Girls with Guts

Alors que le cinéma de HK peine tout comme l'économie locale à retrouver un second souffle après la crise de 1997, force est de constater que le sexe faible ne l'est visiblement pas tant que ça et qu'il s'en tire nettement mieux que son homologue masculin. Les relations entre cinéma et sexe faible sont une histoire intéressante et paradoxale. Le retour au premier plan des actrices en 2002 est l'occasion de faire un petit rappel de leur rôle dans l'histoire de cette industrie et de dresser un portrait des figures émergentes du moment pour comprendre pourquoi 2002 restera comme l'année de la femme à Hong-Kong.

Les Fondatrices
Cecilia Cheug mate Louis Koo
(The Lion(ness) Roar - 2002)

Alors que la culture asiatique en général présente la très désagréable caractéristique de prendre le sexe faible comme un groupe soumis par rapport au sexe fort, le cinéma de HK a toujours été à la fois très macho mais aussi très innovant. Dès les années 60, les films de sabre mettent en scène des héroïnes féminines qui n'hésitent pas à ridiculiser leurs homologues masculins. Bien sûr ces films sont aujourd'hui quasiment impossibles à trouver, mais quel fan HK n'a jamais entendu parler de Chang Pei-Pei? Quel amoureux de Wu Xia Pian n'est pas tombé sous le charme d'une Angela Mao ? (oui je sais, Angela c'est plus les années 70, mais bon, quelle bombe atomique : ). Les rééditions des classiques de la Shaw Brothers sont d'ailleurs une très bonne occasion de découvrir des oeuvres comme Come Drink With Me. L'émergence de Chang Cheh et des ses héros masculins marque un peu la fin de leur main mise sur le genre, et les années 70 seront celles de hommes comme on les aime, bien virils et durs au mal (Bruce rules !).

Les femmes gardent tout de même une place intéressante dans la production HKgaise, pouvant passer de simple faire valoirs sans aucun intérêt à personnages clés du film. Autre point intéressant, le fait qu'une femme prenne part à l'action ne lui confère aucun avantage particulier : elle sera frappée comme un homme. Bref, il y a un vrai courant féministe dans le cinéma HK, mais un courant "coup pour coup", un espèce de "Ok, vous serez l'égal des hommes, même traitement, même punition". Ce concept sera encore plus frappant lors de la vague Girls With Guns des années 80, où les femmes s'intègrent dans un concept encore plus viril et en subissent toutes les conséquences.

Les Girls with Guns
Charlene Choi séduit Ekin Cheng
(My Wife is 18 - 2002)

Le second courant "féministes" à HK débutera peu après le Police Story de Jackie Chan, film phare qui lancera la mode des kung-fu urbains. La D&B exploite le filon avec bonheur en lançant sur le marché des distributrices de tatanes comme Cynthia Khan ou Michelle Yeoh, auxquelles on peut ajouter les films à budgets encore plus réduits avec Moon Lee ou Yukari Oshima. Sans pouvoir comparer avec les Wu Xia Pian des années 60 (il faudrait que j'en vois beaucoup plus avant de pouvoir conclure...), on peut tout de même considérer cette vague comme dénuée de toute concession vis à vis du sexe des protagonistes. Les femmes se font frappées comme des hommes, rendent coup pour coup et ridiculisent des armées de molosses bien virils. Mais en même temps, elles ne sont pas forcément masculinisées et parviennent à garder une fémininité qui, associée à leur capacité à distribuer de la mandale, en ont rendus plus d'un assez gaga (n'est-ce pas Sébastien ou Olivier ? : ).

Un film comme She Shoots Straight en est un des représentants les plus marquants. Une famille avec la mère, cinq filles, un fils (qui se fait tuer dans d'atroces souffrances) et sa femme. Le seul homme de la famille y reste, et la mère, une des filles et la belle fille rendent la justice, non sans s'en prendre plein la figure. Le film se conclut par l'affrontement entre Carina Lau, Joyce Godenzi et une trentaine d'hommes armés lourdement qui s'en prennent pour trois millions de dollars. L'affrontement final consistant en un face à face entre Joyce et Agnes Aurelio, dernière survivante du groupe des bad guys. Plus un seul homme à l'horizon, seules ces deux femmes restent debout pour un dernier affrontement. Telle était l'époque bénie des années 80.

Une affaire de cinéastes
Gilian Cheung sauve Eason Chan
(If you care - 2002)

Indépendamment de ces courants marquants, on constate que l'importance de la gente féminine dans le cinéma HK a toujours été très variable. Habitués à proposer des rôles importants aux femmes, certains n'hésitent pas à en faire des éléments importants de leurs films, alors que d'autres les snobent superbement. Des cinéastes comme John Woo, Samo Hung ou Ringo Lam ne laissent que très rarement leurs personnages féminins jouer autre chose que des seconds rôles sans trop d'importance. D'un autre côté, des Tsui Hark ou Wong Kar-Wai lancent ou relancent des carrières en imposant des actrices dans des rôles marquants. Maggie Cheung ou Brigitte Lin en sont deux bons exemples, deux actrices cantonées à des rôles assez gnangnans jusqu'à ce que ces cinéastes les remarquent et leur offrent des rôles à la mesure de leur talent.

Qui viendra s'étonner de trouver un nouveau paradoxe dans le cinéma de HK, si riche en dualités ? A la fois très macho et très féministe, l'industrie HKgaise n'a jamais cessé de jouer avec ces deux extrêmes, en gré des courants et des sensibilités des cinéastes.

La résistance au choc
Karena Lam tente Jacky Cheung
(July Rhapsody- 2002)

Maintenant que le cinéma de HK cherche un peu d'oxygène pour sortir de la crise dans laquelle il macère depuis plusieurs années, on constate que les actrices s'en sortent finalement mieux que leur homologues masculins. Il suffit pour cela de regarder les résultats du box office ou les distributions de récompenses. 2002 restera assurément comme une année féminine. Les femmes remplissent les caisses et séduisent les critiques. Les demoiselles émergentes convainquent plus que leur homologues masculins. Evidemment elles ne peuvent pas porter le cinéma HK sur leurs petites épaules, mais au moins arrivent-elles à lui maintenir la tête hors de l'eau.

La Reine du Box Office

Maintenant que Jackie Chan est parti tourner des suites aux USA, que Stephen Chow fait un film tous les 2 ans et que Chow Yun-Fat coule une semi-retraite bien paisible, le box office se cherche de nouvelles valeurs sûres. Qui reste-t-il parmi les acteurs ? Andy Lau reste une valeur sûre, mais il ne peut garantir à lui seul des recettes au-delà des 15M HK$. La mésaventure Wesley's Mysterious Files est là pour le prouver. Certes, il a bien rempli les caisses depuis quelques années, mais souvent avec des films aux castings féminins notables. On peut aussi considérer Tony Leung comme un placement assez sûr, ses films sont toujours bien placés. C'est à peu près tout pour les vieux de la vieille, même Lau Ching-Wan n'est pas une garantie de rentabilité.

Les producteurs se tournent plutôt vers la nouvelle coqueluche du tiroir caisse, elle-même déjà parmi les reines de la canto pop, j'ai nommé, Sammi Cheng. Evidemment Sammi ne peut pas être considérée comme la meilleure actrice HKgaise, mais ses résultats au niveau des entrées sont éloquents. Depuis 3 ans, tous ses films sont des succès, et elle place toujours un ou deux films dans le top 5 de l'année. On ne peut pas seulement attribuer ces succès à la présence d'autres figures marquantes ni à la qualité des films en eux-mêmes. Un Marry a Rich Man n'a pas les qualités d'un Chinese Odyssey 2002, ni son casting. Un Fighting for love ne risque pas de passer pour un Wong Kar-Wai. Mais le simple nom de Sammi Cheng semble suffire à rembourser un film. Bybye Jackie et Yun-Fat, les rois sont morts, vive la Reine. Sammi Cheng, c'est quasiment 20 millions de dollar assurés, avec des budgets très probablement ridicules comparés à des machines comme Infernal Affairs ou Shaolin Soccer. Sammi est assurément la star la plus rentable du moment.

L'échec de la génération Mèche Rebelle

Autre fait intéressant, les stars émergentes sont féminines. Les acteurs/chanteurs qui sont apparus dans les 5 dernières années ont dans l'ensemble beaucoup déçu. Les anciens comme Ekin Cheng marchent pendant quelques films, avant de devenir un nom parmi d'autres dans un casting. Seul Louis Koo parvient à utiliser sa belle gueule avec un minimum de réussite. Ne parlons pas de la toute dernière génération, donc les résultats tiennent plus souvent du coup d'éclat que du placement à long terme. Les Stephen Fung, Eason Chen, Edison Cheng, Nic Tse, Aaron Kwok ou Daniel Wu n'ont jamais confirmé les quelques succès qu'ils avaient pu générer. On les remarque plus pour leurs tenues de carnaval ou leurs talents de pilote (excuse moi Nic, surtout qu'il y a bien pire que toi...) que pour leurs performances à l'écran. Capricieuse et manquant cruellement de talent, la nouvelle génération masculine n'a pas convaincu grand monde.

Miriam Yeung berne Daniel Wu
(Love Undercover - 2002)

Et c'est avec nettement plus de discrétion que les jeunes actrices prennent position sur l'échiquier. Cecilia Cheung avait tenté la première de prendre place sur le devant de la scène, et confirme son statut de valeur solide. Puis 2002 a été l'année des révélations. C'est tout d'abord Miriam Yeung qui surprend le box office avec son sens de la comédie, certe limité mais néanmoins très efficace. En quelques films elle réussit à signer des résultats très corrects pour des films peu attendus. On l'attend maintenant au tournant pour voir si elle saura un peu se diversifier. Quant aux Twins (Gilian et Charlene), si elles n'affolent pas vraiment les critiques, leurs films marchent correctement, et le succès de leur première réunion à l'écran (Summer Breeze of Love) va entraîner des retrouvailles à répétition, à commencer par un Buffy version HK (The Twins Effect)s à gros budget en 2003. Alors qu'on pouvait craindre le pire au vu de leur image très artificielle au niveau de la chanson, elles se montrent toutes les deux plutôt convainquantes devant la caméra.

En même temps émergent deux autres chanteuses, Angelica Lee et Karena Lam. De provenance de Taïwan, elles se font immédiatemment remarquées par leurs prestations plutôt que par leurs tenues ou leur tableau de chasse affectif. Angelica gagne le prix de la meilleure débutante à Berlin pour Betelnut Beauty (film taïwanais) avant d'être la vedette du succès surprise The Eye, ainsi que tenir un des rôles principaux du mal aimé Princess D de Silvia Chang. Trois films très différents mettant en valeur des capacités dramatiques prometteuses. Quant à Karena Lam, elle débute en gagnant les Awards de meilleurs espoir et second rôle féminin pour July Rhapdsody, avant de donner la réplique à Leslie Cheung dans Inner Senses et de se faire une petite bluette avec le dernier Dante Lam. Avouons qu'il y a pire comme début. Leurs qualités d'interprétation les placent déjà au-dessus de tous les acteurs mèche rebelle, et viennent renforcer la position dominante du groupe féminin sur l'échiquier.

Exit donc les Eason Chan, Daniel Wu, Aaron Kwok. On retrouve souvent ces acteurs dans des rôles plutôt naïfs, où ils se font un peu menés à la baguette par les femmes. Le champion toutes catégories confondues restera Daniel Wu, qui de Love Undercover à The Peeping en passant par Naked Weapon se montre en position d'infériorité très affirmée. Jackie Cheung et Leslie Cheung craquent pour Karena Lam, Eason Chan finit sur le dos de Gilian Cheung (elle aurait mieux fait de le noyer...), Ekin Cheng découvre la vraie vie grâce à Charlene Choi, Cecilia Cheung matte Louis Koo. Bref, c'en est fini de ces messieurs, vive ces demoiselles.

Une nouvelle vague féministe ?
Sammi Cheng retrouve Richie Ren
(Marry a rich Man - 2002)

Ces succès publique et critique de la gente féminine sont-ils les annonciateurs d'une nouvelle vague? Difficile d'aller jusque là, puisque les deux grandes vagues qui ont soufflé sur le cinéma de Hk s'appuyaient sur des genres bien précis (le Wu Xia Pian et le polar d'action). Les vedettes féminines du moment suivent les genres en vogue (la comédie et le film d'épouvante) sans vraiment en définir de nouveau. Les plus optimistes pourraient voir dans un So Close (de Corey "She Shoots Straight" Yuen avec Vicky Zhao, Hsu Chi et Karen Mok) et le Naked Weapon de Ching Siu-Tung le retour des Girls With Guns, mais il y a peu de chance de voir ce genre renaître de ses cendres. La nouvelle donne est différente, les femmes ne sont plus utilisées pour capitaliser sur un filon commerciale. Loin d'être un effet de mode, elles ont tout simplement pris la place que les hommes n'ont pas réussi à défendre. Après une année 2002 plutôt morose même si pas forcément aussi catastrophique que prévue, cette émergence restera comme un fait marquant à mettre en corrélation avec l'évolution de la culture Hong-Kongaise. Et le succès du nouveau Sammi Cheng au nouvel an chinois lance l'année 2003 sur les mêmes bases.

Filmographie

Voici une liste non exhaustive de films datant de 2002 et mettant en scène des actrices dans des rôles intéressants:

Maggie Q atomise Andrew Lin
(Naked Weapon - 2002)

-Chinese Odyssey 2002 - comédie (Faye Wong - Vicky Zhao)
-Dry Wood Fierce Fire - comédie (Miriam Yeung)
-The Eye - épouvante (Angelica Lee)
-Frugal Game - comédie (Carol Cheng - Miriam Yeung)
-Golden Chicken - comédie (Sandra Ng)
-Hero - wu xia pian (Zhang Zi-Zi - Maggie Cheung)
-July Rhapsody - drame (Karena Lam)
-Just One Look - comédie (Gillian Chung - Charlene Choi)
-The Lion Roar - comédie (Cecilia Cheung)
-Love Undercover - comédie (Miriam Yeung)
-Marry a Rich Man - comédie (Sammi Cheng)
-My Left Eye Sees Ghosts - mélo (Sammi Cheng)
-My wife is 18 - comédie (Charlene Choi)
-Naked Weapon - action (Maggie Q)
-So Close - action (Hsu Chi - Vicky Zhao - Karen Mok)
-Summer Breeze of Love (Charlene Choi - Gillian Chung)

date
  • February 2003
credits
Actuality


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