Monster : du manga a l'anime

Aaaah, Monster. J'ai commencé par le manga puis fini par l'anime, à partir de l'épisode 55-56, pour ensuite scribouiller des avis sur les fiches du site en me disant que, après tout, cela justifiait quand même un p'tit dossier dédié, même tardif. Hop. Ci-dessous vous trouverez donc quelques petites extrapolations arnaudiennes concernant un feuilleton sur lequel il y a tant à dire.

Le premier volume parut en 1994 au Japon, le 18ième et dernier en 2001. Le manga fut adapté en un anime de 74 épisodes produit par la maison folle Madhouse et diffusé au Japon en 2004. La société de production et de distribution New Line Cinema en a paraît-il acquis les droits en vue d'une adaptation ciné (Wikipedia).

De Tokyo à Düsseldorf, sans passer par Münster

Vous en reprendrez bien un p'tit peu, de mon Monster??

Savoir que le mangaka URASAWA Naoki, l’un des 5 plus gros revenus actuels du Japon, est fasciné par l’Allemagne peut dans un premier temps rebuter. C'est sans doute un a priori injuste lié à un amalgame que je n'ai pu m’empêcher de faire et qui ressemble à peu de chose près à "Encore un japonais psychopathe nostalgique du glorieux empire d'Hirohito (c'est pas demain la veille) et de l'uniforme nazi !", un fantasme qui d’ailleurs perdure toujours à en croire le récent film d'horreur anglais Outpost, rempli de fascinants – et fascisants - vilains nazis zombis. Comme si, moi, français, j’étais dingue de l’armée américaine simplement en m’en allant raconter l’histoire d’un de mes compatriotes aux USA. Non mais franchement. Ce film existe, il s’appelle Le gendarme à New-York et n’est pas, outre mesure, une ode aux yankees.

En plus d’être un thriller marquant, Monster est une aberration bienvenue : l’histoire à la fois glauque et belle d’un japonais, le Docteur Tenma, qui s’en va traverser l’Allemagne pour zigouiller un affreux bonhomme qu’il sauva d’une mort certaine quelques années plus tôt.



De gauche à droite : des captures du manga piochées sur le net et une illustration en fond d'écran du Docteur Kenzô Tenma.

C’est tordu, scotchant comme une série TV américaine, excellent mais... pas novateur pour deux sous. C’est de l’archi déjà vu, qui, grâce à un vrai sens du rythme, un talent du récit indéniable, une gestion des rebondissements impressionnante et, surtout, hordes personnages magnifiquement construits, s’impose comme une date dans le manga dit « mature », à savoir à conseiller aux réfractaires du support. Bien plus que de simples influences, les citations sont très bien amenées et servent de socle à une superbe histoire mais n’en restent pas moins évidentes et parfois très prévisibles pour peu qu’on les repère. Ce dont je me targue d’avoir fait, bêtement prétentieux que je suis puisque ça n'était pas bien dur...

La série Le fugitif est de la partie, Hulk aussi avec son Docteur Banner errant sur les routes, qu'il soit verdâtre ou non, ainsi que la grosse BD d’Alan Moore et David Lloyd qu’est V pour Vendetta, qui raconte cette même histoire d’expériences élitistes donnant naissance à un monstre qui, à terme, compte bien se venger de ses bourreaux. Reste que le fantôme le plus évident est...

Du manga à l'anime, en passant par Stephen King

... avec des gros sabots.

Le très gros emprunt, l’influence majeure, palpable tout du long, c’est bien-sûr l’œuvre de Stephen King, avec ses nombreux personnages qui interagissent tout autant, ses héros éparses dont on attend qu’ils se rencontrent enfin pour faire front, ensembles, et ses trames, principalement Un élève doué, Le Bazaar de l’épouvante et Dead Zone. Tous sont exploités – et pas qu’un peu – dans Monster. Un monstre oeuvrivore ?



Un élève doué (Différentes saisons, 1982)

Fasciné par le cours de son professeur de sociologie à propos de l'Holocauste, Todd Bowden 16 ans et élève particulièrement brillant, se consacre à des recherches sur le sujet. Un jour il croise un vieil homme en qui il croit reconnaître l'ancien directeur du camp de Patin, recherché pour crimes contre l'humanité, Kurt Dussander. Entre l'élève curieux et l'ancien nazi, d'étranges relations de pouvoir vont se nouer (allocine).

Issue du recueil de nouvelles Différentes saisons, "Un élève doué" fit l'objet d'une bonne adaptation en 1998 signée Bryan Singer (Usual Suspects) avec Ian "Gandalf" McKellen dans le rôle de l'ancien nazi. Dans cette histoire, la notion de pouvoir, d’apprentissage du pouvoir, aussi monstrueux soit-il, donné par un professeur maléfique, qui l’a été ou qui l’est, envers un enfant qui a été perverti, qui l’est ou va l’être, est au centre du récit de Monster. Avant la rédemption, il y a la culpabilité, culpabilité d’avoir perverti quelqu’un qui lui même, un jour se sent coupable et… c’est de cela que traite le manga d’URASAWA, et cela fut, déjà, excellemment bien développé dans cette nouvelle.

Dead Zone (1979)

Johnny Smith, jeune professeur dans une petite ville de province, est victime d'un accident de la route, peu de temps après avoir raccompagné sa fiancée, Sarah. Il ne revient à lui qu'au bout de cinq années de coma. Sarah est à présent mariée. Il s'aperçoit que passé, présent et futur se confondent dans son esprit. C'est ainsi qu'il réussit à sauver d'un incendie l'enfant de son infirmière et qu'il révèle à son médecin que sa mère, qu'il croyait morte en déportation, est en fait toujours vivante (allocine).

Voici là un très bon Stephen King, dont une très bonne adaptation fut d'ailleurs tirée en 1984 par le réalisateur de Faux semblants, David Cronenberg, avec dans le rôle principal le "monstrueux" Christopher Walken. Ce Johnny Smith, au destin identique à celui de Tenma, a le pouvoir de savoir ce qu’une personne est ou va devenir simplement en la touchant. Un beau jour il rencontre un futur Hitler américain et s’en va le tuer, seul contre tous dans sa mission qu’il sait incompréhensible par autrui. La scène importante de la bibliothèque, celle lors de laquelle Tenma s’apprête à tirer sur Johann, est une reprise évidente du final de ce livre là. Plus généralement, Dead Zone a déjà été pompé plus d'une fois (Intuitions de Sam Raimi, la série Heroes...) et fait désormais office de pierre angulaire pour toute oeuvre du genre fantastique divinatoire.

Le bazaar de l’épouvante (1991)

Dans l'échoppe de l'aimable Leland Gaunt, chacun peut y trouver ce dont il a toujours rêvé pour un prix dérisoire. Mais ces acquisitions sont empoisonnées et réveillent haines et jalousies. Les conflits insignifiants tournent au meurtre, à l'apocalypse. Seul le shérif Pangborn échappe aux ruses de celui qui pourrait bien être le Diable… (allocine)

La trame de ce livre est reprise dans Monster pour illustrer tout le climax étalé sur les 10 derniers épisodes/chapitres. C’est très bien fait mais le pompage saute aux yeux : la distribution des revolvers aux villageois, les p'tits vieux pseudo innocents etc... Tout est calqué ici. Un film en fut également tiré en 1994, plutôt moyen mais sauvé grâce au casting, en particulier le grand Max Von Sydow, formidable en diable farceur s'en allant semer la zizanie dans une petite bourgade américaine typique.

20th Century Boys doit paraît-il beaucoup au gros pavé Ca de ce même Stephen King. Je m’en vais vérifier la chose, avec j’imagine à l'arrivée un nouveau feuilleton aussi prenant que désuet. Pas un chef d’œuvre, mais un thriller d’envergure fort bien raconté ?

De Düsseldorf à Prague, sans passer par Annecy

Rarement un anime aura aussi bien respecté le character design original d’un mangaka. FUJITA Shigeru, qui suivra le réalisateur KOJIMA Masayuki sur le long Piano Forest, retranscrit plutôt habilement la complexité des multiples personnages croisant la route de notre vagabond de docteur. On notera toutefois que les visages sont globalement plus secs, plus anguleux, moins doux donc que ceux d'URASAWA Naoki. A la musique, HAISHIMA Kuniaki (Spriggan) enchaîne remarquablement les thèmes, collant bien aux nombreux changements de ton mais aussi de genre, faisant se succéder stress, mélancolie, bonheur, mélodrame et film noir.



De gauche à droite : la soeur de Johann : Nina Fortner, le commissaire Runge et la dangereuse Eva Heineman.

La mise en image reprend comme souvent le manga en tant que Story-Board, ce qui ne l'empêche pas de savoir faire preuve d’une certaine pertinence dans l’étirement du temps, la gestion du suspens. Ca n’est pas toujours le cas : les quelques longueurs et redites pendant lesquelles, dans le manga, on accélère la lecture, ici on les prend lentement en temps réel et, avouons-le, en soupirant : quelques épisodes sont mous du genoux, d’autres assez niais, d’autres encore, les plus nombreux, très frustrants lorsqu’on attend un dénouement qui ne survient que deux ou trois chapitres plus tard. Là, remember 24H, Lost et consorts avec leurs remplissages à peine honnête entre deux clefs d’un mystère, dévoilées au compte goutte, étudié mais diluant dangereusement les enjeux. Le manga est à rallonge, l’anime également mais lui profite d’atouts que n’a pas le manga pour relever son statut de « simple adaptation ». La musique, déjà évoquée, est particulièrement bien exploitée lors des génériques de début et de fin. Visuellement, l’entrée en matière nous présente notre japonais en fuite, inquiet, dans son grand pardessus gris, courant dans l'un des décors de la série, le plus beau : Prague. Et de se terminer sur un (faux) travelling avant, dynamique et magnifiquement animé sur Tenma devant le fantasmatique Pont Charles (cf. captures ci-dessous).

 

Pour avoir folâtré dans cette ville absolument superbe où chaque coin de rue, chaque place, chaque bâtiment recèle des trésors éblouissants, la redécouvrir à ce point intacte dans un anime ajoute du piment à ce mystère auquel on se plaît à participer davantage, complice d’un lieu plus proche, plus européen, moins exotique que ne l’est le Japon. La musique est ici agressive contrairement au générique de fin, beaucoup plus calme, faussement calme puisqu’il illustre des images d’un livre de contes pour enfant qui, dans cette sordide histoire, n’a franchement rien d’innocent. Tomi Ungerer, l'auteur des 3 brigands, s'est découvert là un ennemi dangereux.



Bonne nuit les petits...

L’idée majeure de cette BD fleuve est de raconter différents chapitres du point de vue de personnages annexes, qu’ils soient importants ou juste de passage. Les basculements de narration sont aussi nombreux que casse binette, l’histoire est un temps racontée par un enfant, puis continuée par Tenma, puis découverte par un tueur en vadrouille, puis subie par des méchants néonazis… Renversant, ce numéro de jonglage nuit parfois au fil rouge ainsi qu’à nos protagonistes favoris, qui à force d'abondance se font paradoxalement trop rares. Trop riche ce manga ? Oui, c’est un peu ça : tous les personnages se chevauchent dans le désordre, rendant parfois un peu hasardeux les déplacements de chacun et les plannings retords un peu trop chargés du malin, excellemment bien organisé dans tout ce bazar. Ainsi, le trop éparse Commissaire Runge peine à surnager tout du long. Pourtant culte en diable, son personnage ne prend tout son sens – et sa puissance – que lors du climax de la chose, tout comme le fait le tout aussi fascinant Grimmer. Entre temps on aura eu à subir les trémolos lourdingues de la sœur du monstre, ou encore les états d’âmes éprouvants de notre tourmenté Docteur, aux lisières de l'antipathie à force de trop d’altruisme. Le paradoxe est malheureux mais récurrent : le gentil pivot maudit d'une fresque se fait toujours piquer la vedette. Sam coupe l'herbe sous le pied à Frodon, Han Solo pique la meuf à Luke Skywalker, le commissaire Runge fait tout le boulot à la place de Tenma... Personne ne respecte ceux qui se chargent eux-mêmes comme des mulets avec les maux du monde. Tenma porte sa croix, tout le monde lui jette des pierres. Nous avons tous un monstre en nous qui ne demande qu'à s'épanouir en cassant du beau, aussi suivons l'exemple de Tenma pour que la bête reste tapie dans l'ombre et n'ose sortir.

Le mot de la fin

Terminons avec du Bertold Brecht, auteur pour qui Kenzo Tenma ferait un héros magnifique :

«Lorsqu'un homme assiste sans broncher à une injustice, les étoiles déraillent.»



Les 18 volumes du manga Monster sont édités chez Kana.
Les 74 épisodes sont disponibles chez Kaze. 5 Box ; une édition intégrale. 

© 1995 Naoki Urasawa / Shogakukan Inc.
©2004 NAOKI URUSAWA, Studio Nuts /Shogakukan, VAP, NTV
date
  • January 2009
credits
Series


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