Touchant, drôle et universel
Cette belle réussite de la saga des Tora-San est en même temps un vrai foutage de gueule. Ce n’est pas croyable, après vingt-trois épisodes et un énorme succès public acquis depuis des lustres, Yamada Yoji poursuit de plus belle l'aventure avec la même équipe de tournage, les mêmes acteurs et surtout un scénario qui ne change pas d'une lettre. Un constat s'impose, est-ce que la série ne commencerait pas à s'essouffler avec le temps? La saga étant calquée sur les évènements économiques et sociaux du Japon avec en toile de fond un peu de mélodrame pour plaire à la ménagère de moins de cinquante ans, quid des bouleversements alors? Aucuns. Nada. Mais le plus grave, c'est que la mayonnaise fonctionne encore mieux qu'avant et ce nouvel épisode va jusqu'à être l'un des meilleurs depuis la création de la saga voilà déjà dix ans, en faisant montre pourtant d'un classicisme absolu dans tous les domaines et d'une absence de surprises encore plus notable que dans les épisodes précédents. La direction d'acteurs est encore assez moyenne, puisque chacun fait un peu comme il veut face à la caméra d'où une fois de plus cette impression d'être en compagnie d'une famille japonaise moyenne, ancrée dans son temps, tout ce qu'il y a de plus classique, seul Atsumi Kiyoshi est dirigé avec sérieux puisqu'il est l'élément moteur de la saga. Pourquoi Tora-san 23 est une grande réussite? Sans doute parce que Yamada a su allier une mise en scène plus travaillée que d'habitude à un scénario parfaitement cousu donnant une belle ampleur au duo Atsumi Kiyoshi/Momoi Kaori, cette dernière collaborant une nouvelle fois avec Yamada Yoji après l'immense succès critique de The Yellow handkerchief. Paradoxalement, l'interprétation de Momoi Kaori est très maladroite lors de ses scènes larmoyantes, mais arrive à être touchante lorsqu'elle revêt son kimono de mariée ou lorsqu'elle explose de joie face à un Torajiro des plus admirables : son personnage, toujours à la limite du pathétique trouve plus d'épaisseur qu'à ses débuts, plus de nuance et moins d'automatisme dans le registre du mélodrame : son assurance lors du sauvetage d'Hitomi face au pervers, son côté profiteur dans l'hôtel justement tenu par ce même pervers, sa faculté à raconter des histoires d'amour comme personne, sa timidité face à la femme qu'il aime et surtout son grand coeur qui le pousse à ne pas faire les choix les plus judicieux (l'homme est toujours un grand naïf dixit Yamada).
Très classique dans son déroulement, Tora-san 23 réussit là où certains opus se vautraient assez admirablement. Ici, point trop d'humour lourd ou de situations "comiques" (voir "comique de situation") téléphonées juste là pour amuser la galerie, tout juste Torajiro s'éprendra du Président (aka Octopus) en début de métrage comme à l'accoutumé, sans doute l'unique scène à vocation burlesque inhérente à la saga. Ce qui est étonnant, c'est aussi l'intérêt que l'on porte à la saga, et surtout à cet épisode, qui ne se démarque d'aucun autre sur le plan narratif (début sous forme de rêve, arrivée de Torajiro dans son quartier natal à Shibamata (Tokyo), première querelle avec sa famille puis la rencontre avec le personnage clé) mais qui arrive pourtant à être terriblement attachant. Cette histoire de mariage arrangé qui tourne au vinaigre, puis les tentatives de recoller les morceaux ainsi qu'en parallèle le souhait de Torajiro de forger quelque chose avec l'héroïne de son coeur, Hitomi, second personnage principal de l'histoire et celle qui refusa le mariage arrangé entre deux familles aisées, ce rythme qui ne faiblit pas (malgré une seule longueur aux trois-quarts) et qui tient la ligne de l'humour et du mélo à niveau sans broncher, la belle musique originale qui trouve ici de nouvelles sonorités jusqu'à utiliser des coeurs féminins -ratés-, les thèmes sociaux évoqués sans pour autant tomber dans le bourrage de crâne pour les enfants devant leur télé en période des fêtes, l'alchimie fonctionne et l'on se demande encore comment, arrivé à un tel stade de maturité : la rédaction de Mitsuo souhaitant à tout prix que son oncle se marie pour ne plus rendre Sakura malheureuse (l'importance du mariage), la question des oppositions familles riches/familles modestes débouchant à mariage final qui n'a plus beaucoup d'importance sur le papier. Les thèmes sont simples et traités avec soin. Mais puisqu'un Tora-san ne peut être parfait, jusqu'à preuve du contraire, parlons des quelques défauts. Si la réalisation est bien meilleure, elle n'est pas éblouissante, pas à la hauteur de son sujet, de son statut de série culte. Si les mécanismes sont classiques, la séquence du mariage de fin est trop étirée sur la longueur malgré un joli numéro, touchant, de Torajiro. Le jeu de Momoi Kaori n'est pas non plus au niveau de ses futures interprétations chez Kurosawa ou Iwai, mais qu'importe, on vient de passer un excellent moment en compagnie de cette joyeuse famille et l'on vient surtout d'assister à l'un des tous meilleurs épisodes de la saga. Pour Torajiro, Banzai!