Ghost Dog | 2.75 | Ambiance crépusculaire |
Marc G. | 3.75 | |
Ordell Robbie | 3 | Taipei Story |
Sonatine | 4.5 | Le renouveau d'un genre ? |
Xavier Chanoine | 3.5 | Il pleut et ça saigne! |
Rainy Dog vaut principalement pour 3 choses : son ambiance sombre et crépusculaire qui noie ses personnages sous une pluie diluvienne d’un bout à l’autre du film, le thème de l’expatriation à travers ce yakuza qui a fui le Japon pour Taipei, et l’absence quasi-totale d’énormités et de provocs dont Miike s’est fait le chantre. Seul gros problème, la rencontre de ce tueur à gages avec un gamin de 10 ans abandonné et une prostituée n’apporte jamais la moindre étincelle à un scénario quelconque qui comporte de gros temps morts peu propices à l’enthousiasme. Si Aikawa Sho n’est pas transcendant, il n’est pas non plus aidé par les 2 seules scènes où il est confronté à un Taguchi Tomorowo déjanté. Au final, une relative déception malgré une atmosphère très particulière – ce n’est pas encore pour cette fois que Miike me convaincra.
Il y a deux manières d'envisager Rainy Dog: soit comme un film qui n'est que correct alors qu'il aurait pu être grand du fait des limites de Miike cinéaste, soit comme le symbole de la capacité de certaines conditions de tournage à permettre à un cinéaste de ne pas trop gâcher son talent. Le paradoxe d'un Ichi the Killer par exemple était qu'avec ce film se revendiquant comme une suite de carnages Miike mettait en évidence une certaine sensibilité. Sensibilité qui est présente dans un Rainy Dog. Comme toujours, le matériau scénaristique de départ est mince. Mais vu qu'ici l'approche du cinéaste est plus classiquement auteuriste il s'en sert comme un canevas lui permettant de prendre des chemins de traverse: la belle idée d'un gangster solitaire, mordu de kaiju eiga et effrayé par la pluie, celle de la prostituée partageant la même peur et du gamin qui assiste au meurtre, le film se chargeant in fine de réunir tous ces personnages de marginaux.
Avec cette idée-là, on pourrait vite tomber dans les lieux communs du cinéma asiatique festivalier mais si Miike choisit un style plus contemplatif qu'à l'habitude il en profite pour saisir au vol caméra à l'épaule les petits commerces de Taipei, offrant quelques passages au style plus rythmé et sec qui évitent que le film soit formellement trop prévisible. Surtout, Miike profite de la présence dans le casting d'acteurs qui apportent par leur jeu une spontanéité et une liberté bienvenue au film. La limite du film, c'est que s'il convainc lorsqu'il emprunte les routes non conventionnelles il est bien moins abouti lorsqu'il s'en tient aux conventions du genre et à la scène à faire: faire surgir brusquement la violence comme chez Kitano, d'accord, sauf que ce choix formel tire sa puissance chez Takeshi du fait qu'il se construit autour du personnage Kitano dont le visage n'exprimant rien rend imprévisible aux yakuzas et aux spectateurs l'explosion violente. Ici, il s'agit soit d'exécutions de contrat soit de meurtres que l'attitude patibulaire d'Aikawa Sho rend prévisibles. Le choix de cet acteur dans le rôle principal nuit quelque peu aussi à la force du film vu son manque de charisme et de subtilité dans son jeu. Pour en rester au rayon kitanien, meme avec un filmage plus dynamique des moments de plage ou de la fuite, Miike a quand meme du mal à éviter l'impression de déjà vu en mieux. Quand il choisit pour certains canardages une approche plus sèche à coups de caméras à l'épaule à la Fukasaku, c'est pareil. Heureusement, le film est par moments transcendé par une musique faite de synthés atmosphériques et de riffs de slide guitar.
Reste que si le film est inégal il sait ménager de beaux moments de cinéma qui en font (c'est relatif) un de mes Miike favoris pour le moment.
En visionnant Rainy Dog, il est frappant de constater que le style Takeshi Kitano n'est pas loin. Bien loin de son polar hystérique Dead or Alive ou de son romantique (!!) et horrifique Audition, ici Takeshi Miike choisi un ton beaucoup plus sobre et contemplatif caractéristique du cinéma japonais contemporain (en particulier celui des années 90).
Ce qui fascine dans ce film, c’est le lieu du récit (Taipei) et la langue (le mandarin) qui procurent un sentiment de nouveauté. Un produit hybride ? Sans doute, les personnages s’expriment en chinois, rarement en japonais, et le fait de voir un Yakusa parlait en chinois et évoluer dans une ville autre que Tokyo est, en sois, un rafraîchissement bienvenue.
Yuji est un Yakusa qui semble avoir été banni de son clan et forcé de travailler clandestinement à Taipei. Takeshi Miike se plaît à souligner la précarité de sa vie et renforce ce sentiment par un décors oppressant illustré par cette pluie diluvienne, omniprésente dans le film. Et puis apparaît Cheng, un jeune bambin, muet, qu’une jeune femme lui confie de force avant de disparaître aussitôt. Le film va alors suivre les meurtres perpétrés par Yuji sous le regard inexpressif du jeune garçon qui se contente de le suivre dans ses sombres exploits. Toute l’ampleur du scénario réside évidemment dans la relation Yuji / Cheng auquel s’ajoute l’arrivé d’une prostituée à bout de nerf. Le trio finiront par fuir ensemble, lorsque qu’une chasse à l’homme est organisée par un caïd, dont le frère s’est fait justement abattre par notre Yakusa.
Yuji garde toujours ses distances par rapport à ses deux compagnons de route. Si Yuji est perçu comme un homme sans compassion au début du film, Takeshi Miike finira par dévoiler, par bribes, ses aspects « humains » qui le rapprocheront finalement de Cheng et de la prostituée. La scène la plus illustrative à ce sujet est leurs découverte d’une motocyclette, à moitié enterrée dans la plage, et qu’ils déterreront à mains nues pour pouvoir s’enfuir, plus rapidement vers des lieux moins hostiles. Le final de Rainy Dog porte à son apogée cette relation dans une fusillade finale, tragique et émouvante, qui permet à Yuji de passer d'homme chien (Rainy Dog) à homme tout court.
Il est clair qu’avec Rainy Dog Takeshi Miike signe un film d’une grande poésie qui d’un synopsis d’apparence banale, finit par provoquer l’enchantement. On connaissait Takeshi Miike fou et hystérique, on découvre maintenant avec ce film son côté poète.
Miike poursuit son petit bonhomme de chemin avec en 1997 la réalisation de son Rainy dog, fable crépusculaire et pessimiste sur la survie et le zonage pour échapper aux bandes Triades. Intéressant objet cinématographique, gavé de défaut mais souvent relancé par de petites touches qui font la différence, son "temps de chien" fait la part belle aux séquences esthétiquement géniales, aux éternels temps morts et à un ensemble de passage à tabac pour le moins sérieux réduisant hélas son oeuvre à simple produit Yakuza-eiga sous fond de came, prostituées et d'enfant muet.
On retrouve l'éternel Aikawa Sho dans la peau d'un ex-yakuza tentant d'échapper en vain à la Triade locale. En parlant de triade locale, il est intéressant de noter que le contexte du film ne se déroule pas cette fois-ci dans les inusables coins de Tokyo ou Okinawa, mais plutôt en Chine. Quel plaisir de voir cette mixité culturelle, d'écouter cette merveilleuse langue qu'est le mandarin (ça change des productions HK des années 90 en majorité cantonaises), surtout dans un film japonais. Preuve que les tensions qui règnent entre ces deux fabuleux pays s'appaisent au fil du temps, tout du moins dans le paysage cinématographique, et dieu merci.
Miike en constante recherche de style et d'identité prouve qu'avec trois fois rien et un peu de bonne volonté (plus de qualité, moins de quantité) on peut réaliser quelque chose de "cohérent", "stylisé" et "classe". On passera sur le côté "classe" de l'oeuvre pour d'avantage s'attarder sur les petites intentions géniales qui parsèment son oeuvre. Des plans incroyablement réussis, comme cette séquence où la jeune prostituée déshabille Oji dans une pièce glauque et sombre, et découvre le tatouage yakuza dessiné sur son dos grâce à la lumière des éclaires qui tombent du ciel, ou alors lorsque la pluie se met à tomber et "qu'il ne sort jamais quand il pleut". Du style et de bonnes idées, Rainy dog n'en manque pas c'est sûr. D'où un scénario pas souvent très finaud ni original, laissant libre cours aux idées de style, quasi conceptuelles (Miike étant une nouvelle fois en recherche de style) et souvent particulièrement attrayantes. En fait, on est presque amené à s'emmerder sec devant Rainy dog, heureusement qu'émane de la générosité et un véritable sens de l'alerte tout au long de cette 1h40. Alerte dans le sens où Oji n'a aucun répit et à tout moment peut être amené à flinguer des types qui discutaient jusque là tranquillement sur une terrasse de café. La Miike's touch en plus.
Les éditeurs de DVD ont vraiment la mémoire courte lorsqu'ils travaillent sur un Miike. On y trouve une satané quantité de daubes monumentales, tandis que certaines oeuvres mille fois plus sensibles passent à la trappe ou se retrouvent dans les rayons des marchés HK. Oubliez les grotesques Dead or Alive, la tentative Zebraman pour vous pencher plus pleinement sur les oeuvres hélas trop peu méconnues de ce -finalement- génial cinéaste surtout quand son Rainy Dog bénéficie enfin d'une édition digne de ce nom. Mais il y a eu Dead or Alive entre temps...
Esthétique : 3.5/5 - Crépusculaire à souhait, sombre voir carrément glauque. Ca transpire et ça mouille. Musique : 3.5/5 - Première collaboration avec Koji Êndo. Style étonnant et très varié. Interprétation : 3.5/5 - Sho Aikawa porte trop souvent des lunettes de soleil... Scénario : 3/5 - Classique, mais relancé par des idées souvent appréciables.