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S-21, la machine de mort khmère rouge

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les avis de Cinemasie

6 critiques: 4.42/5

vos avis

17 critiques: 4.43/5



Xavier Chanoine 3.5 Mémoire d'une descente en Enfer
drélium 4 Des hommes devenues machines... pour toujours
Junta 5 Oeuvre indispensable à la mémoire collective et à celle du peuple khmer.
Ordell Robbie 5 La Mécanique du Mal
Ghost Dog 4.5 Des animaux et des robots
Yann K 4.5 Magnifique
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Mémoire d'une descente en Enfer

"Je ne veux pas me venger sur ces gens. Mais nous dire d'oublier, parce que c'est du passé...Ce n'est pas comme passer une mare et se mouiller, ça sèche et on oublie. C'est une histoire douloureuse, vraiment douloureuse et même vingt ans écoulés, c'est peu de temps. Ca n'a pas "séché"."

"Nay Nân était assez belle, j'éprouvais pour elle de l'amour et de la pitié mais à ce moment, elle était l'ennemie. Il était interdit d'avoir des sentiments pour les filles et interdit d'aimer une ennemie. Mon coeur me brûlait, j'étais plein de désir sexuel, j'étais furieux de ne pouvoir ni lui faire l'amour, ni la toucher, ça m'a énervé, j'étais plein de haine, et j'ai frappé l'ennemie. .

"Ici c'était très silencieux. Personne ne passait ni ne circulait. On transportait les détenus de Tuol Sleng à ici. Arrivés ici, à Choeung Ek, on démarrait le groupe électrogène dans la baraque pour qu'ils n'entendent rien, pour les rendre sourds. On reculait le camion jusqu'à la baraque, on remontait la bâche, on les jetait par terre et on les faisait entrer dans la baraque. Puis on les faisait sortir un par un, on notait les noms, on leur mentait [...] On mettait le détenu à genoux. Il avait les mains liées dans le dos et un kramar sur les yeux. On prenait une barre de fer et on frappait en visant la nuque. Il tombait face contre terre. Avec un couteau, on l'égorgeait."

D'une sincérité qui laisse blême, S-21 est un documentaire vérité d'une importance non négligeable. Des images qui restent ancrées dans l'esprit, inévitables car véridiques, comme ces gestes robotiques répétés toutes les minutes par un garde, reconstitués par ce dernier près de trente ans plus tard devant la caméra de Rithy Panh. Du côté des victimes et des bourreaux (aussi victimes de l'endoctrinement), personne n'a oublié.

16 octobre 2007
par Xavier Chanoine




Des hommes devenues machines... pour toujours

S21 ne cherche pas le coeur ou les sentiments, jamais et heureusement pour un sujet aussi grave. S21 montre très froidement des témoignages et une reconstitution minutieuse au sein même d'un lieu au souvenir abominable. Il s'attarde même et peut-être trop sur ces tortionnaires et la mécanique bien huilée de leur "travail" et délaisse un peu du même coup les victimes comme le peintre en particulier, d'une bonté renversante, qui tente d'extraire les raisons de cette folie au plus profond du reste de coeur de ces hommes étiquetés ennemis. Ces hommes qui ont vraiment du mal à montrer le moindre sentiment humain et ne lui offrent aucune réponse puisqu'ils se placent en victimes du système. "A cette époque, je ne voyais pas aussi loin" répond un garde interrogé par le peintre sur une raison quelconque de ses actes. Manifestement, 20 ans après, ces gardes ont tout gardé de leurs automatismes. Ils se sentent encore chez eux en ces lieux désertés et il ne leur faut que quelques minutes pour être en adéquation parfaite avec leurs anciens rituels d'humiliation, de torture et de mort. Leurs origines, ç'est cette mécanique du parti, des enfants élevés à mettre les ennemis du régime d'un côté et eux de l'autre, élevés à ne plus voir des hommes en face d'eux mais de simples animaux.

Le réalisateur ne juge pas et sa caméra reste constamment distante, mais oppressante, avec ses plans éloignés ou ses faciès graves et perdus. Ma première impression est le difficilement supportable. Difficile d'apprécier un documentaire qui se veut lui même une machine, décortiquant une machine à tuer insensée par les seuls témoignages d'hommes tous blessés à vie, une vieille machine grippée, figée entre ceux qui cherchent un sens à tout ceci pour comprendre et ceux qui veulent surtout ne pas y donner de sens pour rester des hommes. Une mécanique qui peut être extrapolée à tant d'autres lieux de par le monde qu'elle en fiche le tourni.

19 avril 2005
par drélium




La Mécanique du Mal

Grand film contre l'oubli, S21 est d'abord une expérience cinématographique hors du commun, un film qui prend le spectateur quasi-physiquement, suscitant le malaise en permanence par son "économie" : économie du pathos, économie de la haine de la part des survivants -une telle situation pourrait donner lieu à un déversement de rancoeur, de haine, de désir refoulé de vengeance... Mais non ils restent là face à leurs bourreaux sans chercher ni à pardonner ni à oublier, juste à chercher à comprendre en vain ce qui peut faire qu'un homme perde son humanité-, économie des effets de mise en scène -qui crée la profondeur de champ, la durée lors des scènes de cellules rendant ces moments encore plus terribles par son impassibilité ou use avec pertinence des gros plans pour souligner un détail parce que c'est le sens du détail dans l'exécution de la mécanique de la machine de mort qui fait exploser à la figure du spectateur la barbarie à l'oeuvre-. Cette minutie d'un processus d'extermination était déjà présente dans Shoah mais l'apport spécifique de S21 au cinéma documentaire et au cinéma tout court c'est de donner à la voir.

Le génocide khmer, c'est la mort transformée en travail à la chaîne. Comme dans tout génocide, les bourreaux tentent d'ailleurs de s'abriter derrière l'obéissance aux ordres pour justifier le fait de ne pas s'être senti "en faute" lorsqu'ils ont commis leurs crimes contre l'humanité comme s'ils étaient finalement des ouvriers de l'extermination torturant comme d'autres assembleraient des pièces détachées. Sauf qu'ici des années après les "ouvriers" n'ont pas oublié l'enchaînement des tâches qu'ils devaient exécuter. Tout simplement parce que si leur cerveau voudrait effacer ces moments où ils ont perdu leur humanité leur corps n'a pas oublié lui et cette mémoire corporelle est d'autant plus terrible qu'indélébile. Ce surgissement de la mémoire corporelle est d'autant plus puissant qu'imprévu par le spectateur comme par le cinéaste: les toiles peintes représentant ce qui s'était passé dans la prison, la confrontation avec les victimes, le tout dans des lieux chargés de mémoire ont joué un rôle de catalyseur plus puissant que prévu.

Cet imprévu surgi des conditions de tournage et maîtrisé par un cinéaste, c'est aussi ce qui fait la magie des vrais chefs d'oeuvre cinématographiques, ce qui leur donne cette saveur si paticulière qui obsède le spectateur longtemps après le visionnage, cette cerise essentielle sur le gâteau de la maîtrise de la technique cinématographique et des émotions qui ne peuvent être exprimées pleinement que par le cinéma. Ce S21 d'une valeur intestimable sur le plan humain et cinématographique donne d'ailleurs son sens plein à un terme souvent employé à tort et à travers.



19 février 2004
par Ordell Robbie




Des animaux et des robots

De loin, le bâtiment paraît agréable, situé dans un lieu où la végétation et les oiseaux cohabitent en harmonie et que l’on peut contempler depuis le balcon de chaque étage. Pourtant, il y a 20 ans, 17 000 des 2 millions de cambodgiens tués au total y ont trouvé la mort après les pires sévices et tortures, et sans savoir pourquoi. Rithy Panh, qui se bat depuis des années tant dans ses fictions que dans ses documentaires pour ne pas que l’on oublie le génocide khmer, a choisi de réunir dans cette ancienne prison des tortionnaires et des victimes pour échanger leurs points de vue sur cette période de leur vie. A travers les témoignages, les analyses de documents retrouvés sur place et les reconstitutions de scènes de la vie quotidienne, les années de souffrance enfouies dans la mémoire de ces hommes réapparaissent à leurs yeux comme aux nôtres, dans toute leur horreur et leur absurdité.

Malgré le temps, les tortionnaires n’ont pas réussi à se débarrasser de leurs réflexes de robots meurtriers appris très jeunes, et se révèlent capables de les reproduire au mot et au geste près ; même s’ils avouent avoir été dupé par le régime, qui les faisaient remplir des cahiers entiers de dénonciation de prisonniers sans fondements dans le seul but de créer la terreur dans tout le pays, on a du mal à cerner chez eux du remords ou des regrets. Ils ont choisi d’obéir aux ordres et de respecter les procédures au pied de la lettre pour leur confort, trop effrayés qu’ils étaient de mourir. Face à eux, l’incompréhension des survivants est bouleversante ; à défaut d’une justice qui n’interviendra jamais pour punir les véritables auteurs de ces crimes contre l’humanité, ils cherchent dans cette confrontation des éléments de réponse à leurs questions trop souvent ressassées dans leur esprit, mais en vain. Traités comme des animaux pendant des mois – enchaînés, battus, insultés, à peine nourris pour des raisons encore obscures - , ils ne parviennent pas à faire le deuil de cette époque ni à passer l’éponge. Comment le pourrait-on ?

Devant cette misère psychologique infinie, le spectateur reste éberlué et a des frissons dans le dos. Que faire ? Comment réagir face à un tel désarroi ? Comment continuer à garder espoir dans une telle situation d’injustice ? Comment reconstruire une nation sur de tels fondements historiques ? Les questions affluent mais restent en suspens. Comme tous les témoins de ce documentaire, l’impuissance d’action reste le moteur d’une colère difficilement refoulée.



06 juillet 2003
par Ghost Dog




Magnifique

Les principes de ce film peuvent paraitre énormes et infaisables : faire se confronter des victimes de torture ignobles à leurs bourreaux, faire rejouer à ces bourreaux leurs journées comme matons dans le lieu de leurs exactions... Le résultat est bouleversant de retenue et d'intelligence dans le cadre, à l'inverse de ce qu'aurait pu faire une télé américaine, par exemple. Aucun pathos, tous sont dignes et se parlent, comme les derniers survivants d'une apocalypse qui sont obligés de se rapprocher pour maintenir ce qui reste d'humain. On y apprend des choses à peine imaginables (des bourreaux de 13 ans...) et on nous rappelle que les dictatures les plus immondes entretiennent l'ignorance de leurs peuples. Les bourreaux sont ici à court de réflexion, ne sachant même pas pour quoi et pour qui ils devenaient des bêtes sanguinaires. Les scènes ou un tortionnaire rejoue son rôle de maton est terrifiante, car son jeu s'efface peu à peu, il est débordé par l'instinct et redevient la machine à tuer qu'il fut il y a trente ans. Il était alors un gamin paysan, à demi idiot, tué s'il n'obéissait pas aux ordres, on n'arrive pas à le condamner. Le lieu, cette école qui fut transformée en prison, aux murs banals et vides, est un cadre universel : cette histoire s'est passé en Allemagne, URSS, Indochine, Algérie, France, Bosnie et se prolonge encore.

06 juin 2003
par Yann K


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