Ordell Robbie | 3.25 | Chaos |
Ghost Dog | 3 | Brazil |
MLF | 3 | |
drélium | 3 | |
Xavier Chanoine | 3 | Sans issue. |
==^..^== | 2.5 | Attention, la guerre peut nuire à la santé !!! |
Juste avant Vivre dans la peur, Kurosawa a connu une période créatrice exceptionnelle comprise entre l'accomplissement artistique/détonateur de son explosion mondiale Rashomon et le nouveau sommet les 7 Samourais. De fait, en tant que Kurosawa mineur, il est déjà plus plaisant à regarder qu'un Duel Silencieux vu qu'il correspond à une période où il avait nettement progressé artistiquement.
La mise en scène de la scène d'ouverture confirme le talent désormais sûr du cinéaste pour les entrées en matière mémorables. En utilisant de façon récurrente le grand angle pour filmer des passants aller au travail, le cinéaste exprime d'abord bien le sentiment de lourdeur, d'étouffement suscité par la chaleur estivale. Mais en y repensant après coup on peut aussi y voir l'expression d'un Japon traumatisé par la bombe atomique, sans repères, paranoiaque. Enfin, ces passages évoquent l'esthétique néoréaliste, influence déjà présente et bien digérée dans l'Ange Ivre et Chien Enragé. Et c'est cette réutilisation de l'influence néoréaliste qui sera au centre du projet de mise en scène du film. Si l'on retrouve parfois des cadrages porteurs de théatralité caractéristiques de son style, Kurosawa use ainsi de fondus «au rideau» et de mouvements de caméra énergiques qui cherchent à ne pas perdre de vue ses personnages. Mais contrairement aux deux films mentionnés, le montage n'est pas toujours classique: Kurosawa dilate la durée de certaines séquences tandis qu'il en coupe net d'autres comme pour faire ressentir le chaos mental de ses protagonistes, la dislocation du groupe (de travail et familial) engendrée par le combat du vieux patriarche.
Pas étonnant vu que Kurosawa dit avoir ici beaucoup expérimenté, notamment en faisant filmer des mêmes scènes sous des angles différents en même temps. Venons-en désormais au script et à ses limites. Kurosawa reconnait que le script était confus vu que lui et ses coscénaristes avaient commençé à écrire le script comme une satire avant de changer d'avis en cours de route faute d'avoir pu exploiter cet option-là. Et ça se retrouve malheureusement (et heureusement vu que ce côté chaotique, dispersé fait aussi le charme du film) avec un début tentant de rendre compte du traumatisme nucléaire du Japon au travers du patriarche que joue Mifune avant de se demander si c'est la société refusant de l'entendre qui est ou non aussi folle que lui. SPOILERS Et progressivement le film passe d'une dimension politique floue à un récit d'un individu devenant progressivement fou. Le personnage acquiert alors une dimension d'homme assailli de visions noires, d'etre que son entêtement rend fou. Pas étonnant que Kurosawa ait adapté Shakespeare très peu de temps après... FIN SPOILERS
Le film est aussi en partie gâché par la prestation d'un Mifune pas toujours à l'aise dans son personnage de patriarche. Sa transformation physique ne convainc pas et si sa tendance à surjouer a pu dans d'autres films bien s'accomoder au cinéma de Kurosawa elle parait par moments forcée ici. Reste au final un film qu'on oublie pas malgré ses ratés pas négligeables.
Vivre dans la peur intervient durant une période faste du cinéaste venant d'enchaîner à la suite Rashomon, The Idiot, Vivre et Les Sept Samouraïs, quatre chefs d'oeuvre intemporels du cinéma classique japonais, ni plus ni moins. C'est peut-être pour ça que Vivre dans la peur fait office de vilain petit canard malgré des qualités évidentes aussi bien fondamentales que formelles.
Le thème de la bombe nucléaire est peu employé chez Kurosawa. Dans ses films les plus populaires (en mettant de côté ses premiers films de commande à tendance propagande), jamais cette étape de l'histoire n'a été abordée par le cinéaste, qui finira par y revenir 36 ans plus tard avec le nostalgique Rhapsodie en août. Ici, nous sommes en présence de Kiichi Nakajima, un industriel devenu paranoïaque des suites des horreurs que causa la bombe atomique. Perturbé par les menaces atomiques potentielles, ce dernier décide de tout plaquer (vente de son entreprise, etc...) pour s'exiler avec sa famille à Sao Paulo, terre qu'il considère comme totalement intouchable. Jugé irresponsable par sa famille, Kiichi est traîné devant les tribunaux. C'est ainsi que Vivre dans la peur débute. Il n'aura pas fallut longtemps pour que le climat de stress constant s'empare de la famille Nakajima suite aux excès comportementaux du "père" de famille. Complètement dépassé par les évènements, limite proche du vieillard typique particulièrement irritant à la longue, Kiichi représente comme une sorte de condensé de toutes les peurs réunies, de toutes les phobies existantes.
Comme le titre l'indique, il vit dans la peur. Il sent cette peur, cette menace absolue qui plane au-dessus et dans sa tête. Car à y repenser, Kiichi est tout simplement paranoïaque, malade et ce ne sont pas les efforts fournis par sa famille qui arriveront à changer son comportement. Pour cela, Mifune Toshirô s'accapare le rôle à merveille malgré un comportement pas souvent très crédible car trop surjoué. Notons toutefois un réel effort de présentation, nécessitant un changement aussi bien physique (traits plus marqués, clichés du vieillard) que mental, même si de ce côté Mifune en fait un poil trop. Qu'importe, Kurosawa ne s'axe pas uniquement sur son acteur fétiche, bien au contraire, il filme ce quotidien d'une famille et d'un groupe d'ouvriers obligés d'encaisser les caprices de Kiichi. On y verra alors de véritables querelles aussi bien au sein de la famille que dans les tribunaux ou le village, d'où cette peur permanente qui rend l'atmosphère électrique. Kurosawa introduit d'ailleurs son oeuvre avec des plans quasi aériens sur un carrefour où se croise un monde pas possible, déclenchant ainsi ce sentiment de peur panique à cause du monde dans les rues. Kiichi est peut-être agoraphobe qui sait?
L'oeuvre est construite d'une manière bien précise. Elle débute avec le docteur Harada (interprété par Shimura Takashi), continue avec la présentation de la famille Nakajima aussi bien devant les tribunaux que dans la demeure familiale, poursuit ensuite sur le portrait de Kiichi, illustre son tableau avec les ouvriers pour ensuite basculer vers le cycle inverse en dépeignant un nouveau portrait de Kiichi (cette fois-ci complètement largué) et en revenant sur le docteur Harada (que l'on voit finalement peu de fois) dans un plan final témoignant de l'incapacité totale des protagonistes de sauver Kiichi, enfermé dans un hôpital psychiatrique des suites de l'incendie de sa propre entreprise, prétexte dit-il pour "sauver" les siens et les obliger à partir au Brésil avec lui. Ce climat d'alerte fait froid dans le dos même si les chances de revoir le Japon attaqué par la bombe atomique sont inexistantes. Simplement lorsque cette idée parcourt un esprit perturbé, il est difficile de s'en détacher. Kiichi est alors irrécupérable car il "vit dans la peur", à l'image de Monseigneur dans Ran.
Après Les Sept Samouraïs, épique et carrément hallucinant dans sa mise en scène, Kurosawa respire un grand coup avec Vivre dans la peur préférant le plan fixe à tout autre cadrage plus nerveux, loin, très loin de la furie de ses précédentes réalisations. Ici les cadres sont choisis avec justesse sans pour autant chercher l'artifice, ce n'est pas le but. Le but réside dans la variété des cadrages, serrés sur le visage effrayé de Mifune ou larges pour évoquer les mouvements de panique notamment au niveau des prises de bec entre Kiichi et son fils Jiro (interprété par le génial Chiaki Minoru). Gros travail sur la lumière (une habitude chez le cinéaste depuis L'ange ivre), musique inspirée de Hayasaka Fumio, Vivre dans la peur demeure pourtant l'un des films mineures du sensei pour la simple est bonne raison que l'on a vu et que l'on verra bien mieux. A voir tout de même par curiosité, les fans de Kurosawa Akira ne seront finalement pas si dépaysés que ça. A noter le clin d'oeil de Coppola au look de Kiichi, qui sera repris à l'identique dans Bram Stoker's Dracula pour le personnage de Renfield, l'aliéné mangeur d'insectes.
Esthétique : 3.25/5 - Travail intéressant sur la lumière, mise en scène stricte et précise. Musique : 3.5/5 - Bien que particulièrement absente, la musique de Hayasaka impressionne. Interprétation : 4/5 - Mifune oscille entre l'excellent et le peu crédible. La famille Nakajima s'avère exempt de reproches. Scénario : 3/5 - Un thème intéressant, évoquant la peur de la menace atomique.
Comme quoi, l'abus de mauvaises choses nuit vraiment à la santé. En effet, comme les cigarettes ou l'alcool, la Guerre a des effets secondaires qui peuvent entraîner des problèmes psychologiques ou même la mort indirectement. Le film en lui même n'est pas forcément un chef d'oeuvre dans son scénario ou sa réalisation, mais c'est plutôt le sujet qui prend à la gorge. Surtout dans les temps actuels… Ce pauvre père de famille a tellement été traumatisé par la bombe atomique et en ne voulant que le bien des siens il finit par perdre complètement le sens des réalités et par faire plus de mal que bien.