Xavier Chanoine | 3.5 | Nihiliste et esthétiquement ravageur. |
Ghost Dog | 4.25 | Le Bushido à la lettre |
drélium | 5 | Garder espoir |
Ordell Robbie | 4.5 | Des Armes |
Mais même si Tuer s'avère classique dans son déroulement, il fait preuve d'une originalité formelle vraiment séduisante, où le DaieiScope fait merveille. Choix des plans travaillés, flash-back surréalistes, et accompagnement musical de qualité. L'utilisation de l'espace offre aussi des combats de premier choix, dont certaines mises à mort s'avèrent tellement rapides qu'elles semblent illusion. La seule gêne est qu'au vu de sa faible durée et de son approche -trop- nihiliste du chambara classique, je n'ai pas réellement eu le temps de m'attacher aux personnages. Je ne recherche pas forcément ce genre de cinéma, même si la leçon infligée par Misumi est évidente.
Tuer narre le parcours d’un jeune samouraï qui cherche à maitriser son destin en lui donnant un code de conduite le plus proche possible du Bushido, tout en étant balloté par des aléas de la vie qui le marquent et qui lui font remettre en cause sa philosophie. Parti 3 ans hors de sa maison natale pour découvrir son pays et parfaire sa technique du sabre avec une botte imparable, sa compréhension du monde va en effet être bouleversée par 3 visages de femmes proches de lui : sa sœur, dont la fraicheur et la naïveté sont sacrifiées sur l’autel de la vengeance crapuleuse ; sa mère, décapitée avec amour par son propre mari (sic) sur l’autel du combat politique ; et enfin une étrangère qui n’hésite pas à se mettre à nu devant une horde sanguinaire pour protéger son amant dans sa fuite, avant de se faire massacrer. Dès lors, impressionné par le courage de ces 3 femmes, il n’aura de cesse de leur rendre hommage en s’inspirant de leur modèle pour servir le plus consciencieusement possible sa « voie du samouraï ».
Filmé avec une grande élégance comme un conte nihiliste et macabre, avec des plans cadrés au cordeau de toute beauté (incroyable scène d’exécution rituelle avec le passage de l’eau sur le sabre et le regard serein et amoureux de la condamnée, baignée par cette musique onirique qui fait penser à une harpe), Tuer est une œuvre précieuse, plongeant intensément dans l’âme nippone du temps des samouraïs, faisant de son économie de moyens et de sa sobriété une marque de fabrique proche d’une « voie du cinéaste ».
Ichikawa Raizo particulièrement sobre et habité incarne ce fils aux origines obscures (à nouveau) qui perd tour à tour les femmes qu’il aime et voit en son nouveau maître haut placé, un dernier espoir de retrouver un père qui l’aime et un futur plus apaisé.
D’une durée de 1h10, ce chambara nihiliste par excellence garde de son format relativement court son impact, son traitement épuré, compact, grâce notamment à la simplicité de son histoire. Est-ce la présence de Kaneto Shindo au scénario qui apporte aussi cette puissance limpide, cette force brute, cette pureté précieuse propre aux œuvres tels que l’île nue ? Je ne saurais l’assurer mais cette force est bien là, ce sentiment que tout dans tuer est intimement imbriqué pour délivrer une œuvre proche de l’instant de grâce du chambara tendance noir.
L'esthétisme flirte ici avec le divin pour soutien colossal. Cet assassinat pendant le générique tout d'abord, où une courtisane immobile et irradiante explose avec le titre qui s'incruste : Tuer !, ou cette autre femme, nue et enragée qui poignarde ses assayants le corps en sueur, jamais montré mais puissament sensuel, et ce meurtre aussi, sec, revanchard, qui annonce la mort du coeur déjà, que Misumi filme dans un paysage aride, jonché de troncs dépéris et de terre jaunâtre. Une scène comme un négatif du combat final passionné et fleuri de La lame diabolique, en bien plus singulier encore, épuré dans chacun de ses plans, pour que chaque image, chaque instant, chaque mouvement de Tuer dégage une puissance narrative qui se suffit à elle même, une beauté mystique hors du temps qui décuple l'impact de son final à l'image de Ichikawa perdu dans le labyrinthe où il perd pied. Cette manière de donner vie aux personnages, peu bavards, par la seule beauté du plan et des mouvements est ici portée à sa quintessence sensorielle. Chaque mouvement lent, précis, presque invisible de l'Homme y est magnifique et pleinement imprégné de la culture théâtrale du Japon.
A l’heure où le sabreur de cinéma n’en a plus que les contours informes, qu’il est bon de revenir aux sources et de s’abreuver d’un vrai chambara nihiliste qui a tout autant à donner sur sa forme que sur son fond et ce dans la plus belle des contemplations. Mystique.
Comment parler de Tuer tant il est de ces films dont l'accomplissement laisse sans voix? Tuer est déjà tout entier contenu dans sa courte et magnifique séquence d'ouverture. Mise en scène aussi puissante qu'économe de ses effets, cadrages et montage à la précision millimétrée (le plan coupé juste au moment où la dernière extrémité du kimono traverse la porte), dialogue réduit au strict minimum et thématiques condensées à l'extrême dans le récit (honneur du clan lavé dans le sang, rage assassine, regard ébahi des autres sur la tueuse, châtiment par le sabre, tendresse bourreau/victime). Ce programme, Tuer s'y tiendra d'un bout à l'autre. Cherchant l'économie dans la mise en scène jusqu'à l'obsessionnel, Tuer n'est rien d'autre que le récit des tourments qui obsèdent son personnage principal au cours du temps. Tourments se résumant à une seule question: comment la manière dont un individu manie son arme et utilise sa capacité à la manier peut influer sur son destin, celui de ses proches et celui d'un système politique. L'arme est ici un moyen de gloire (les combats), de protection (de soi, de ses proches, des autres), de survie. C'est la jalousie suscitée par sa dextérité aux armes qui fera indirectement de Shingo un samouraï solitaire. C'est aussi dans l'arme que se cristallisent ses tourments, par les armes qu'il les résout.
Tuer a ainsi l'occasion de rejouer au ralenti sa scène d'ouverture, ce traumatisme intial d'un ronin auquel on a enlevé celle qui l'a enfanté. Et la route de Shingo est pavée de femmes connues pas assez ou pas du tout dont l'absence laisse en lui une marque indélébile. Il n'a pu les sauver ou su user de son arme pour les sauver. SPOILERS Pourquoi alors se marier avec celle que lui offre son chef quand on sait que cela ne comblera pas l'infinie solitude qui en résulte? FIN SPOILERS L'autre grande ligne de force du personnage de Shingo, c'est son dilemme entre son désir de respecter la voie du samouraï dans sa forme académique et les entorses à celle-ci engendrées par sa démarche de sabreur autodidacte. Peu importe alors de faire des choix tactiques non autorisés par la voie du samouraï pour sortir vainqueur d'un combat. SPOILERS C'est finalement moins l'arme que ce qu'on en fait qui fait triompher comme le montre cette magnifique séquence finale où il vient à bout de son adversaire sans avoir son sabre sur lui et en ayant pour seule arme une branche. FIN SPOILERS Mais en mettant la stratégie avant la force brute dans le combat, l’individu qui porte l’arme avant l’arme, Shingo est finalement en droite ligne de l’esprit originel de la voie. Et en revenant à ses origines il en serait finalement un rénovateur.
SPOILERS La seule manière de mettre un terme à ses tourments, de résoudre ses contradictions, c'est pour Shingo de se tuer. En se faisant hara kiri pour n'avoir pu protéger son maître, il réconcilie l’esprit et la lettre du bushido. Inconciliables dans le monde des vivants, ils le sont ici dans la mort. En se tuant, il rejoint dans l'au-delà toutes les femmes de sa vie. FIN SPOILERS Peu importe également de savoir qui on va défendre par le sabre en cette période troublée où l'influence occidentale pénètre au Japon et le pouvoir en place est contesté de façon radicale. Seul importe d'utiliser son talent pour les armes afin de (sur)vivre. Cette noirceur présente dans le regard sur la condition de samouraï, on la retrouve dans les scènes de combat au sabre du film. D'abord d'un point de vue littéral vu que certains d'entre eux se déroulent dans une quasi-obscurité accroissant d'autant plus le suspense concernant leur issue. Et parce que des choix formels tout entier tournés vers le refus de l'emphase soutiennent magistralement la noirceur du ton global du film. On peut notamment citer le travelling à distance moyenne soulignant la sensation de chaos lors d'un combat dans le noir. Mais aussi l'usage de la profondeur de champ et du grand angle pour ajouter à la dimension labyrinthique d'une habitation dans le final.
Tuer, c'est un film montrant Misumi se révéler un peu plus que l'excellent cinéaste de série des Babycart ou de ses meilleurs Zatoichi. Et accessoirement aussi du très grand cinéma.