… ou quand le sitar singe le blues.
Texte issu de Annecy 2008 - Partie 1 : L'Inde, invitée d'honneur.
Sita est une déesse séparée de son aimé, le grand seigneur Rama. Nina est une animatrice dont le mari est parti en Inde. Par mail, il lui demande de venir le rejoindre...
A la suite d’une déception amoureuse, la réalisatrice
Nina Paley (à gauche sur la photo du bas. Nan, pas celle en noir et blanc, l'autre, plus bas) s'est plongée corps et âme dans la réalisation de ce long : un métrage en grande partie autobiographique dans lequel sa triste réalité se mélange à la romance tourmentée de la légende indienne de « Ramayana », mélodrame ancestral entre la belle princesse Sita et le prince Rama, avatar du Dieu Vishnou. Il s'agit de cette même légende à laquelle
Ram Mohan s'attaqua il y a un peu plus de 10 ans de cela.
3 ans de plein travail, 200.000 US$ seulement de budget et
« 8 millions de dollars de mon temps » plus tard débarque
Sita sings the blues, un dessin animé chatoyant dû à 90% à sa créatrice Nina Paley. Viennent s’y greffer le groupe occidental au doux nom de plat indien
Masala Dosa, rencontré sur le net par l’animatrice grâce à quelques extraits qu’elle mit en ligne sur son site, et la chanteuse naphtalinée
Annette Hanshaw ( ci-dessous sur la photo en noir et blanc), qui nous chante les déboires davantage jazzy que blues d’une femme un peu trop tentée de boire, justement. Pas chère l’Annette : sa discographie est tombée dans le domaine public et Nina a pu y piocher allègrement ses morceaux préférés, sans savoir, dit-elle, que la musique était disponible gratos. Mais peu importe, l'idée est bonne et le ton désuet de ces chansons, régulièrement clôturées par un
" that's all ! " devenu marque de fabrique de la chanteuse, participe grandement à ce ton faussement léger masquant tant bien que mal une rupture douloureuse.
L'animation du film est éparse, va du découpage papier à la 2D en passant par la rotoscopie. Avec en plus une musique variée, ne craint-on pas l’indigestion à la longue ? Presque pas mon Capitaine, l’entreprise est des plus risquées, certes, mais le dosage est bon, l’intelligence et la sincérité convoquées et l’émotion au rendez-vous. Le Jury d'Annecy ne s’y est d’ailleurs pas trompé : Sita a été élu meilleur long métrage de l'année.
Le film joue sur la comparaison temporelle, la similitude de deux trames sur deux époques différentes. En soit, c'est un genre à part entière, un film comme le
Dead again de
K. Brannagh pratiquait le même exercice, les plus récents
The Fountain de
D. Aronofky et
Perhaps Love de
Peter Chan également. Le personnage de Nina Paley est représenté en animation de dessins 2D classiques, de nos jours, aux USA puis brièvement en Inde, et vit en parallèle aux aventures de Sita se passant il y a trèèèès longtemps de cela. Et en papier découpé. L'ensemble est étrange car la légende indienne a servi d'évasion à la réalisatrice tout comme elle évoque sa propre histoire. Les deux se recoupent et l'évasion n'a pour seule extrémité qu'un retour à la réalité. C'est troublant et joliment fait.
L’hilarante présentation de la légende indienne nous est faite par un trio d’indiens tentant d'expliquer à un occidental – et de s’expliquer entre eux – cette histoire compliquée, religieuse, aux ramifications nombreuses. Fait cocasse : ce ne sont pas des acteurs qui débitent leurs dialogues mais bel et bien de simples indiens à qui Nina Paley a demandé des explications sur cette légende. Elle les a enregistrés puis a animé leurs dires. Le résultat est une source d'humour jubilatoire.
Jubilatoires, les passages de comédie musicale lors desquels s’exprime Annette Hanshaw ne le sont que dans la seconde partie du film, après un entracte original mais au traitement foireux - à savoir pas drôle - , une fois la séparation entre la réalisatrice et son mari effectuée. Auparavant, la déchéance du couple ne justifie pas vraiment ces passages-ci et le temps se fait long et lourd à la fin de la première moitié. On y soupire d'ennui. La symbiose Nina/Sita intervient seulement dans la seconde partie pour devenir de plus en plus forte au fur et à mesure que le petit drame s’intensifie, jusqu’à en devenir une menace de suicide évidente. Les couleurs défilent soudain beaucoup plus vite, les instruments de Masala Dosa s’emballent, la rotoscopie rend compte avec fluidité des pas allant crescendo d’une danseuse et le climax fait soupirer son spectateur, dans le bon sens cette fois.
« C’est une histoire simple en fin de compte, vous savez » avoue la réalisatrice. Simple, oui, mais universelle.
Le film est attendu de pied ferme – et d’œil sévère - par les indiens, en particulier les hindouistes. Leur religion a servi là un dessin animé occidental et, bien évidemment et pour ne pas changer, ils craignent le blasphème. Sachant le sort qui fut déjà réservé au
Ramayana indo-japonais sur lequel Ram Mohan a collaboré, on est en droit d’être un minimum inquiet quant à l’exploitation de l’œuvre. Bonne nouvelle : cette fois les religieux veulent voir l'oeuvre avant même de la brûler. Il y a un progrès certain des mentalités dites voir ! Les indiens présents au Festival d'Annecy (2008) ne se disent pas choqués, Ram Mohan ne l’a pas été, aussi ont-ils proposé à Nina Paley de venir le montrer en Inde lors d’une séance spéciale. A suivre...