Ah, ces fameux pinku eiga. Tout un art. Une vraie marque déposée qui a rendu célèbre le studio Nikkatsu à qui l'on doit un bel ensemble de polars et autres séries B qui ont fait les beaux jours du cinéma japonais populaire. Et le pinku-eiga est un genre à part entière, bien que différent des films érotiques européens comme on les connait chez nous, tout du moins à cette époque, avant que le genre ne passe définitivement aux films de sous-genres là aussi (SM, bondage, lesbien) tous issus bien évidemment du pinku de base et faisant depuis quelques années les beaux jours du AV (Adult Video) dans les rayons vidéos des boutiques douteuses de Tokyo. Ce n'est pas pour rien non plus que l'on retrouve dans cette Fleur secrète des bribes de séquences de cul que l'on voit encore régulièrement dans les AV, comme quoi les réalisateurs d'aujourd'hui n'ont pas oublié les pratiques taboues d'antan. Et rayon pratiques douteuses, le film de Konuma se veut être un vrai récital de toutes formes de perversion enfouies au plus profond du salaryman moyen (Makoto, employé quelconque) et de l'employeur friqué, Senzo, un riche homme d'affaires dont l'épouse ne le désire plus. Elle souhaite le divorce. L'idée de Senzo est simple, forcer Makoto à initier son épouse à toutes sortes de plaisirs pas bien propres afin de la dresser, puis de la prendre en photo dans des situations indécentes : résultat, elle ne pourra plus demander le divorce de peur que les photos soient dévoilées (elle perdrait ainsi toute dignité) et ne souhaitera plus qu'une chose, dévorer son mari suite au manque de plaisir interdit qu'elle aura subi durant un moment. Incapable de bander, Makoto accepte l'offre en pensant sûrement qu'il retrouvera la vigueur et la force de son membre saillant suite aux scènes de bondage qu'il prépare déjà sur sa poupée gonflable favorite. Il faut le voir tout seul planqué dans sa chambre de bonne entrain de flanquer des tatanes à un pauvre mannequin en plastique entouré de cordes. Il n'empêche, Konuma explore l'intérieur humain (au sens propre comme au sens figuré, on y reviendra) avec une insolence remarquable, ou comment montrer le vrai visage emplit de perversion du japonais moyen qui peut très bien se comporter comme tout bon salaryman dynamique ou expérimenté la journée et tenter le soir des expériences interdites où l'on glisserait quelques mille-pattes dans l'anus d'une servante qui en prendrait pour son grade parce que la maîtresse de maison ne satisfait plus son homme. Ce genre de choses.
Et la perversion est poussée jusqu'à ce que Senzo, celui qui est censé représenter l'expérience du sensei dans la société, demande à Makoto de prendre des photos de sa femme lorsqu'elle sera entrain de déféquer après absorption anale et vaginale d'un liquide de lavement (véridique!). Le plus intéressant dans cette étude des comportements humains déviants donne lieu à quelques virements de situation bienvenus tous plus ou moins dus à l'appel du sexe, de sa déviance et sa perversité lorsque le corps que l'on possède (littéralement) est attaché par des cordes et est ainsi soumis aux actes barbares -ou non- de son bourreau. Et malgré son envie de faire l'amour avec Shizuku, la femme de Senzo, Makoto renoncera à la brutaliser simplement parce qu'il n'est pas fait pour ce genre de manières. Sa mère, responsable d'un centre où les femmes sont les jouets des hommes (des séquences de bondage et d'épilation vaginale à la demande) aura beau l'inciter à la malmener, ce dernier ne peut pas. Sûrement a t-il encore en tête cette image effroyable de l'énorme black qui violait sa mère alors qu'il n'avait même pas dix ans, obligé, pense t-on, de l'assassiner au revolver pour protéger sa mère. Depuis, l'homme est impotent. Jusqu'à ce qu'il redécouvre le plaisir avec cette vraie bombe sexuelle de Shizuko. La voir dans des positions de soumission excitantes, la suspendre, l'attacher, la rendre définitivement incapable des moindres faits et gestes ne peut que lui donner le barreau, la poutre. Ses seins tendant vers l'ovale car compressés par le cordage, la chair transpirante, suintante, les formes généreuses sublimées par une lumière diffuse presque timide face à un tel objet de désire ne sont que la définition même de la tentation pour tout être rêveur et frustré qui se respecte *. Cette forme de sexe est surtout une pratique courante au Japon dans son exploitation vidéo (un bon AV a au moins une bonne scène de bondage) bien que totalement décriée dans le marché vidéo X français.
Mais Konuma l'utilise pour mieux caricaturer tout ce que ces gens là cachent à la société. A part une pratique douteuse dans un jardin, le bondage est réalisé dans des endroits clairement fermés, et bien que tabous, des établissements font du bondage leur principale source de revenus sans la moindre gêne apparente. Tout un paradoxe. Les personnages du film sont aussi tous plus ou moins soumis entre eux (Senzo est quoi qu'il arrive soumis à Makoto (qui est lui aussi soumis d'une certaine manière à sa mère) qui doit à son tour exercer des pratiques sur sa femme là aussi soumise aux hommes et à la mère de Makoto). Vrai cercle vicieux (vicieux comme le défilé de pratiques sexuelles dévergondées) qui, au final, ne montrera que le vrai visage des personnes concernées, le cinéaste se plaisant à un petit twist pas dégueu en fin de métrage pour finalement déboucher sur un threesome des familles, proche de tomber dans le foursome (moins courant il faut dire) mais la scène coupera plus vite que prévu. Le spectateur qui attendait une montagne de séquences de sexe et de pratiques gentiment déplacées repartira déçu de l'aventure, le film étant surtout une belle parabole sur les faux-semblants de la société nippone avec l'esprit généreux et très "libre" des films que l'on produisait à la Nikkatsu depuis les sixties. Dans cette optique, l'esthétique garde un certain charme d'époque même si le score du film peut faire penser à ce que l'on entend à la Toei au même moment. C'est à peine si un SUGAWARA Bunta aurait pu passer faire coucou le temps de quelques accords à la basse. Mais tout ça ne dit pas que Fleur Secrète est un pinku parfois ringard, outré dans son interprétation (comme souvent) mais qui a le mérite d'être un divertissement honorable à tous les niveaux, soutenu par une mise en scène correcte sans recherche d'audace.
* de mon côté, je ne me suis toujours pas spécialisé dans le roman érotique =)
Comme le dossier de presse de la ressortie de ce film ne l'indique pas, "Fleur secrète" est en fait la seconde adaptation du célèbre roman de Dan Oniroku après "The breeding of the flesh from the flower and the snake" de Matsubara Jiro en 1968 et avant celle en 3 épsiodes de 1985 et 1987 par Shogoro Nishimura ("Sketch of Hell" & "White Uniform Rope Slave") et Masayuki Asao ("Ultimate Rope Discipline"), la série animée (sortie également en France) et, bien évidemment le fameux remake de Takashi Ishii en 2004.
L'adaptation d'un classique, au même titre qu'une "Histoire d'O" en Occident, par Dan Oniroku, l'un des plus fameux romanciers de la littérature érotique japonaise contemporaine.
Auteur de plus de deux cents ouvrages, ses œuvres ont inspirés des nombreuses productions cinématographiques. Célébré autant pour ses œuvres, que pour les adaptations qui en seront faits, il va cesser d'écrire une première fois au début des années 1990 pour tenter son aventure dans le monde des affaires commerciales. Après la faillite de son entreprise, il connaîtra à nouveau le succès par la publication de ses mémoires, "The Flower must be crimson: The world of Oniroku Dan".
"Hana to hebi" ("Flower & Snake") reste indéniablement son œuvre la plus réputée et connaîtra pas moins de neuf suites littéraires, en plus des innombrables dérivés cinématographiques plus ou moins officiels. Une fois de plus, les relations sadomasochistes seront au cœur de son histoire; mais Dan se défend de vouloir écrire l'humiliation myogène d'une femme, plutôt que son voyage initiatique de son éducation sexuelle d'un point de vue d'un fantasme typiquement masculin. Il s'est obstinément refusé à l'injonction des éditeurs et des maisons de production de donner dans la violence purement gratuite. Il dit d'une relation sadomasochiste, qu'elle est "un fantasme masculin dérivé de l'amour…un fantasme, qui naît
de la beauté de voir une femme souffrir de sa propre gêne. C'est pour cela que mon style colporte un ressentiment de romance, d'esthétique, mais aussi de décadence". Et de rajouter, que jamais il entretiendrait pareille relation avec sa femme, sous peine de "me faire casser la gueule…Encore une fois, cela reste uniquement du domaine du fantasme!".
Le film "Fleur secrète" est aujourd'hui considéré comme un classique pour avoir lancé le genre très populaire du film SM incluant des nombreuses scènes de bondage. Pour n'avoir pas réussi à attirer couples et femmes seules pour voir des pinku, le marché cible petit à petit un public exclusivement masculin. En résulte le genre SM et un autre, ouvertement misogyne (avec des scènes de viols aux victimes "consentantes"), le "Violent Pinku". Curieusement, ce genre n'a jamais été sujet à polémiques, ces histoires étant immédiatement identifiées comme étant des pures "fantaisies", propres à satisfaire la plus sombre de libidos masculines.
En même temps, le réalisateur KONUMA désamorce toute perversité par un comique quasi troupier avec des situations expressément exagérées et des mimiques des personnages proches du manga. L'humour des "bidasses" français ne semble jamais très loin et certaines scènes vont même jusqu'à rappeler l'érotisme gentillet d'un Max Pecas, par exemple; ce qui ne veut pas dire, que "Fleur secrète" serait 'lune de ses pantalonnades typiques du cinéma érotique occidental de la fin des années 1970 (faudra le comparer au genre italien ou même allemand). Bien des scènes sont quand même assez pernicieuses et ne trouveront aucun équivalent nulle part au monde, notamment par les scènes uniques de bondage; mais le film est tout de même assez loin de la sécheresse (façon de parler) future des pinku de plus en plus déprimants, des exercices cérébrales de Wakamatsu ou Adachi Masao de la fin des années 1960 ou même de "La femme à sacrifier" du même Konuma la même année. Non, il s'agit tout simplement d'un bon petit pinku totalement décomplexé, où les femmes inquiètent par leur frigidité (relative) et où les hommes se font lacérer le visage à coups de roses dans la tronche.
Un film, qui n'a absolument plus rien à voir avec sa future réinterprétation par Takashi Ishii, qui va s'emparer du thème pour l'ancrer dans son propre univers de femmes recouvrant un semblant de force par leur oppression par les hommes. Loin de là toute thématique pareille dans l'interprétation ultra simpliste de Konuma.