visiteur | note |
Mohamed Bouaouina | 4.75 |
1990 ; deux ans après sa première réalisation Rouge Vertige (5ème Angel Guts), Takashi Ishii décide de reprendre la caméra en tournant un polar pour la Vidéo ; Gekka no Ran (qu'on peut traduire par L'Orchidée du Clair de Lune ou La Lune de la Colère), un pur western urbain dans la lignée des Gekiga qu'il dessine (Manjushaka, Gad'damn !! qu'il adaptera la même année en Vidéo avec Hiroshi Ozawa dans le rôle principal, mais aussi les classiques comme le The Angel Guts d'origine, The Black Angel, Yokosuka Rock, The Ivory Devil, Python 357...) et des DTV du moment (notamment Misty de son ami Toshiharu Ikeda, qu'Ishii co-scénarise sans être crédité).
Pour un DTV, on peut clairement parler de coup de maître. La première scène est un plan-séquence en caméra subjectif, annonçant très clairement la première partie d'Enter the Void, montrant tout le bonheur d'un homme, un bonheur qui prendra tragiquement fin avec un mystérieux flingueur qui exterminera tout le monde (épouse, enfant, amis) et laissant le pauvre homme pour mort.
Dix ans plus tard, on retrouve ce personnage qui survit tant qu’il le veut, s'est laisser aller dans le nihilisme et le jeu (on peut dire que le Mah-jong est un peu l'équivalent japonais du Poker dans le cinéma américain), étant trop mort pour se suicider, un peu comme Lambert dans Tchao Pantin !. Et tout comme le personnage immortalisé par Coluche dans le chef-d’œuvre de Claude Berri, cette longue mort lentement programmée sera mise en sursis par un jeune homme (pur équivalent du personnage d'Anconina) et bien sur une femme, ou plutôt deux femmes ; l'une, une jeune Idol, qui lui donnera la force de se battre et l'autre, une tenancière de Ryôkan sosie de sa défunte épouse, qui lui donnera le courage d'aimer à nouveau…
Amoureux du Plan-Séquence devant l'Eternel, Ishii se laisse aller à un tour-de-force en montrant un plan fixe d'une bonne dizaine de minutes où l'on passe aléatoirement d'un flash-back à une scène de rêve en passant par un joli retour au présent suggérant un lendemain meilleur… Car c'est toute la beauté du cinéma de Takashi Ishii ; montrer de la poésie et de la douceur dans la plus grande noirceur absolue. Mieux que John Woo ! Ce film annoncera le plus évidemment du monde le chef d'œuvre que sera Gonin, mais aussi son moyen-métrage récréatif Tokyo G.P.
Grand cinéphage, Ishii réussit également le pari de rendre élégamment hommage aux deux grands classiques du cinéma Hollywoodien ; Sueurs Froides et La Prisonnière du Désert. Cela à travers les deux personnages féminins ; la sosie de l'amour perdu et la jeune fille enlevée et bafouée. Ces deux films ont inspiré à un autre auteur existentialiste son plus grand scénario ; Paul Schrader pour Taxi Driver (on a aussi deux femmes croisant le chemin de l'anti-héros, qui prend les armes à la fin, tel un kamikaze, pour sauver la plus jeune).
Comme les Revenge-Movies de Kiyoshi Kurosawa, ce grand polar démontre, en plus que Takashi Ishii est un des plus grands formalistes de notre époque, que la Vidéo au Japon, c'est comme le Cinéma Erotique ; un grand laboratoire d'idées permettant de s'exprimer artistiquement et devenir ainsi un Auteur à part entière. Ce qui n'est pas tout à fait le cas aux Etats-Unis.