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Serbis

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Un regard sur une famille, une société

Je m'attendais à quelque chose d'assez particulier, un film d'auteur très marqué.
Mais "Serbis" est en fait un film simple, vrai, il se laisse regarder.
Je suis content de l'avoir vu sur Arte, car je n'aurais sûrement pas fait le pas d'aller le voir au cinéma.

22 décembre 2010
par koalaurent


Serbis presse ou Le labyrinthe des désirs projetés

J'avoue ne pas pouvoir rester franchement objectif dans la rédaction de cette critique, ayant eu la chance de pouvoir passer plusieurs jours en compagnie de son réalisateur Brillante Mendoza et d'avoir pu l'écouter pendant des heures dresser passionnément les grandes lignes directrices de son projet, en veille depuis plus de deux ans ("Serbis" aurait dû se tourner à la suite de "Masseur", dont il constitue une suite officieuse dans une éventuelle future trilogie sur l'homosexualité masculine à venir).
Personnellement, je me suis donc laissé happer par cette immersion dans ce gigantesque complexe cinématographique labyrinthique et familial, où les émotions familiales croisent les émotions sexuelles des clients.
La première scène du film l'annonce: "Serbis" sera à nouveau – après "John John" et "Tirador" – un film sur l'intimité volée d'un groupe de gens, tout comme la jeune fille se rêvant une actrice (à poil) est épiée par son jeune cousin. Une vision "sublimée", comme le suggère le réalisateur en filmant carrément le reflet d'une lumière dans un miroir face caméra, baignant carrément la jeune femme dans un halo lumineux. Un rare instant de grâce, comme Mendoza en consacrera plusieurs à ses nombreux personnages, se retrouvant tous seuls, face à eux-mêmes et avec des réactions très diverses. En revanche, chacun de ces moments de solitude (où pour une fois le bruit de la rue semble beaucoup plus étouffé et lointain) est également celui de la confrontation – obligatoire – des deux univers: familial et professionnel. Alors que ces univers semblent pouvoir parfaitement cohabiter ensemble au cours des longues journées passées à l'intérieur et uniquement coupées par les incessants allers-retours dans les méandres de la grande bâtisse obsolète, l'influence de l'un sur l'autre est irrémédiable. La fille aînée imite les actrices des "bombas pelliculas" projetés et apprend à se déhancher en compagnie d'une transsexuelle; la mère de famille regrette d'être passée à côté d'une carrière d'infirmière; les fils peignent les immenses toiles publicitaires, sourire en coin ou profitent de la clientèle ambiante. De plus, il est presque ironique, que le principal fil conducteur (si mince) soit constitué par le procès vain de la grand-mère familiale pour accuser son homme de l'avoir trompée, alors même que son plus proche environnement ne soit fait que désir, sexe et coucheries en tous genres. Ce n'est pas une révélation: elle ne gagnera pas gain de cause et Brillante d'égratigner au passage la fameuse justice philippine, pas très connue pour son efficacité partiale (le personnage principal renverse même la figure religieuse de la madone pour accentuer le propos).
 
En revanche, au-delà du film, il est fort intéressant de revenir sur l'incroyable véritable chasse à l'homme, dont a souffert Brillante Mendoza lors de la projection de son film en projection officielle à Cannes. Pas particulièrement hué pendant la projection (on a vu pire), le film essuie un revers cinglant dès le lendemain par les prétendus "critiques" de cinéma dans la presse, qui enterrent son film sans appel. Ils traitent le film de "voyeuriste", "totalement gratuit" et surtout l'accusent d'être inachevé à l'état. Ce qui pose à nouveau la question de la perception même d'une œuvre cinématographique (et par extension de la légitimé de la désignation d'un "critique de cinéma"): faut-il voir une œuvre comme une œuvre à part ou faut-il savoir le replacer un minimum dans son contexte, tant à l'intérieur de la filmographie (une œuvre en devenir) d'un réalisateur, que dans les us et coutumes de son pays ?
Qu'on accroche ou non avec le style du "cinéma-vérité philippin" est une chose: il faut être prévenu, que le film est tourné (en grande partie) en DV, caméra à l'épaule, au plus près des personnages avec son et lumière naturels. Les histories s'attachent en grande partie aux petits riens des gens ordinaires et tentent de plonger le spectateur davantage dans un cadre posé sans fioritures, plutôt que de recourir aux artifices habituels d'un cinéma spectacle. Soit.
En revanche, en replaçant "Serbis" dans la filmographie de son réalisateur, il est à souligner à quel point ce film est le prolongement logique de ses précédents. Prolongement logique de sa fascination pour l'homosexualité masculine suite à son précédent "Masseur". Prolongement dans la manière de filmer amorcé depuis son "Professor" et largement accaparé dans "John John" et "Tirador". Prolongement dans la manière de s'emparer d'un fait typique, mais également si particulier de son pays, soit les "Serbis" prodigués dans certains cinémas de quartier en voie de rapide disparition. Et prolongement dans la description au plus près de ses personnages, que Brillante sait de mieux en mieux capter en s'attardant sur des petits riens, et offrant à ses merveilleux acteurs de véritables moments de grâce.
Les scènes de sexe à la limite du réel (la scène d'amour avec la belle Mercedes est réaliste, mais clairement simulée; lors de la fellation l'acteur met effectivement son sexe dans la bouche de la transsexuelle, mais semble loin d'être motivé / n'est pas tout à fait une scène porno dans le sens premier du terme) ont été souvent décriés (sans pour autant soulever les vagues d'indignation comme dans "Brown Bunny" de Vincent Gallo ou "La Vie de Jésus" de Dumont, mais passons), mais s'inscrivent, là encore, dans la logique d'une volonté de "rendre réel" autant que possible une pure fiction. Rien de bien choquant là-dedans pour celui, qui aura une vie sexuelle normale, ne dénigrerait pas l'existence des points de rendez-vous habituels d'une communauté homosexuelle et n'aurait jamais eu à déboucher des chiottes, notamment en travaillant dans un lieu public (et je puis leur assurer, que les chiottes de certains restos ou de stades de foot ne sont rien à côté de ceux filmés dans "Serbis" et les inciterait fortement à s'essayer à ce genre de petit travail, si jamais ils avaient besoin de gagner quelques sous).
Le seul point commun dans toute cette affaire, ce serait effectivement d'accuser la "légèreté" de la sélection cannoise, qui a terriblement tendance à sélectionner certains films avant même de les avoir vus. Outre les chouchous habituels (Almodovar, frères Coën, Atom Egoyan et j'en passe et j'en oublie), qui ont leur carte de sélectionné d'office), il y a effectivement cette course folle des principaux festivals à vouloir être "les premiers" sur le coup, à sélectionner avant même d'avoir vu sur la seule promesse d'un précédent succès (sans parler des enjeux / pressions financiers exercés par certains producteurs ou simples histories de copinage). "John John", sélectionné dans une section parallèle l'année précédente, avait été longuement applaudi (j'étais présent pour pouvoir en témoigner) et la qualité de ce film en plus du fait, qu'aucun film philippin n'ait encore bénéficié de la sélection officielle (depuis Brocka ?) a sans doute joué en la faveur de "Serbis". Impossible, que les responsables aient vu le film avant: il a été terminé quelques heures seulement avant son envoi pour la Croisette après un tournage en 9 jours quelques semaines avant le début du film. Si les reproches faites au "mauvais mixage" de la bande son sont fausses (Mendoza a fait exprès de renforcer sa bande son pour rendre compte du bruit ambiant des grandes villes philippines, pas si éloigné de celles d'autres grandes métropoles asiatiques, dont Bangkok et Pékin, par exemple), certains choix dans le montage du film sont plus discutables…Pourtant ainsi "rebondir" après la magnifique scène avec la grand-mère devant son miroir, qui aurait parfaitement clos un véritable "cycle" de vie au sein du cinéma familial pour enchaîner par la scène de la chèvre (qui aurait été parfaite un peu plus tôt dans le film) ?!!
 
Bref, un film très riche en émotions pour les personnages, comme pour les acteurs.
 
A noter, que c'est une nouvelle fois le "grand gourou" du "cinéma vérité", Armando Lao, coach de tous les actuels réalisateurs philippins indépendants, qui a signé le scénario.


20 janvier 2009
par Bastian Meiresonne


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