La condition de la femme.
Naruse Mikio dresse sur plus d'1h30 le portrait d'une femme au foyer qui visiblement s'ennuie de son train-train quotidien et de la vie qu'elle mène avec son mari, un homme d'affaire plus occupé à demander quand est-ce qu'on mange plutôt que de s'occuper pleinement de son épouse. Nous suivons donc ce couple au travers de petites histoires qui vont chambouler leur vie, comme l'arrivée d'une jeune fille fugueuse (qui n'est autre qu'une nièce) qui va jouer un rôle prépondérant quant à l'avenir du couple. En effet cette dernière, allumeuse à ses heures, drague Hatsunosuke pour s'amuser, rend jalouse Michiyo au point de quitter Osaka pour Tokyo histoire de se changer les idées devant tant d'ennui. Naruse développe ainsi cette sensation de lassitude qui peut régner dans un couple banal, insiste sur les petites piques - inoffensives certes - de chacun histoire de provoquer l'explosion au sein du couple. Les assiettes ne voleront pas, pudeur et respect oblige, mais on se plait à ricaner devant les mimiques de l'agaçante Satoko, véritable peste.
Le repas c'est aussi une chronique d'une société où les hommes n'ont pas la cote, délaissant les femmes au profit du travail ou alors étant tout simplement célibataires parce qu'ils trouvent les femmes "méchantes". Les femmes sont aussi taxées de boniche (à l'époque ce n'était pas faux), image typique de la femme au foyer préparant le riz et la soupe pour le mari qui n'a plus qu'à passer à table une fois rentré du boulot. Forcément avec un tel quotidien la lassitude s'installe suite à n'importe quelle étincelle (ici la jeune Satoko), les êtres se séparent pour mieux se retrouver par la suite. Certaines séquences sont d'ailleurs géniales, de même que l'interprétation d'ensemble absolument irréprochable. Rarement aura t-on vu pareil mélange d'émotion en une séquence (doute, anxiété, jalousie, frustration), surtout avec le personnage de Michiyo interprété avec justesse et sincérité par Hara Setsuko. N'oublions pas Uehara Ken dans la peau du mari un peu dépassé et Shimazaki Yukiko campant le rôle d'une fille trop gâtée.
Dans l'ensemble et malgré le poids des ans, la réalisation de Naruse reste tout à fait acceptable. Si elle ne fait pas preuve d'un génie quelconque éclipsant ainsi toute "marque de fabrique", l'ensemble tient la route avec une mise en scène stricte, tout juste apercevrons-nous quelques travellings et plan-séquence très courts en guise de mouvements. Un bon point pour la très élégante musique, soutenant les passages clés (durant une grosse partie du prologue et en fin de métrage) comme il était coutume dans les années 50. Bref, Le repas est un film à voir pour ses élégants portraits de femmes, proche du film historique à part entière. Il est d'ailleurs visible à St-Michel sur Paris jusqu'au 1er décembre dans une copie très satisfaisante.
Esthétique : 3/5 - A film qui ne demande pas d'artifice, rien de bouleversant donc. Mais l'ensemble est sans faute.
Musique : 3.5/5 - Belle musique qui sait se faire discrète quand il le faut.
Interprétation : 4/5 - Du solide et du sincère. Protagonistes impliqués et attachants.
Scénario : 3/5 - Le bouleversement d'un couple selon Naruse Mikio. Intéressant et souvent très joli.
un film sur le couple renversant de beauté
Description du quotidien des bureaux, de l'usure du couple, femmes luttant contre un mariage arrangé, on semble a priori dans un univers à la Ozu. Mais Ozu et Naruse ont quand meme des différences : si Naruse utilise beaucoup de plans fixes, leur enchainement est plus rapide que chez Ozu. Les intérieurs ne sont pas systématiquement filmés à hauteur de tatami. Les plans rapprochés montrent une attention aux personnages. Naruse utilise moins souvent le symbolisme des objets (pied écrasant le cadeau d'une prétendante, sandale retournée par une voisine ayant remarqué une infidélité du mari) et se concentre plus sur les situations. L'intime n'est pas traité à part égale avec le professionnel comme chez Ozu. Naruse utilise la voix off pour montrer l'ennui de Michiyo. Il est d'ailleurs plus concentré sur la condition de la femme japonaise qu'Ozu et nous la montre piégée par les conventions sociales et essayant d'y échapper. Et il n'a pas abandonné le mouvement cinématographique comme Ozu (on a encore quelques travellings qui suivent le déplacement des personnages). Mais le point le plus extraordinaire chez Naruse est la direction d'acteurs : les acteurs chez Naruse arrivent à exprimer des nuances extraorodinaires, à montrer la joie et l'ennui dans le meme regard, la performance de Setsuko Hara, mélange de glamour, de joie de vivre, d'ennui et de dérision est tout bonnement anthologique, c'est elle qui porte le film par toute son énergie et qui touche le spectateur en exprimant ses hésitations par une palette virtuose de regards.
Eloge de la servitude volontaire ou desperate housewive version 1951
Setsuko Hara s'ennuie. Son mari, pas méchant au demeurant, la traite en bonniche ; native de Tokyo, elle s'ennuie à Osaka ; elles masque à ses amies, qui la croient comblée, ses désillusions. Arrive la nièce de son mari, jeune allumeuse en fuite, qui en s'installant dans le foyer, donne à Setsuko le courage de fuir un temps celui-ci. Le film conserve un grand charme en dépit de ses limites. Certaines pistes sont esquissées (le boursicotage du mari, les amours passées de setsuko, l'absence d'enfant) sans vraiment être approfondies; les seconds rôles sont un peu faibles. Restent quand même la petite musique narusienne et une prestation exceptionnelle de Setsuko Hara.
C'est joli, n'est-ce pas ?
Naruse est un grand producteur de série, un sauveur comme pouvait l'être W. S. Van Dyke II durant l'âge d'or de Hollywood. C'est un homme dont la mobilité de caméra est un merveilleux exemple du mimétisme technique qui a hanté toute l'Asie dans sa tentative de s'approprier un médium dont elle n'aura de cesses, en même temps, de proclamer l'hétérogénéité par rapport à elle. Naruse est un étranger dans son propre élément. Un étranger qui circule, qui écrit de délicates histoires dont les visages et les paroles sont différents, mais qui au fond auraient tout aussi bien pu être incarnés par Ingrid Bergman ou Joan Crawford, Humphrey Bogart ou Clark Gable. C'est pour cela que Naruse fait de belles histoires. C'est pour cela que Le repas est une belle histoire. C'est un film de série qui déroule les mécanismes de la série dans toute la pureté d'assomption de son statut. C'est un film libre dans un monde de contraintes. Certains voulaient le comparer à Ford. Ce n'était peut-être pas si faux.
Le repas du guerrier
Naruse est définitivement un très grand réalisateur totalement sous-estimé. Ses oeuvres sont difficiles à voir, son nom n'est rarement cité et il est quasi-inconnu du gros de la critique et du public international.
Pourtant ses (tardives) oeuvres sont d'une parfaite maîtrise absolue et il n'avait de pareil pour décrire les petites choses du quotidien sans grands effets, mais avec une méticulosité du détail réaliste, qui laisse pantois.
Tel ce "Repas". Si peu de choses s'y passent et pourtant...les personnages sont décrits avec minutie, leurs comportements troublants de vérité.
Situé dans les immédiates affres de l'après-guerre, Naruse dépeint avec justesse la difficile vie au quotidien d'une nation alors en pleine restructuration; même ses quelques visites "guidées" d'Osaka et Tokyo sont un rare témoignage des villes de l'époque (Tokyo est méconnaissable par rapport à la vision futuriste que nous avons de cette ville de nos jours).
Tout en douceur, il dépeint le banal quotidien d'une femme, littéralement "emprisonnée" dans le rôle d'une femme captive de son mariage. Enviée par certaines copines esseulées, elle n'est pourtant pas heureuse à répéter inlassablement les mêmes gestes jour après jour. Telle une Madame Bovary - l'ironie et la mesquinerie en moins - elle se rêve une autre vie.
L'élément perturbateur en la personne de la nièce frivole bouleverse les habitudes données : le mari se re-découvre la passion, qu'il avait dû témoigner à sa femme à leurs débuts, alors que son épouse se remémore son insouciance et ses folles années de jeunesse "gâchées".
Aucun coup d'éclat à attendre, un simple constat qui se terminera de la manière la plus réaliste du monde (contrairement au roman adapté, resté inachevé) et où tout reprendra son cours banal.
Ou, comme le pense l'héroïne, "Côte à côte avec cet homme, ensemble avec cet homme, je vais vivre en cherchant le bonheur". Lénifiant !