Ivre de femmes et de peinture
Cinq Femmes autour d'Utamaro marque le retour de Mizoguchi derrière la caméra après un silence forcé dû au contexte de la Seconde Guerre Mondiale. Retour loin de se faire dans des conditions confortables: les Etats-Unis sont désormais puissance occupante du Japon et contrôlent sa production cinématographique, traquant tout oeuvre susceptible de raviver la fibre nationaliste. Mais ce retour derrière la caméra sera l'occasion pour le cinéaste d'offrir au travers du récit d'un épisode de la vie d'un peintre un évident autoportrait en artiste avant d'entamer une série de films qui seront principalement ces portraits de femmes ayant fait sa gloire en Occident. Les thèmes devenus depuis des passages obligés de la biographie filmée d'artiste sont ici presque tous réappropriés par le cinéaste: l'artiste comme rebelle à l'art académique de son temps, le rapport entre l'artiste et sa source d'inspiration, la façon dont la vie intime de l'artiste perturbe le processus créatif, le rapport de l'artiste au pouvoir politique, l'énergie créatrice.
Passons donc sur ce peintre désireux de capter l'âme des femmes, sur l'interdiction de peindre subie par Utamaro et sur son travail acharné à la recherche du chef d'oeuvre, échos évidents et transparents à Mizoguchi cinéaste. Ou sur ce plan final dans lequel on pourrait voir l'image d'un artiste désireux de de nouveau créer. Et évoquons plutôt le caractère assez singulier des parti pris formels vu ce qu'on connaît du cinéaste. Le travail sur le cadre et quelques mouvements de caméra tirent en effet le film vers un formalisme contrastant avec l'art classique du plan séquence souvent vu chez le cinéaste. Choix dictés par les contraintes de tournage? Toujours est-il que les coupes du montage n'ont pas toujours cette rigueur habituelle au cinéaste. Et que ce qui se perd en terme de maîtrise formelle n'est que rarement gagné en émotion.
Mais le film comporte quand même un grand moment de cinéma: l'observation par Utamaro d'un bain de courtisanes nues et d'autres moments montrant l'artiste au travail. A mon sens un Mizoguchi mineur mais quand même à voir.
Pour l'amour des femmes
Si dans l'ensemble Cinq femmes autour d'Utamaro n'a rien du meilleur de Mizoguchi (période 1950 à 1956), il ne demeure pas moins d'une efficacité troublante, entre délicieuse déclaration d'amour à la femme (plus en tant que beauté proche du "chef d'oeuvre" que de la "mère" ou "épouse) et remise en cause de l'art dans la vie de tous les jours, le résultat s'avère tout de même très satisfaisant au vu du contexte politico-social difficile lors du tournage, période d'après-guerre oblige, ruinant certaines tentatives de grands maîtres à de simples produits de commande ou suffisamment "légers" pour passer la barrière de la censure américaine (voir du côté de Kurosawa Akira, entre autre). Le film de Mizoguchi fait donc parti de ces oeuvres logiquement sous surveillance et c'est pourquoi il ne transcende pas vraiment les codes du film de genre. Les femmes sont donc montrées sous leurs plus beaux aspects, comparées à des "chefs d'oeuvre" selon Utamaro, l'un des rares peintres capables de rendre vivantes les estampes qu'il peint de sa passion.
Et si Mizoguchi donne la part belle aux "hommes" en début de métrage, aussi valeureux et combatifs qu'un samouraï lorsqu'il est question de "concours" de beauté purement artistique, il inverse totalement les rôles en s'appuyant davantage sur la thématique qu'un Oshima sublimera au cours du "troisième âge d'or nippon" avec ses films "dans le vent" ou "révolutionnaires", c'est à dire le traitement particulièrement soutenu de l'amour, la passion et la mort. Et si l'épilogue de Cinq femmes autour d'Utamaro annonce ce que développera Oshima de manière bien plus féroce et engagée, il n'en demeure pas moins effrayant. L'oeuvre de Mizoguchi fonctionne donc par séquences, souvent belles, ne masquant pas hélas la maigreur du propos (la femme est belle, la jalousie c'est mal) heureusement rehaussée par quelques moments plutôt sublimes, notamment lorsque Utamaro palpe le corps d'une courtisane et en parle comme une oeuvre d'art à part entière. Certains hésiteront même à dessiner le corps des femmes, de peur de ne pas leur rendre justice, d'où cette déclaration d'amour à la femme parfois pompeuse malgré la symbolique d'un art "prisonnier", à l'image d'Utamaro condamné les mains liées durant 50 jours.
Excellent
Du tres bon!
Expression interdite
En transposant une partie de la vie du peintre sur bois Utamaro Kitagawa (1753-1806), Mizoguchi réalise l'une de ses oeuvres les plus personnelles.
Explorant une nouvelle fois le thème d'un homme totalement dévoué à l'art, il réussit également une subtile métaphore sur sa propre condition de réalisateur au sortir de la guerre. Privé de tournage, tel Utamaro interdit de peindre pendant 50 jours, Mizoguchi ne peut revenir à la réalisation qu'une fois la Seconde Guerre Mondiale terminée, mais obligé de se plier au Comité de Censure mise en place par les américains interdisant toute représentation par trop nationaliste, traditionaliste ou valeureuse du Japon.
La mise en scène semble quelque peu avoir pâti des difficiles conditions de tournage au sortir de la Guerre, ainsi que des harassantes supervisions du comité de Censure américain; mais Mizoguchi traduit tout de même à merveille le magnifique scénario de son ami et proche collaborateur pendant plus de 20 ans, Yoshikata Yoda.
Une rare oeuvre très personnelle, qui déploie toute sa force pour celui qui connaîtrait un brin de la vie et des oeuvres de Mizoguchi.
Ivre de femmes et de peinture
Pour ce premier film d'après guerre, Mizoguchi rend une copie assez faible (à l'aune de ses propres réussites évidemment). Les petites histoires propres à chacune des femmes ne parviennent pas vraiment à former une trame cohérente, contrairement à d'autres films choraux du Maître, et le personnage principal est comme absent (défaut accentué par le manque de charisme de l'acteur principal). M'étant assoupi, j'ai d'ailleurs eu du mal à compter cinq représentantes du beau sexe dans le casting : seules deux figures émergent réellement (le duo de femmes qui se disputent l'Adonis de service et l'épouse du peintre frâichement converti à l'art d'Utamaro). A retenir : la scène de la baignade des naïades, sublime.