Alain | 4 | |
Ordell Robbie | 2.25 | Route Interminable |
Sorti en 2002, ce premier film de Kim In Sik a été très bien accueilli par la critique coréenne ainsi que par le spécialiste du cinéma asiatique Tony Rayns. On voit très bien pourquoi: tout d'abord par l'audace de son sujet. Un des grands malentendus concernant le cinéma coréen vient ce que comme il donne une image très américanisée de sa jeunesse au niveau comportement économique -vêtements, goûts musicaux- l'influence occidentale se fait aussi sentir au niveau des moeurs. Ce qui n'est pas du tout le cas en particulier au niveau des rapports de force entre les sexes -le macho bourru est encore l'image du mâle idéal, le travail des femmes n'est pas impossible en particulier dans les milieux aisés mais dans la pratique une mère ne s'occupant pas de ses enfants est mal vue- et de la perception de l'homosexualité -le mariage est encore vu comme LA norme.
Dans ce contexte, le film détonne évidemment par le côté tendre de ses personnages masculins et sa façon d'aborder de manière frontale la question homosexuelle. Qui plus est, le film porte porte aussi un regard sur les conséquences de la crise asiatique au travers du personnage de Seok Won, broker ruiné qui abandonne sa vie de couple et le monde de l'entreprise pour constituer avec l'ancien grimpeur Dae Sik et la prostituée Il Joo un "ménage à trois" où Seok Won et Dae Sik vont progressivement se rapprocher. Le personnage de Dae Sik s'est ainsi vu obligé de quitter son foyer et de mener une vie itinérante afin de pouvoir vivre pleinement sa sexualité -cf les retrouvailles avec son ex-femme- et au lieu de quitter Il Joo avec mépris ou violence lorsqu'il assume pleinement sa sexualité comme on l'attendrait dans un film coréen il la quitte avec un câlin et des mots de regrets. L'attirance que va avoir progressivement Seok Won pour son compagnon de route après avoir compris ses intentions, c'est celle entre deux êtres qui ne se reconnaissent pas pour des raisons différentes dans la société coréenne après avoir essayé et presque réussi leur intégration -économique pour l'un, sociale pour l'autre- dans cette société. Il ne faut pas non plus sous-estimer dans le contexte coréen l'impact de la scène d'ouverture du film: une scène de sexe filmée de façon frontale sans que l'on puisse pendant son déroulement deviner le sexe des protagonistes et dont on comprend ensuite que c'était une scène d'homosexualité. Et la singularité dans le cinéma coréen du refus de traiter de façon mélodramatique les scènes qui ont un potentiel de ce côté-là -les retrouvailles déjà citées-.
Sauf que malgré tout le film n'a pas réussi à me convaincre. Tout d'abord parce que j'ai trouvé que sur le sujet de l'homosexualité il manquait d'universalité. Sur un sujet voisin, Tsai Ming Liang et Wong Kar Wai se placent du point de vue de la question plus générale de la solitude des êtres, thème universel et intemporel et du coup leur cinéma n'a pas besoin d'être replacé dans son contexte pour comprendre son impact. Là où la plupart des films commerciaux coréens souffrent de reprendre le déjà vu ailleurs sans y ajouter leur personnalité, Road Movie souffre d'être trop local. En outre, les scènes du monde des clochards sont peut-être réalistes mais le jeu outré des acteurs rajoute un aspect sordide gratuit à ces scènes-là. Sans compter l'absence d'un vrai projet de mise en scène: le film passe de caméras portées Dogma à un style plus virtuose et à des moments plus contemplatifs -une grande partie du film- sans que cela fasse sens par rapport à ce qui est raconté. Les plans fixes semblent là pour donner au film un cachet "film d'auteur-. Rythmiquement, le film ne parvient jamais à trouver le bon tempo. Mais le plus grave, c'est que Kim In Sik ne fait même pas ce que réussissait le pourtant assez surfait Western -autre film portant comme titre le nom d'un genre cinématographique-, à savoir construire un véritable rapport à l'espace par la mise en scène, ce qui est assez grave quand on veut réaliser un road movie. Les acteurs manquent également de charisme et s'ils s'en tirent à peu près bien dans un jeu retenu on ne saurait en dire autant lorsqu'ils jouent de façon plus expressive.
Road Movie, c'est un peu l'antithèse du fameux adage de Gabin sur "une bonne histoire" qui suffirait à faire un grand film: l'exécution n'est pas à la hauteur de l'effort entrepris dans l'écriture scénaristique.