Les bases
Le film possède des faiblesses, de rythme, de mise en scène, mais il y a cette énergie, cette confiance, cette motivation. Park y croit, et les acteurs y croient avec lui. Sans espérer imposer une forme qui marque les esprits, ce sont tout de même quelques fragments de son style le plus personnel que l'on retrouve dans
Trio.
L'humour est efficace. Potache, certes. Mais on retrouve cette noirceur, cette ironie, ce côté burlesque qui est par la suite devenu la marque de fabrique du réalisateur. Si quelques gags volent un peu bas, il convient de noter que certains comiques de situation parviennent à décrocher un sourire voire un rire.
Les acteurs, convaincants, parviennent à être touchants. Vies qui basculent, écrasement des êtres dans une société où tout perd de sa valeur, Trio est par ailleurs marqué par le pessimisme que l'on retrouvera dans les oeuvres les plus singulières de son auteur.
Sur le plan de la mise en scène, le sens du cadre du réalisateur impressionne vraiment à certains moments. Park Chan-wook pose les bases de son style le plus personnel, pas celui de
JSA, celui de son cycle sur la vengeance. Il y a les excès (la caméra qui passe à travers une main), il y a le style (un cadrage prétentieux du père qui décide de partir chercher sa fille et qui braque ses compagnons avec une arme). Il y a surtout, à la fin, cette scène culte où, en quelques secondes seulement, le réalisateur parvient à condenser toute la lourdeur émotionnelle des ses œuvres suivantes, suscitant déjà sentiments contradictoires et saisissent brutalement le spectateur qui s’attendait à voir une fin guillerette.
C’est une petite fille qui, droguée à coups de somnifères, ne veut plus ouvrir les yeux. Et un père qui, pointant un flingue sur le front de la femme qui a tué son enfant, la force à ingurgiter les mêmes somnifères par poignées. Il y a dans cette seule scène, toute la rage, toute la haine et tout le désespoir d’un homme qui a toujours été droit et qui bascule dans la violence par désir de vengeance. C’est Song Kang-ho face à Shin Ha-kyun quelques années plus tard. C’est, en un unique plan, la base d’un script qui sera refusé par tous les producteurs coréens jusqu’en 2001, le projet le plus personnel de l’auteur qu’allait devenir Park Chan-wook : « Vengeance is Mine ».
La petite fille rouvrira les yeux. Son père ne se suicidera finalement pas. Park Chan-wook sauve ces deux personnages innocents à quelques secondes du générique de fin. Comme un sursis qu’il laisse au spectateur.
Le premier vrai Park Chan-wook
Par rapport au
premier film calamiteux de Park Chan-wook, Trio marque un bond en avant : déjà, c'est un vrai film. Cinq ans se sont écoulés entre les deux, cinq ans de débrouille, de galère, éventuellement à la lisière de la loi. On sent tout de suite ici la maturité et l'envie de marquer les esprits même si le côté populaire efficace l'emporte au final sur les ambitions artistiques. Le film ne laisse pas de grand souvenir, mais pas de mauvais non plus. Le trio est sympathique, attachant, dans une comédie enlevée. Le ton est très indé américain tendance potache, sans grande prétention mais avec un surcroît de style où l'on sent déjà les prémisses des belles arabesques de JSA ou du baroque de Oldboy. Park Chan-wook est bon dans la peinture de la rage et de la déchéance, et ce trio va aller loin dans le minable comme dans la violence. Après, il est devenu un "auteur".
Dans la moyenne des comédies policières
En 1997, Park Chan-Wook réalisait sa seconde incursion dans le polar violent, cinq ans après The moon is..., en redéfinissant le genre et le poussant vers une sortie définitivement comique et allégée, bien plus "cool relax", une veine qui inspirera toute une palanquée de comédies policières coréennes. Armé d'un script amusant et d'un trio d'acteurs possédant tous la gueule de l'emploie, le film de Park Chan-Wook fait néanmoins pâle figure lorsqu'on le regarde avec un oeil d'aujourd’hui. On y trouve une photo digne d'un téléfilm de la fin des eighties, une bande son aux accents d'un The Killer (1989, tout de même) et une tenue générale à des années lumières d'un JSA réalisé trois ans plus tard. Pourtant, et malgré ce gros coup de vieux, Trio arrive à distraire et amuser le temps d'une projection qui sera peut être l'unique de sa vie. Le spectateur avertit trouvera dans ce polar typé "romanesque" tous les ingrédients d'un film approximatif avec par exemple une interprétation assez vulgaire, des détails techniques qui font tâche comme le reflet du caméraman dans un poste de télé.
L'une des seules satisfactions du film est son esprit amuseur guère déclencheur de fous rires, mais suffisamment présent pour attirer l'attention sur certaines séquences amusantes, notamment les nombreux pétages de plomb de Kim Min-Jong (l'une des attractions du film) et ses sauts d'humeur variables et ses tentatives désespérées de tirer un coup. La réalisation n'est pas non plus un modèle du genre (comparaison inévitable avec ses futures productions) mais demeure suffisamment sobre pour ne pas tomber dans l'esthétisation ou la surenchère clippesque grotesque. En fin de compte tout le monde sait pertinemment que le génial cinéaste Oldboy en aura encore sous la pédale dans les années à venir et on lui pardonnera ce second essai tout juste correctement transformé.
Divertissement oubliable
A Trio ne dépasse pas le statut de petit divertissement du samedi soir. Même s’il démarre bien avec des répliques qui font mouche et des situations drolatiques, même si les 2 personnages masculins sont aussi barges qu’attachants (un moustachu cocu tendance calimero et une petite frappe mal élevée qui roule des mécaniques et du couteau), le rythme s’essouffle rapidement au bout de 45 minutes et le film peine à se conclure. La scène finale est d’ailleurs symptomatique : elle se passe dans une église avec un ton très irrévérencieux et irrespectueux qui surprend et fait sourire, puis s’apesantit et s’alourdit au fil des minutes.
Park Chan-wook en est encore ici aux fondations de son édifice cinématographique. Il est en effet vraiment difficile de s’imaginer qu’Oldboy ou JSA soit du même réalisateur, tant cela reste au niveau d’une série B quelconque. A voir peut-être justement pour mesurer la progression fulgurante de ce réalisateur incontournable aujourd'hui.