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Secret Sunshine

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les avis de Cinemasie

6 critiques: 3.83/5

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25 critiques: 3.38/5



Elise 3.75 Excellent sujet qui efface le réalisateur
Ghost Dog 3.75 Ce qu’on voit et ce qu’on ne voit pas
Ordell Robbie 3 Equilibre rompu.
Tenebres83 3.5
Xavier Chanoine 4 D'une grande dureté, porté par une actrice étincelante
Yann K 5 Illumination
classer par notes | date | rédacteur    longueurs: toutes longueurs moyen et long seulement long seulement


Excellent sujet qui efface le réalisateur

Lee Chang-Dong a toujours une bonne histoire dans son sac. Il la raconte grâce à un bon scénario et se fend d'excellents acteurs. Combinaison qu'il utilise depuis son premier film Green Fish et de laquelle il ne s'est jamais écarté. Mais mis à part Oasis, je n'ai jamais été réellement transporté par l'un de ses films. Et il m'est difficile d'expliquer pourquoi. Peut-être Lee Chang-Dong a-t-il l'air de s'effacer derrière son sujet, sorte de comportement humble à l'égard d'une histoire qu'il considèrerait plus importante que lui. Mais malheureusement, j'ai eu l'impression de me retrouver face à un film un peu trop linéaire et dont le sens m'échappait de temps à autres. Cependant son scénario est profondément assumé et bien développé, et nombreuses sont les idées exposées dans ce long-métrages. Pour rappel, on y suit une femme qui, après la mort de son mari, retourne dans la ville de naissance de celui-ci avec son fils afin de réaliser son vœu ; là elle propose des cours de piano jusqu'à ce que son fils soit victime d'un enlèvement. Pour mieux supporter la vie qui l'attend, elle se plonge corps et âme dans la religion protestante.

Ce qui est bien dans Secret Sunshine, c'est assurément le fait que Shin-Ae n'est absolument pas une sainte ; elle subit un drame et se comporte comme n'importe quelle mère, avec ses défauts (la scène de coiffure à la fin est particulièrement cruelle), et se détache peu à peu de la réalité. Jong-Chan, quant à lui, est un garagiste très terre-à-terre auprès duquel Shin-Ae vient trouver du réconfort. La relation entre les deux personnages est intéressante dans la mesure où Jong-Chan est au final le dernier lien de Shin-Ae avec le monde réel et palpable, alors que Shin-Ae est peut-être pour Jong-Chan la dernière occasion de prendre soin et d'aider quelqu'un qu'il aime, et il cherche fatalement à remplir un tel devoir, quitte à faire des sacrifices (comme aller à la Messe). Sans être un film sur la religion, Secret Sunshine accorde une large place au culte protestant, dans la mesure où c'est en son sein que Shin-Ae vient se protéger. Lee Chang-Dong, bien que se déclarant (lors de l'avant-première) sans confession, est de culture protestante et n'hésite pas ici à montrer ce culte avec un grand réalisme tout en le filmant de manière à tourner en dérision certaines formes de prosélytisme (les protestant coréen sont les premiers à en rigoler), ce qui apporte une certaine dose de fraicheur conjuguée aux dialogues un peu branque et si juste d'un Song Kang-Ho magistral.

Tellement magistral qu'il en surpasserait l'excellente Jeon Do-Yeon. Celle-ci n'apporte rien de plus à ses rôles précédents. À part certaines scènes où son expressivité est flamboyante, on a du mal à retrouver là la Jeon Do-Yeon admirable de Happy End, You're My Sunshine, ou même No Blood no Tears, qui croule sous les récompenses des diverses cérémonies, alourdies cette année par le prix d'interprétation à Cannes. Il serait peut-être temps qu'elle tourne la page des rôle pleurnichards pour se montrer dans un autre registre, mais il faudra reconnaître que son physique de filles de 22 ans la prédestine malheureusement aux rôles de victime plutôt que de femme forte. Finalement, on reconnaitra à Secret Sunshine un scénario rare et profond, et une longueur (2h20) qui passe plutôt vite malgré le développement un peu trop linéaire et décousu.

Je tiens tout de même à préciser que je suis totalement d'accord avec la critique de Yann, particulièrement à tout ce qui touche le fond, à cela près que je n'ai pas été aussi enthousiasmé que lui par le film



17 octobre 2007
par Elise




Ce qu’on voit et ce qu’on ne voit pas

Par l’ambition et la complexité des thèmes abordés (pardon, rédeption, Bien et Mal, foi, vérité,…), par l’interprétation très inspirée de ce rôle très difficile de mère en deuil, par la profondeur du propos, Secret Sunshine se classe immédiatement au-dessus du lot du tout-venant et parvient à poser des questions sensibles sur lesquelles on s’interroge sans forcément trouver de réponses.

Le tournant du film est matérialisé par l’explication du monde que donne une pharmacienne chrétienne à la jeune mère : contemplant le passage des voitures dans la rue, elle lui affirme que ce qu’elle voit n’est qu’une partie du monde, que ça ne représente que les effets, les conséquences, tandis que les causes qui permettent de les justifier sont invisibles à l’œil nu (le passé, les décisions politiques et économiques, et au bout du bout, la Création, c’est-à-dire Dieu).

La religion peut-elle apporter des réponses aux épreuves de la vie ? Peut-être, mais pas forcément toutes, semble répondre Lee Chang-dong. Dans un pays comme la France où la foi a été enterrée aux forceps et où l’athéisme élevé au rang de nouvelle croyance, Secret Sunshine a au moins le mérite de relancer un débat difficile qui interroge l’intimité la plus profonde de chacun.

16 mars 2009
par Ghost Dog




Equilibre rompu.

Depuis ses débuts, le cinéma de LEE Chang-dong a quelque chose à voir avec le pamphlet, la dénonciation. Dénonciation de la violence du changement historique subi par les individus (Green Fish, Peppermint Candy), dénonciation du sort réservé aux handicapés mentaux par la société coréenne (Oasis). Ce désir-là présente le risque évident de trop vouloir charger la barque, de sombrer dans le misérabilisme. Sur le fil du rasoir, ses deux premiers films y échappaient d’un cheveu. Dans Green Fish, la chute du personnage principal se construisait à l’intérieur d’un récit de « jeune homme revenant de l’armée et tournant mal du fait de difficultés à retrouver ses repères » très proche du cinéma américain des années 70. La noirceur ne semblait du coup pas forcée ou artificiellement gonflée. Dans Peppermint Candy, le choix d’une narration à l’envers, laborieux au début, mettait en partie à distance des situations souvent au bord de la surcharge de pathos. Le caractère très picaresque du récit y contribuait également. Dans Oasis, le choix d’une narration conte de fées, auquel il était possible de ne pas adhérer, mettait d’emblée le film hors de porter de ce danger-là. Dans tous les cas, les parti pris narratifs de cet ancien écrivain tiraient vers le haut ce qui aurait pu sombrer dans le navrant. Avec Secret Sunshine, LEE Chang-dong ne réédite pas ces numéros d’équilibriste. Cette fois, l’attaque contre l’Eglise est portée par une narration chemin de croix à la Breaking the waves. Cette narration n'explique pourtant pas à elle seule la déception ressentie face à Secret Sunshine. L'histoire de l'Art comporte en effet quelques exemples de grandes oeuvres en permanence au bord du misérabilisme. Mais qui étaient tirées vers le sublime par le regard, la sensibilité de l'artiste. HUGO et DOSTOÏEVSKI exprimaient ainsi leur amour profond de l'être humain au milieu des situations les plus noires et rendaient ainsi digestes à leur lecteur les malheurs en cascades de leurs personnages. Au cinéma, le BORZAGE de L'Heure Suprême, film basé sur un matériau misérabiliste, communiait avec deux êtres désireux de vivre l'Amour Fou malgré leurs malheurs. Le MIZOGUCHI des grands jours s'attachait quant à lui à l'humanité profonde qui refusait de mourir chez ses héroïnes au fond du fond du trou. Dans Secret Sunshine, LEE Chang-dong n'ajoute pas à la lourdeur de son scénario la pompe formelle et la lourdeur dans la direction d'acteurs d'un VON TRIER. Cela évite au film d’être totalement détestable. Mais on ne trouve nulle part trace de la sensibilité d'artiste qui lui aurait permis de sublimer son scénario à gros sabots, un scénario qui demandait au minimum un cinéaste génial. Du coup, la Corée risque de perdre un de ses cinéastes les plus passionnants.

30 septembre 2007
par Ordell Robbie




D'une grande dureté, porté par une actrice étincelante

L'intérêt de Secret Sunshine réside dans son approche très dure du mélodrame coréen classique. Son absence totale de visuel clinquant, sa démarche de construction/déconstruction/reconstruction d'une femme veuve, son absence de bons sentiments mielleux voir même de compassion, le réalisme exacerbé de ses séquences, cet ensemble contribue à faire du dernier film de Lee Chang-Dong une sorte de descente aux enfers permanente, aussi bien lors de son introduction dans les ruelles de Miryang, que pendant et après le périple religieux de Shin-Ae au sein de l'église Protestante. Le cinéaste tente ainsi de détourner les codes du drame classique sans pour autant rentrer dans une forme de complaisance envers son héroïne ou les divers situations délicates qu'elle rencontre, il y insuffle même une vraie forme de poésie comme lors de ce premier plan sur les nuages, les cheveux coupés flottants dans les airs en fin de métrage, des symboliques d'une belle sobriété. C'est ce regard d'une belle justesse qui touche, ce dosage entre les forces et les faiblesses de Shin-Ae, l'attention toute particulière de Jong-Chan sur cette dernière, la dureté du récit sans jouer sur ses facilités, l'ensemble étant bien plus noir qu'il ne laisse supposer sur le papier. Car en y regardant de plus près, Secret Sunshine n'est pas une révolution telle qu'on le pense, mais il s'avère porté par le grand talent d'une Jeon Do-Yeon hallucinante et hallucinée du début à la fin. Capable d'opter pour un choix de casquettes renversant, enchaînant les nuances d'émotion à la vitesse de l'éclair (dont une incroyable séquence au téléphone), son prix d'interprétation reçu à Cannes n'est pas volé. Tenons aussi un petit mot sur Song Kang-Ho, d'une belle sobriété, toujours aussi à l'aise qu'importe le rôle qu'on lui confie. La Corée tient aussi un très grand acteur, très loin du cabotinage -voulu- pour certains de ses rôles antérieurs. Enfin, l'on pourra toujours pester sur le manque de développement de certains personnages (le professeur d'éloquence, sa fille...), et les longues séquences de messe au pouvoir légèrement ironique finissent par lasser, même si reflétant une part de réalité dans une société où toute personne peut effectivement s'attacher à une religion pour exorciser ses propres démons et qui sait, débuter une nouvelle vie. Difficile, ce drame reste dans tous les cas scotchant.

29 octobre 2007
par Xavier Chanoine




Illumination

1Et soudain, un râle de bête écorchée. Dans une église, au milieu de fidèles en pleine ferveur gospelisante, Shi-ae expulse pour la première fois la douleur que lui a infligé la fatalité. Parce que c’est arrivé dans une église, et parce que cette fatalité vient peut être du ciel tellement elle n’a pas de raison, que Shi-ae croit avoir trouvé dans la religion les prémisses d’une libération. Elle va alors prêter toute son âme à une église apparemment protestante à tendance sectaire, comme on en trouve des myriades en Corée du Sud. Elle trouve une écoute, une occupation via des réunions, des solutions simples. Elle croyait avoir donné toute son âme et ainsi ne plus avoir à penser, plus de pourquoi, plus de réflexions infinies sur le mystère insondable du Mal. Elle ne fera que prêter un temps son esprit, pour ensuite le retirer de la religion et le retrouver perdu, écrasé par l’oppressante absurdité du monde. Elle le retrouvera, ou au moins en partie. Voilà le parcours de Shi-ae dans sa tête.

Son corps, elle ne peut le prêter, pas même à des hommes (on en reparle, il y a tellement à dire sur ce film), parce qu’elle n’a même plus prise sur lui. Depuis le jour où le Mal lui a retiré l’enfant sorti de son ventre, c’est tout son corps que Shi-ae sent lui échapper. Il se convulse, il hurle, et il pleure, il pleure, comme s’il avait des litres d’eau impropre à rejeter. Cela a donc commencé par un véritable hurlement dans l’église, qu’on entend d’abord en off, il couvre peu à peu les fidèles, on sait que c’est Shi-ae, et puis on la voit, face caméra. Jeon Do-yeon s’offre alors à la caméra comme d’immenses actrices avant elles, qui à un moment de leur vie ont livré leurs tripes à un projet.

Les cris animaux pour la perte d’un enfant sont une des caractéristiques du cinéma coréen, on sait d’où ça vient dans l’histoire, de la mère Corée qui s’est fait arracher son fils du Nord. Le dernier cri en date était celui de Moon So-ri dans Une Femme Coréenne. Il y a aussi les transes de Kang Soo-yeon dans Mère Porteuse. Jeon Do-yeon est un beau mélange de ces deux actrices là, honorée comme Kang Soo-yeon, prix d’interprétation dans un festival majeur, prenant la suite de Moon So-ri devant la caméra de Lee Chang-dong.

Qu’on s’entende bien : il ne s’agit pas là de « performance », de « démonstration », mais de justesse, de vérité, de profondeur, d’intensité. On ne compte pas les litres versés par Jeon Do-yeon dans le film, c’est peut être un des films les plus lacrymal jamais réalisé. Mais pas un seul de ces B.A. BA pour actrice dramatique n’est gratuit. Dans la période qui est racontée, Shi-ae a peut être pleuré une fois par jour, peut être chaque matin et chaque soir. Qui sait ce qu’elle a fait d’autre. Alors une poignée de crises de larmes, un évanouissement, quelques crises de folie furieuse, un tour à l’asile, c’est bien le minimum. Parce que Lee Chang Dong et Jeon Do-yeon ont décidé de dire ce qu’est vraiment le deuil, toujours mêlé à la rage de l’injustice. Et comme ils sont tous deux d’une intelligence et d’une subtilité rare, il y a aussi bien d’autres scènes pour ne pas rendre le film plus ample, plus juste.

S’il était si important que Shi-ae pleure, c’était aussi parce que sa famille lui a reproché de ne pas pleurer à l’enterrement. Les films qui font pleurer un parent à un enterrement sont ridicules : tout le monde sait pour l’avoir vu ou personnellement vécu, le deuil tétanise, annihile les émotions faciles, ce sont les moins concernés qui pleurent parce qu’ils voient la réelle tristesse des autres, celle que réussit à jouer Jeon Do-yeon: pétrifiée, livide, un pied dans l’au-delà, un autre dans ce monde-ci. Au début du film, Jeon Do-yeon offre une prouesse peut être supérieure, dans une scène qui permet encore plus de juger ce qu’est la vraie douleur : elle joue celle qui fait des pleurs de cinéma, des faux pleurs qu’au début on trouve juste un peu forcés, puis qui se terminent en rire. Scène typiquement coréenne, au vu de toutes les comédies locales qui se mélangent au drame.

Justesse, finesse, intelligence encore dans la représentation du kidnapping (désolé, dur de ne pas faire de spoiler) : Shi-ae est fébrile, maladroite, parce que son corps se dérobe déjà, il a compris l’inéluctable, son ventre le lui a dit, le ventre d’une femme comprend tout avant. Shi-ae a vu dans les films, comme nous, ce bon vieux truc de mettre quelques vraies liasses au dessus mais des coupures de papier au fond du sac (pensée qui traverse : combien d’heures sans sommeil elle a passé à découper ça ?). Puis elle se dit, non, on est pas au cinéma, d’ailleurs ça marche jamais ce truc, à chaque fois le méchant il découvre l’arnaque, je risque trop, on laisse tomber, on est trop pauvre et seule pour jouer à la maligne. Jeon Doo-yeon a aussi une scène de sexe qui ne la dénude pas, mais peut être lui inflige pire, cela l’humilie et la brutalise. Elle peut être aussi une mère idéale, joueuse et courageuse.

Parmi tous les mélos coréens accablés de fatalité, parmi tous les films sur les morts les plus atroces (ici, sans le dire une seconde, Lee Chang-dong parle aussi du terrorisme qui frappe à l’aveugle), parmi tous les films lacrymaux qui ne veulent pas draper la douleur dans une froide retenue, Secret Sunshine est une synthèse, un mètre étalon, un des plus grands films coréens et au delà, très coréen mais plus universel que d’autres, celui qu’on pourra nommer à chaque fois quand quelqu’un nous demande «pourquoi tu aimes le cinéma coréen?» : parce que Secret Sunshine.

Parce que Jeon Do-yeon, parce que Lee Chang-dong évidemment, qui n’était même pas parmi nos cinéastes préférés. On ne pouvait que reconnaître sa finesse et son culot, maintenant on découvre que le travail sur le corps de l’acteur est une constance chez lui : dans Peppermint Candy, il violente le corps de la Corée, lui met un train dans la gueule, le roue de coups pour qu’il se réveille. Dans Oasis, il s’agit de tordre l’acteur jusqu’à en faire une chorégraphie, manière de faire sortir la beauté de l’infirmité. Cette thématique est poussée encore plus loin dans Secret Sunshine, film sur la séparation entre le corps et l’esprit, sur ce qui reste dans le corps alors que l’esprit cherche à l’évacuer, sur l’influence dans le corps et l’esprit d’éléments invisibles : le Mal pour tous, Dieu quand on y croit.

Secret Sunshine parce qu'en une scène, Lee Chang-dong fait s’écrouler tout l’édifice construit par toutes les religions depuis des siècles, parce que le gouffre métaphysique qu’il ouvre après est un vertige dont on ne sort pas indemne. Shi-ae va voir son ennemi juré, celui qui lui fait perdre foi en tout mais en même temps lui fait découvrir que la vie est faite d’absurdités impalpables, invisibles, le mal qui est partout, dans le voisin comme dans l’étranger, le premier devenant le deuxième en un instant. Peut être ce Mal est aussi porté par les rayons de soleil, et rend le «Sunshine» si «Secret», peut être est-ce Dieu qui l’a créé disent aussi les religions, puisqu’elles ont réponse à tout. Shi-ae vient pour pardonner comme on lui a dit de faire. Elle découvre un homme apaisé, qui a, comme elle, confié son âme à la religion, la même religion. Il lui dit qu’il s’est déjà pardonné lui-même, donc son pardon à elle ne sert plus à rien. Comment Dieu a-t-il pu distribuer si mal le pardon, confier cette faculté d’abord à l’ennemi, le volant ainsi à la victime ? Si chacun se pardonne soit même, à quoi ça sert de faire appel à une loi plus ou moins religieuse ? Si on en revient finalement à sa loi personnelle, à quoi ça sert de vivre ensemble ? Comment s’étonner, alors, qu’un membre d’une communauté partageant les mêmes croyances, la même culture, puisse tuer un autre ? Comment Shi-ae peut elle détester son ennemi s’il a suivi exactement le même parcours spirituel pour arriver au point ou elle voulait aller ? Mais comment peut elle ne pas le détester ?

La tête totalement explosée de questions métaphysiques, Shi-ae s’écroule. Puis elle s’énerve, et on trouve particulièrement saine sa folie blasphématoire. On rigole, parce qu’on rigole aussi beaucoup dans Secret Sunshine. Elle fait la pétasse en rut devant ce grand béta joué par Song Kang-ho (on y revient, à lui), tournicote autour du sujet, lui demande s’il ne voit pas de quoi elle parle, lui dit que non, même s’il a parfaitement compris, il est trop mignon pour oser sortir le mot, alors elle le dit avec les yeux qui brillent, la bouche heureuse, comme si elle mangeait une fraise juteuse : «Sex». Ça rappelle le «fuk» (héhé, passée la censure Cinémasie...) final de Nicole Kidman dans Eyes Wide Shut.

Assez de comparaisons, l'évidence saute aux yeux de tous : Jeon Do-yeon est LE prix d’interprétation à Cannes, elle a même encore plus conquis le public du festival en recevant le prix avec une timidité de gamine, une modestie de débutante. Si tout le monde s’incline bien bas devant elle, il semble que le film en lui-même n’a ravi que les conquis d’avance : ceux qui ont participé au film et ont été en plus charmé par leurs auteurs, les amateurs de cinéma coréen, les coréens cultivés. On a du mal à comprendre certaines critiques tellement le film nous parait d’une intelligence rarissime et en même temps accessible, grâce à une réalisation qu’on ne peut qualifier que d’idéale, car juste, modeste, dévouée pour ses acteurs, filmant avec une économie et une fluidité exemplaire, la caméra placée là ou il faut pour les nécéssités de la scène, sans perdre le sens du cadre, avec une lumière plus travaillée qu'elle n'y parait.

S’il fallait convaincre encore, parlons de Song Kang-ho. Ici, il est un garagiste amoureux, adorable, d’apparence con, assurément benêt, mais qui comprend avant Shi-ae que la religion est avant tout un truc bien pratique pour se sentir exister et être ensemble, puisque pour lui ça sert d’occasion de draguer. Song Kang-ho a peu de scènes mais il les irradie toutes, ce gars-là, il jouerait un tabouret et de surcroît le ferait aimer d’une femme. Et puis ce rôle magnifique joué par une inconnue, la fille du psychopathe, enfant perdue qui fera elle aussi un long parcours dont on ne verra que des bribes, concises, essentielles, bouleversantes.

On pourrait regretter qu'un discours très ambitieux n’ait pas amené une forme cinématographique originale, mais Secret Sunshine est un film simple, du cinéma de vie, de gens, de tripes, qui part de là pour aller au plus haut. A l’inverse, quand le critique star de Variety compte que le film a exactement vingt minutes de trop et manquerait de musique mélo, on a la confirmation que Lee Chang-dong est bien un des résistants au formatage cinématographique. On peut pinailler. Oui, le dernier plan du film n'est pas très joli et faible en symbolique. Oui, quelques lignes de dialogues sont un peu redondantes. Mais non, concernant la durée, à tout prendre, le film est trop sec dans sa conclusion. Alors personne ne peut établir de certitude, tout est à discuter, jusqu’à la douceur apparente des rayons de soleil.



28 mai 2007
par Yann K


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