Interview Wu Tianming

13ème Festival des Cinémas d'Asie de Vesoul. 17 février 2007


Pour sa 13ème édition, le Festival des Cinemas d'Asie de Vesoul rend hommage à M. Wu Tianming en lui remettant un cyclo d'or d'honneur. C'est l'occasion de revenir sur sa carrière de réalisateur au studio Xi'an. Je suis reçu à son hotel et, pour des raisons de modification d'emploi du temps (une interview a été annulée), notre entretien bénéficie de 20 minutes supplémentaire mais est coupée en deux. En premier lieu, nous abordons sa carrière dans son ensemble, puis, au retour de la pause, nous nous penchons sur son dernier film, CEO, présenté pour la première fois en France.

Pour commencer j'aurais voulu revenir sur votre carrière. Vous êtes rentré au studio Xi'an en 1960 pour être acteur. Qu'est qui vous a donné envie d'être réalisateur ?

En fait, je n'aime pas du tout être acteur. Je suis passionné de cinéma depuis le collège. A la fin de mes études au lycée, je devais passer l'examen d'entrée à l'Académie de Cinema de Chine, mais j'avais peur de ne pas réussir le concours. A ce moment là, il y avait une formation d'acteur au studio Xi'an ; j'ai tenté ma chance et j'ai réussi. Pour moi, c'était une bonne chose car cela m'a permis d'entrer dans le monde du cinéma. Pendant la formation, j'ai appris la comédie, mais ma passion était toujours la réalisation, donc j'apprenais tout seul en lisant des livres pour devenir réalisateur plus tard. J'ai dépensé tout mon argent pour acheter des films et des ouvrages sur le cinéma. En 1973, l'Institut de Cinéma de Pékin a ouvert une formation pour les réalisateurs ; j'ai passé le concours et j'ai étudié deux ans là-bas. En même temps que cette formation, j'ai participé au tournage de deux films de Xue Wei, un réalisateur très célèbre à cette époque. C'est comme cela que j'ai appris à être réalisateur ; je n'ai pas suivi d'étude classique, j'ai appris en autodidacte.

Quand vous avez tournez vos premiers films, en quoi le contexte social et politique de l'époque a-t-il influencé vos réalisations ?

Ce qui m'intéressait le plus, c'était la société chinoise, la vie du peuple et l'influence des changements sociaux sur la vie des chinois.

Quand vous avez repris la direction du studio Xi'an, avez cherché à suivre une orientation particulière pour le studio (en tant que producteur) ?

Le studio de Xi'an se situe dans le nord-ouest de la Chine et Xi'an est une ville très importante dans cette région. Donc après mon premier film "Life", il y avait un critique, Zhong Tian-Fei, qui disait que c'était bien que le studio de Xi'an tourne des films sur les gens et la société du nord-ouest de la chine. Xi'an était la capitale de 13 dynasties en Chine, donc il y a dans cette ville une culture très riche ; Zhong Tian-Fei trouvait cela raisonnable que le studio Xi'an se concentre sur l'ouest de la Chine. Cela devint une orientation et une caractéristique de notre studio. C'est dans ce contexte là que nous avons tourné des films comme "Life", "Le Vieux puit", "Le Sorgho rouge", "La Montagne sauvage", "Le Fleuve Jaune" et "Le Chant du Fleuve Jaune".

Après une si longue carrière, c'est la première fois qu'on vous rend hommage en France. Comment recevez-vous cet hommage de la part du Festival de Vesoul ?

J'ai déjà participé à des festivals à Nantes et à Cannes, mais c'est ma première participation à ce festival à Vesoul. Il me rend hommage cette année et j'en très content et honoré. C'est un geste qui affirme ma carrière de réalisation et j'en suis très reconnaissant. Je remercie les organisateurs du festival, M. et Mme Thérouane, et le public français qui aime mes films.

A propos du public français, comment réagissent-ils par rapport aux problèmes abordés par vos films, comparé aux chinois ?

Le public chinois aime beaucoup mes films. Depuis le début des années 80, mes films ont toujours du public en Chine. Par exemple, "Life" et "Le Vieux puit" ont eu un très grand succès à leur sortie. "CEO" a reçu 10 millions de spectateurs et "Le Roi des masques" est passé une vingtaine de fois à la télévision. Je pense que la raison de ces succès est que mes films reflètent toujours la vie quotidienne du peuple chinois.

N'avez vous jamais eu de problèmes de financement ou de censure sur vos films ?

J'ai eu des problèmes mais cela s'est résolu très facilement. Je pense que si on a un bon scénarios, il y aura des gens qui voudront investir dans le projet.

Et la censure ?

Le système de censure en Chine est très stricte. Chaque film passe par la censure. Si le gouvernement n'aime pas le contenu, il est modifié.




Nous allons maitenant aborder CEO, votre dernier film. Vous avez dit que le film s'adressait d'abord aux chinois, alors pourquoi le montrer en France. Qu'attendez-vous du regard français sur le film ?

Le film a été choisi par les organisateurs du festival. Puisqu'il passe ici, j'aimerais bien connaître l'avis du public français. Dans ce film, il y a un esprit patriotique. Beaucoup de gens parle de nationalisme. Je voulais que le film reflète un esprit de dur travail, un esprit manquant chez la plupart des chinois, mais qui leur est très important d'avoir. Maintenant que le film a été présenté en France, je voudrais évidemment connaître la réaction du public. Jusqu'à maintenant, j'ai l'impression que les français aiment aussi ce film là. Il y en a qui disent que cet esprit est manquant en France et qu'on en a besoin aussi. Je pense que pendant le développement d'un pays, c'est une chose essentielle.

Vous dites que CEO montre le dur travail des chinois pour leur entreprise, mais quand on voit le film, on remarque surtout le discours économique et tout le coté humain passe un peu à la trappe.

La durée du film est limitée, ce n'était pas possible de parler de tout. Il y a beaucoup de films et séries TV qui reflètent l'influence du développement économique sur la vie de tout les jours des chinois. Mais ce n'est pas le sujet de mon film "CEO".

Il est étonnant de voir, au moment où l'entreprise s'implante aux USA, que les ouvriers américains acceptent quasiment de la même façon les contraintes de travail que les chinois...

C'est un système de gestion dans l'entreprise chinoise. Dans ce film on voit bien que ce système de gestion s'adapte à l'occident. Par exemple, le 6S est en Chine une punition ; c'est-à-dire, à la fin de la journée, ceux qui n'ont pas bien fait leur travail doivent rester là pour faire une auto-critique, mais aux Etats-Unis on a changé ce système. Les occidentaux pensent que c'est une violation des droits de l'homme donc 6S est devenu un encouragement ; à la fin de la journée, ceux qui ont bien travaillé viennent là pour propager leur expérience. C'est une fusion de la culture orientale et occidentale. C'est grâce à cette fusion que l'entreprise avance.

A propos des personnages occidentaux, on assiste à beaucoup de comportements paraissant exagérés. Par exemple, quand on voit le français qui accepte si facilement l'entreprise chinoise et qui fait des embrassades aux ouvriers, pour un français, ça passe bizarrement... N'est-ce pas une interprétation des relations ?

(rire) C'est une vraie relation entre le patron français et les employés chinois. C'est une vraie histoire. Cette relation est logique aussi. On le voit dans le film, le patron français a commandé 6 échantillons de frigos, et l'entreprise chinoise en a fait 25. De plus, ils ont fini le travail en 45 jours. Si on demande la même chose au Japon ou en Corée, cela prend un an. Le patron français a été très ému et a embrassé les ouvriers chinois, c'est logique et compréhensible.

Le discours économique a l'air ultra-simplifié. Est-ce une volonté d'être plus compréhensible pour le public chinois ?

Les discours donnés par le patron de l'entreprise sont vrais (la traductrice a traduit "discours" au premier sens du terme). Je n'ai rien changé.

Excusez-moi, je ne voulais pas parler "des" discours, mais du thème économique et de la manière dont il est expliqué tout le long du film.

Oui, c'est fait exprès. Le thème économique est des fois très difficile à interpréter. J'ai fait simple pour que les points importants ressortent bien.

Le patron de Haier ne parait jamais douter et est toujours sur de lui. Est-ce dans le même esprit de simplification ?

Beaucoup de gens disent que ce personnage, le CEO, est trop parfait. Le film est basé sur une vraie histoire, et le vrai CEO, Zhang Ruimin, est presque parfait. Pendant ses 20 ans de carrière, il n'a jamais échoué car chaque fois qu'il prend une décision, il réfléchi et s'interroge beaucoup. C'est également pour cela que son entreprise s'est développée très rapidement. Maintenant, Haier est la plus grande entreprise de Chine au niveau de l'électro-ménager. Elle a une vingtaine d'usine dans le monde entier. En Chine, il existe plus de 200 entreprises d'électro-ménager, mais au niveau du chiffre d'affaire, si on rassemble toutes ces entreprises, c'est toujours moins important que Haier seule.
J'ai vécu 3 ans dans l'entreprise Haier pour tourner ce film, et pendant ces 3 ans, j'ai beaucoup cotoyé Zhang Ruimin, parlé à plus de 80 employés, et à vrai dire, je n'ai pas trouvé de grand défaut chez Zhang Ruimin. D'après moi, c'est une personne presque parfaite, et le rôle dans ce film est vraiment basé sur ce personnage. Il y a un phénomène aussi quand on est riche, des fois on profite trop de la vie. Parmi les entrepreneurs très riche en Chine, il y en a qui ont des maitresses, des villas, partout ils ont des voitures de luxe, mais Zhang Ruimin, le CEO de Haier, n'est pas du tout comme ces gens là. Il y en a qui disent qu'il a un problème physique - c'est pour ça qu'il n'a pas de maitresse -, mais il ne s'intéresse qu'à sa carrière et au développement de son entreprise. C'est vraiment quelqu'un de parfait (rire).

A un moment du film, on critique la politique protectionniste américaine, mais la façon dont est montée l'entreprise Haier donne la même image de protectionnisme du coté chinois.

C'est pareil dans tous les pays. La France, l'Union Européenne...

Ce que je voulais dire, c'est pourquoi critiquer les américains quand on fait la même chose en Chine.

Ce n'est pas une critique, c'est une façon d'interpréter la concurrence mondiale actuelle. En Chine, il y a beaucoup de produits américains : voitures, électro-ménager, qui ont beaucoup de succès et ont fait faillir beaucoup d'entreprises chinoises. Donc dans mon films, j'ai juste reflété tout cela.

Pendant la présentation du film, vous avez parlé d'environ une heure de scènes coupées au montage. J'aurais voulu savoir si ces scènes reflétaient une profondeur plus dramatique quasiment inexistante au montage final.

Dans le montage original, il y a une histoire d'amour. Mais comme on ne peut pas dépasser 2h ou 2h30, j'ai coupé cette partie là.

C'est 1h d'histoire d'amour ?

(rire) Il y a aussi des funérailles. Mais il a fallu couper à cause de la durée.

En conclusion, avez des projets de film en cours ?

Oui, je suis en train de préparer un film.

Une petite info exclusive ?

Je suis en train de préparer un film sur une histoire d'amour dans la dynastie des Tang, il y a 1300 ans. Ce film concerne aussi des reliques du bouddhismes

Merci M. Wu Tianming pour cette interview et bonne fin de séjour à Vesoul.


Traduction par Xia Min
date
  • mars 2007
crédits
  • interviewer
  • Elise
  • traduction
  • Xia Min
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