 05 juillet 2007. Lorsqu’on sait que Mamoru Oshii vénère le court métrage La jetée de Chris Marker, un roman photo culte dont L’armée des douze singes de Terry Gilliam est une sorte de remake, on comprend cet intérêt pour le projet, intérêt qu’il avait d’ailleurs déjà eu pour ce procédé qui ne faisait pourtant chez lui qu’émailler une narration toute cinématographique. Si le fish eye, les visions infrarouges etc n’ont pas de secrets pour lui, il n’avait pas pour autant complètement franchi le pas du tout documenteur.



             Le 1er Lt. Shin Ichiyanagi, pilote du HAVWC, et le 1er Lt. Christian Beroqui, super mécano de service.



                       Poursuite haletante dans un tunnel ! Originale et efficace mise en image, n'est-ce pas ?

Flagellons le flageolet !

Malgré toutes ces dithyrambes, l’anime Flag n’est pas exempte de défauts. La seconde moitié, qui fait suite à la grosse bataille centrale, subit un net essoufflement avant que ne surgisse la puissante conclusion du show. Une belle escapade paisible dans une campagne influencée par la Mongolie frise la niaiserie, le personnage de la journaliste Saeko stagne soudainement, sa vision du quotidien des militaires frôle parfois la propagande déplacée et ses apartés sur les cuistots de la base tiennent d'un improbable et enfantin joyeux monde des Bisounours. Bénéficier de deux points de vue n’efface pas non plus un manichéisme palpable ainsi qu’une petite pique envoyée en direction de la Chine avec des « vilains » équipés de matériel militaire chinois. Ajoutons à cela une voix off parfois envahissante pour le personnage qu'est Keiichi Akagi, un renfort narratif redondant, là pour rendre intelligible un enchaînement de scènes aux non-comprenants, ce qui, comme toujours, nuit considérablement à toute forme d’implication émotionnelle, d’empathie. Le procédé narratif visuel semble aussi parfois utilisé pour combler un manque de moyens évident – économisés pour assurer la grande finale ? – et l’abus excessif du roman photo pour figurer des mouvements de foule, ou encore l’hyper activité d’une masse de journalistes qui s’échangent des données dans leur repaire, un bar de la capitale, ne laisse pas de doute quant à la combine. Un détracteur pourra sans peine se moquer de ces quelques scènes en arguant que les japonais, depuis la fameuse dizaine d’images par seconde pratiquée par les équipes d’Osamu Tezuka sur la série Astro et la réutilisation abusive de stock shots, se révèlent aussi parfois maîtres dans l’art de la non animation. Mais peu importe si cela reste effectué avec talent. On raconte avant tout une histoire, et qu’on revoit certaines OAV de l’anime Lodoss pour se rendre compte qu’avec un vrai sens de la narration le roman photo peut se révéler des plus pertinents. Et Flag, donc. 

Flag of Our Fathers

Osamu Tezuka rencontra Walt Disney à l’exposition universelle de New-York en 1964 et lui tint à peu près ce langage : « j’aime beaucoup ce que vous faites ». Ce à quoi le père de Mickey lui répondit qu’il appréciait beaucoup Astro et aimerait un jour réaliser quelque chose d’approchant. Ce sera Le roi lion, issu du Roi Léo mais ceci est une autre histoire. L’équipe de The Answer Studio est en partie constituée d’anciens de Walt Disney Japon, en particulier le character designer Kazuyoshi Takeuchi qui travailla sur bon nombre des suites en DTV des classiques de la boîte à rêves : Mulan 2, Cendrillon 2, Pocahontas 2 etc etc. On le ressent dans Flag : les personnages ont des traits que l’on attribue plus volontiers à des animes américain qu’à du manga sur celluloïd. Le sourire est typique, les visages arrondis, chaleureux, positifs, et en effet, une fois le dernier épisode de Flag dévoré on se dit avoir parfois regardé une grosse production US. La très belle musique d’Ike Yoshihiro ne manque pas de sortir l’artillerie lourde lors des affrontements et globalement les relents militaristes du gros segment consacré à Saeko Shirasu évoquent parfois un esprit US. A la femme on réserve ici la part belliqueuse de l’œuvre, à l’homme resté en ville, Keiichi Akagi, d’être témoin du quotidien des habitants en zone urbaine et de s’enticher d’une belle autochtone, prônant ainsi la paix, lui et pas Saeko, en immersion dans l’armée comme le sont les jeunes et jolies reporters de France 2 en Afrique lorsqu’il s’agit de faire causer des escrocs du net sur les détails de leurs activités. C'est qu'elle est belle, Saeko, elle est belle et douce, plaît à tout le monde sur la base, qui un soldat, qui un technicien, qui une gradée : tous la respectent et ne nuisent en rien à son travail. Au contraire, ils le lui mâchent, et sur le bouleversant dernier épisode on voit à quel point ils l'estiment.



Keiichi Akagi et sa princesse.

De Flag 13x25mn à Flag 1x100mn

La sérié a été remontée en un film, également disponible dans le coffret DVD. J'avoue avoir détesté ce film avant même de l'avoir vu et ce pour plusieurs raisons. D'abord, parce qu'il est sorti dans les bacs avant la série que j'attendais tant - scandale ! -, ensuite parce que, et là je l'avais déjà souligné dans une dépêche : " (...) Chat échaudé craint l’eau froide (...)  j’ai trop souvent vu des exercices de ce type virer au massacre pur et simple pour tenter une nouvelle fois le diable. On ne raconte pas une série comme on raconte un film, les outils narratifs ne sont tout bonnement pas les mêmes."



La base des journalistes venus du monde entier pour couvrir cette guerre : un bar in downtown.

Pourtant, ça passe comme une lettre à la poste. L'oeuvre n'est pas la même, ok, ce qui m'a plu dans la série a été squizzé au montage, certes, tous ces petits riens que j'aimais ont disparus, en effet, et ne reste que la grande histoire, les scènes de guerre collées les unes aux autres : le début, le milieu, la fin, voilà, générique terminé, on range la galette. MAIS le film n'en est pas moins un director's cut, à savoir que les passages lourdingues évoqués plus hauts ont également été coupés. Les plages ennuyeuses de la série - et il y en a - n'existent plus : le montage est dynamique, les évènements s'enchaînent vite faits bien faits, comme dans un blockbuster américain tout à fait honorable. Les stock-shots recyclés et les passages à l'animation limitée sont mis également de côtés. Donc tout va bien ? Non. Les petits riens sont vitaux quant à la description d'un quotidien, même imaginaire. L'ennui crée l'attente, l'attente gonfle les enjeux, les enjeux palpables invoquent l'émotion, beaucoup trop absente dans la version d'environ 100mn. Et, on le sait, tout concept de série dispose d'un avantage de taille puisque l'attente existe aussi entre deux épisodes, tout simplement. Retrouver quelques personnages qui nous plaisent le temps d'une vingtaine de minutes avant de s'en aller vaquer à ses occupations, puis revenir à la charge dire bonjour à tout ce petit monde est un sentiment des plus plaisants.

Le long métrage opte pour un divertissement ludique et léger one shot là où la série va jusqu'au bout de son concept, prend des risques. Elle se gaufre sur une scène pour mieux réussir brillamment la suivante, moyennement celle d'après, rater celle-ci, rebondir avec celle-là, plonger, rejaillir... Mais je conseillerais volontiers Flag le film à un adepte de ce cinéma hollywoodien qui parle d'exotisme avec une vision toute occidentale. Et aussi à un fana hardcore de méchas qui ne veut voir qu'une chose à l'écran et sans fioritures autour : du mécha !



                                          Le splendide HAVWC en mode 4x4 méga customisé.

Flagorneries

C'est par son générique de début, sur le net, que j'abordai cette série. La musique me procura immédiatement des frissons et je trouvai cette juxtaposition de photos de guerre, avec pêle-mêle des militaires, des blindés et des civils mélangées aux photos banales de la propre vie de Saeko, tout bonnement géniale. Je fus acquis à la cause avant même de découvrir le reste.

En plus d'être fichtrement émouvante, Flag marque une étape historique dans la façon dont on peut raconter une histoire, que ce soit à la TV ou au cinéma. Par delà cette prouesse technologique, déjà abordée dans le domaine du jeu vidéo avec le retord Experience 112 (qui date de 2007, donc en fait non !), les personnages existent, l'univers est crédible et le métier de journaliste glorifié. Saeko Shirasu, fraîche jeune et belle journaliste, évolue. Elle recherche la vérité comme elle se cherche elle-même. A l'issue des 13 épisodes, elle comprend ce qui la fait vibrer autant, et l'on se plait alors à penser qu'il en est de même de tout cinéaste, qui, en racontant des histoires, cherche à recréer des vérités pour mieux les assimiler et, surtout, s'accomplir. Flag est à hisser haut - Santiano ! - parmi les meilleures réussites des séries d'animation japonaise adultes qui soient. Elles ne sont pas si nombreuses. 



                     Attention attention, on prend la pose... tomate farciiiie ! "FLASH !" Ok, c'est dans la boîte.
date
  • juin 2011
crédits
Série