Japon: Les années 60

Nouvelle Vague et cinéma indépendant

La Nouvelle Vague Nikkatsu
Nouvelle Vague Shochiku et Indépendants

Le boom de la télévision

En 1958, 1,12 milliards de spectateurs sont allés au cinéma. En moyenne, chaque spectateur y va 12 ou 13 fois par an, un record historique, tandis que 504 films japonais et 171 films étrangers ont été projetés. La même année, 1,6 millions de téléviseurs sont en service alors que les émissions télévisées ont débuté en 1953. En 1963, le nombre de spectateurs atteint 0,5 milliards tandis que 15 millions de téléviseurs sont en service. Cette évolution du nombre de spectateurs inversement proportionnelle à la pénétration de la télévision va continuer. Le nombre de films de grandes compagnies va être réduit drastiquement tandis que la part des petits budgets augmente. Mais la télévision influencera aussi le contenu des films. Les émissions sont surtout ciblées sur les femmes au foyer (le home drama migre sur petit écran) et les enfants et du coup ces derniers perdent l'habitude d'aller au cinéma. Demeurent juste des salles spécialisées dans les films romantiques occidentaux fréquentées par les jeunes femmes célibataires. Le cinéma se spécialise alors dans le sexe et la violence, thèmes évités par le petit écran, et son public se masculinise. Comme en plein décollage économique les hommes ont plus de travail, reste le public des jeunes, d'où champ libre ouvert au sexe, à la violence mais aussi à l'expérimentation formelle. Des cinéastes tels qu'HANI, OSHIMA ou WAKAMATSU, des documentaristes comme OGAWA Shinsuke et TSUCHIMOTO Noriaki vont en profiter. En 1957 est produit le premier film japonais en Scope. Par la suite, ce format se généralisera tandis que le Noir et Blanc se raréfie au profit de la couleur.

La Shochiku hors Nouvelle Vague

Au début des années 60, le style Ofuna se perpétue malgré sa contestation par les cinéastes de la Nouvelle Vague Shochiku. En 1958, OZU est passé à la couleur et est arrivé au sommet de la maitrise de son art. Il revisite Printemps Tardif avec Fin d'automne (1960) et tourne deux derniers films mélancoliques, Dernier Caprice (1961) et Le Goût du saké (1962). KINOSHITA s'illustre aussi dans la spécialité maison du "film sur les gens ordinaires" avec La Rivière Fuefuki (1960) sur la vie paysanne du temps des guerres civiles et les très dramatiques Un Amour éternel (1961) et Le Parfum de l'encens (1964). NOMURA Yoshitaro a lui débuté avec des comédies légères et des films sur la jeunesse. Il s'illustrera progressivement dans le film noir dont il deviendra un spécialiste. Les deux volets de Sa Majesté l'Empereur (1963-64), comédie pleine d'ironie sur l'armée, vont contribuer à faire de l'acteur issu du théatre de boulevard d'Asakusa ATSUMI Kiyoshi une star. YAMADA Yoji  va se révéler être un héritier du style Ofuna. Se faisant remarquer par des comédies humanistes populaires typiques du studio, il va mettre en place à partir de 1969 la série Tora San qui deviendra le plus gros succès commercial de l'histoire du cinéma japonais. Après avoir commencé dans le style Ofuna, KOBAYASHI Masaki a trouvé sa personnalité. Dans les années 60, des films tels que lles chambaras frondeurs Hara Kiri et Rebellion, le kaidan eiga Kwaidan, contribueront à lui faire un nom en Occident. En conflit avec le studio, il suivra la voie des cinéastes rebelles de la Shochiku.

La TOHO et les gendaigekis

Alors que l'économie japonaise décolle, la TOHO s'illustre avec une série de films optimistes, joyeux, reflet de l'état d'esprit de l'époque. Des personnages de salariés ou d'hommes cherchant à s'enrichir sont dépeints de façon positive alors qu'auparavant ils étaient assmilés à l'ennemi. Mais le studio ne se limite pas à cela. Dans les années 60, NARUSE Mikio fait une série de films s'intéréssant aux laissés pour compte du décollage, films souvent mal aimés. KUROSAWA persiste lui dans les figures héroïques (Barberousse (1965), les polars Les Salauds dorment en paix (1960) et Entre le ciel et l'enfer (1963)) mais revisite le chambara avec ironie (Yojimbo (1961), Sanjuro (1962)). Dans les années 60, la TOHO produit une série de film spectaculaires, réalisés à l'aide de maquette et cherchant à montrer le courage de la marine et de l'aviation japonaise pendant la Guerre du Pacifique. En aout 1967, le succès du Jour le plus long du Japon d'OKAMOTO Kihachi, sur la capitulation du Japon du 15 août 1945, inaugure une série de films sur ce thème sortant chaque année aux alentours du 15 août. Chose qui agaçe une Chine y voyant un regain de militarisme. Si les films ne sont pas bellicistes, ils font en revanche l'impasse sur les exactions de l'armée japonaise en Chine. Progressivement, OKAMOTO l'abordera au travers de comédies. Mais le scénario de La Torpille Humaine sera refusé par une TOHO lui conseillant de la réaliser pour l'ATG, chose qui sera faite en 1968. Le savoir faire du studio en matière d'effets spéciaux est aussi utilisé pour la Science Fiction et le kaiju eiga. HONDA Inoshiro sera un spécialiste du kaiju eiga notamment. La TOHO se spécialise aussi dans les seishun eigas, films d'amour pour adolescents.

A la Nikkatsu

Le début des sixties correspond à la période de popularité d'ISHIHARA Yujiro, le King japonais qui joue les Rebel without a cause. Mais leur mode passe au profit des films d'épée de la TOEI. Les films avec Ishihara changent d'orientation, le montrant plus désabusé, plus jeune premier romantique. Grande star du yakuza eiga à l'époque, KOBAYASHI Akira se distingue dans des films inspirés de la série B d'action américaine ayant du succès en Asie du Sud-Est. Leur fantaisie s'oppose au travail plus ancré dans le réel d'autres cinéastes de la maison (IMAMURA, KUMAI, URAYAMA). Le cinéaste qui amplifiera cette tendance est SUZUKI Seijun, cinéaste mal distribué car considéré par les executives de la Nikkatsu comme difficile d'accès. C'est la détermination d'une représentante de ciné club associée à celle de jeunes cinéastes tels qu'OSHIMA qui le fera sortir de l'ombre. Cette période est considérée comme son Eden créatif où il enchaine des oeuvres frondeuses et surréalistes. Un autre cinéaste alors considéré comme difficile d'accès est KUREHARA Kureyoshi, cinéaste ayant tourné des films d'action avec ISHIHARA et des mélodrames contemporains. Il évoque la guerre dans Flammes de dévotion (1964) et adapte MISHIMA avec Une soif d'amour (1967).

A ses débuts, KUMAI Kei évoque lui des affaires crminelles d'après-guerre dans lesquelles les forces d'occupation sont impliquées avec L'Affaire Teigin-La Longue Mort (1964) et L'Archipel du Japon (1964). En 1962, URAYAMA Kiriro débute lui avec La Ville des coupoles, adaptation d'un récit pour enfants coécrit avec Imamura montrant des enfants grandir dans la banlieue de Tokyo malgré la pauvreté. Jouant dans le film, la très jeune YOSHINAGA Sayuri devient une star. La Délinquante (1963) raconte une histoire d'amour entre une fille de la campagne et un garçon revenu de Tokyo. Le film est primé au Festival de Moscou. En refusant de sortir La Femme que j'ai abandonnée (1969), adaptation d'ENDO Shusaku, sous prétexte de difficulté d'accès, la Nikkatsu précipite le départ d'URAYAMA. Une fois passée la période de popularité de KOBAYASHI Akira, ISHIHARA et YOSHINAGA, le studio se retrouve victime de la baisse du nombre de spectateurs. Il tente de résister en diminuant les budgets mais le studio doit vendre les cinémas dont il est propriétaire. En 1971, la production est arrêtée et l'équipe se disperse tandis que des irréductibles se regroupent autour d'un syndicat pour fonder une autre société.

DAIEI et gendaigeki

Le début des années 60 correspond à une grande phase créatrice d'ICHIKAWA Kon à la DAIEI (qu'il quitte en 1964). Citons Serment Rompu (1961), drame social lyrique adapté de SHIMAZAKI Toson, ou encore La Vengeance d'un acteur (1963), superbe remake du film de Kinugasa datant de 1935. La plupart sont scénarisés par son épouse WADA Natto et sont des tentatives cinématographiques originales. A la DAIEI, WAKAO Ayako joue un type de femme qu'elle a déjà joué pour MIZOGUCHI : la femme imperméable à ceux qui veulent la réduire au statut d'objet sexuel. Elle le sera pour KAWASHIMA, MASUMURA mais aussi pour YOSHIMURA Kozaburo avec La Poupée Brisée, adaptation du roman de MINAKAMI Tsutomu par Shindo. Malgré cette créativité artistique, la DAIEI subit bien plus que Shochiku, TOHO et TOEI la diminution du nombre de spectateurs. Ces dernières purent faire des bénéfices avec les films étrangers et avaient construit des salles pendant les années de croissance. Ce ne fut pas le cas de la DAIEI qui déposa le bilan en 1971. Une partie du personnel fondera alors une société de cinéma indépendant.

La TOEI à Tokyo

Depuis les années 50, les studios TOEI de Kyoto sont la plaque tournante du jidaigeki et de ses stars. Les studios de Tokyo (quartier d'Oizumi) n'ont eux aucune star et on y produit du gendaigeki, surtout de divertissement. Toutefois, quelques oeuvres du studio vont aborder de front les questions de minorités et des défavorisés au Japon. Ce n'est pas un hasard: elle comportait à ses débuts des cinéastes de gauche et a accueilli des persécutés de la purge rouge comme des cinéastes revenant de Chine (tels UCHIDA Tomu). UCHIDA Tomu adapte ainsi avec Le Détroit de la faim (1964) un roman à succès de MINAKAMI Tsutomu et offre une longue fresque réaliste. IMAI Tadashi évoque le problème des Coréens du Japon avec Les Lumières du port (1961). Enfin, le jeune FUKASAKU Kinji se fait remarquer alors pour le thriller politique Défi d'amour propre (1962).

L'âge d'or du yakuza eiga

Yakuza eiga: les années 60

 

Déclin du jidaigeki

 

La tradition des compagnies de cinéma était d'avoir des studios à Tokyo pour le gendaigeki et à Kyoto pour le jidaigeki. Au fur et à mesure que les compagnies perdent leurs studios de Kyoto, la production de jidaigeki se réduit. Qui plus est, le yakuza eiga devient un genre en vogue à partir des années 60. Leur production se fait au détriment du jidaigeki. KATO Tai, YAMASHITA Kosaku et ITO Daisuke continuent à produire des oeuvres du genre tandis qu'UCHIDA offre son monumental Miyamoto Musashi (1961-65). L'ironie appliquée au chambara par KUROSAWA avec Yojimbo fera des émules en Occident avec son adaptation/révolution du western Pour une poignée de dollars (1964) de LEONE. Le final de Sanjuro annonce lui l'arrivée dans le genre d'une violence plus crue ou plus exagérée et MISUMI emboîtera le pas avec les Babycart. MISUMI Kenji se distingue d'ailleurs notamment à l'époque avec l'épuré Tuer (1962). Il réalise aussi de nombreux volets de la saga Zatoichi. Cette série de matabi no mono est tournée à la DAIEI de Kyoto avec comme acteur KATSU Shintaro. Son personnage de sabreur aveugle aux dons sensoriels d'exception est l'héritier des maîtres d'armes aveugles ou des yakuzas borgnes apparus sous l'influence de la littérature chinoise. Si les films de KUROSAWA sont diffusés en Europe et aux Etats Unis, les Zatoichi le sont dans le tiers monde avant que Bruce LEE ne prenne leur relève. Un autre succès du genre est la série en 6 volets Shinobi no mono (1962-66) avec ICHIKAWA Raizo. Mystérieux sorcier aux débuts du jidaigeki, le ninja y est vu ici comme un homme entrainé, mandaté pour des missions dangereuses pendant une guerre civile. La Shochiku de Kyoto s'était spécialisée dans un jidaigeki lyrique centré sur une star habile au maniement du sabre. A partir des années 50, le studio ne peut plus former ce type d'acteurs et stagne commercialement. Toutefois, Hara Kiri (1962) de KOBAYASHI Masaki sera un jidaigeki reconnu en Occident et primé à Cannes. Afin de mettre un terme à la tendance violente du genre, KUROSAWA tournera en 1965 Barberousse. D'autres tentatives de cette époque dans le jidaigeki seront le fait d'INAGAKI Hiroshi, GOSHA Hideo et OKAMOTO Kihachi. Le déclin commercial des productions du genre s'explique néanmoins pour plusieurs raisons: pas assez rentables comparativement à leurs coûts de production, désaffection du public à une époque où l'influence occidentale et la modernisation du Japon relèguent le genre au folklore.

Source: Le Cinéma Japonais par Sato Tadao

date
  • avril 2006
crédits
Histoire