Euphorisant malgré la pose
Tropical Malady a fait du bruit à Cannes, c'est sûr. Le boucan des claquements de sièges et des sifflets en a fait le nouveau "scandale" annuel sans lequel Cannes ne serait pas Cannes (Assassins, Irréversible, the Brown Bunny, liste non exhaustive...). La conférence de presse fut désertée par beaucoup de journalistes manquant du minimum de devoir de professionnalisme qu'on attend d'eux surtout concernant un film présenté à la Sélection Officielle. Une partie de la presse française cria au chef d'oeuvre qui aurait mérité la Palme, à l'OVNI génial, au nouvel "artiste génial et maudit". La presse du reste du monde trouva le film hermétique dans le meilleur des cas voire poseur. Toute cette controverse finit par aboutir à un Prix du Jury cannois partagé avec Irma P Hall pour the Ladykillers en forme de prix de compromis pour un film ayant autant divisé le jury que les festivaliers. De mon côté, je ne veux pas choisir mon camp concernant le cas Weerasethakul. Faire partie des défenseurs passionnés serait passer sous silence le caractère poseur de certains choix de mise en scène du film et de certaines de ses audaces. Rejoindre le camp des détracteurs serait nier que tomber épisodiquement dans la pose n'est pas forcément synonyme d'être un cinéaste roublard. Rien en effet qui soit véritablement du calcul de petit malin dans ce Tropical Malady où l'on retrouve la naïveté dégagée en interview par son auteur. Tropical Malady se déploie ainsi en allant dans deux directions antagonistes à l'image d'un film coupé en deux par un double générique en forme de gadget arty très en vogue dans le cinéma d'auteur thaïlandais: la pose et le gros n'importe quoi jouissif.
Toute la première partie du film ressemble à du cinéma calibré pour cinéphiles en manque de grands cinéastes taïwanais. Après s'être ouvert sur une citation littéraire pompeuse, le film enchaîne sur un couple tentant de bien vivre son homsexualité en Thaïlande en descente de Tsai Ming Liang. Le travail sur le son y fait expérience sensorielle et "signe extérieur de modernité cinématographique". La mise en scène abuse du plan fixe distant comme d'un tic revenant à intervalles réguliers. La durée des plans s'y déploie alors qu'il n'y a pas toujours grand chose à voir dans le cadre. Sauf que Weerasethakul prend parfois le temps de vraiment regarder ses personnages et que la naïveté des dialogues et des attitudes des acteurs ne peut s'empêcher de donner à cette partie son petit charme. Cette partie du film parle assez peu mais lorsqu'elle parle c'est souvent pour offrir des discussions garanties sans addition de cynisme. Les dialogues autour des Clash y poussent le bouchon fleur bleue tellement loin que ça en devient comique. Le passage chanté aurait pu se retrouver dans n'importe quelle production Bollywood.
Mais ce début vaut surtout pour sa première série d'idées vraiment délirantes. SPOILERS Une parabole sur la soif de richesse dont la morale à deux francs se retrouve illustrée par une référence à Qui veut gagner des millions?. Le film débouche ensuite sur une visite de caverne en forme de Temple Maudit cheap FIN SPOILERS. Vient une seconde partie pas longuette comme la première et bien plus réussie avec son lot d'idées d'un n'importe quoi plaisant atteignant toujours leur cible. Au programme des réjouissances SPOILERS une femme à queue de tigre, un singe parlant, un ninja. Un soldat s'y enduit aussi le visage de boue pour faire son Predator dans la jungle thaïe. FIN SPOILERS La lenteur finit par faire sens parce que faisant écho à l'ambiance de chasse à l'homme (aux esprits?) attentiste de cette partie-là. Le film gagne alors au fur et à mesure une charmante saveur de Predator en mode ralenti. Les inserts poseurs de commentaires écrits n'arrivent alors même pas à gâcher le plaisir de cette partie-là. Suite dans la jungle de la première partie? Autre variation sur le rapport amoureux, sur la quête et l'obsession de l'être aimé? Les deux probablement. Voir cela comme deux parties se faisant écho donne du coup au film sa cohérence et un vrai sujet... sans faire pour autant crier au génie comme ses laudateurs.
A ce stade, le plaisir que le film procure est bien plus grand que certain de ses travers poseurs. Et la guerre intense que s'y livrent la pose et le gros n'importe quoi se solde par la victoire progressive du second par KO. D'où un objet de cinéma bien plus stimulant qu'un Blissfully Yours, aussi convaincant en tant que divertissement inventif qu'en tant que film d'auteur. Les malentendus autour du cas Weerasethakul proviennent en fait de la façon dont ses plus ardents défenseurs tentent d'en faire le grand cinéaste d'avant-garde qu'il n'est pas. Mais la créativité rafraichissante de Tropical Malady méritait quand même bien de se faire une petite place au milieu d'un palmarès cannois cuvée 2004 très décevant.
Exigeant et surprenant
Tropical Malady exerce un pouvoir fascinant sur celui ou celle qui tente de jouer le jeu. Jusque là c'est simple, le film de Weerasethakul n'a pas d'équivalent, il en est même décevant de devoir le comparer à d'autres oeuvres qui n'ont rien à voir hormis le rapport à la jungle et au silence d'un Predator, gros actioner calibré qui fit date dans l'histoire de la SF. Tropical Malady, saveur de SF? Pas sûr, la "fiction" n'étant qu'un pur prétexte de légende Khmer renvoyant aux dessins minimalistes de Michel Ocelot, sympathique opportuniste et conteur glucose du cinéma d'animation. Passons, Weerasethakul ne cherche pas la gratuité du plan interminable, du moins il ne la cherche plus comme pour Blissfully Yours réalisé deux ans plus tôt et summum du film poseur par excellence (mais non dénué de certaines qualités), ici il conçoit l'imaginaire qui prend racine dans la terre et les Hommes : Keng et Tong sont deux amoureux distants et vont se trouver séparés sans aucune explication plausible, parce que c'est écrit dans la légende du Chaman Khmer.
Et à Weerasethakul de tirer les ficelles de son propre bijou onirique et de nous transporter dans un rêve, paradoxal mais tellement réaliste, où le banal (discussions entre amis, discussions entre soldats, discussions entre famille, chien malade...) côtoie l'inimaginable et le fantastique oriental au gré de coupures tranchantes à la fois de ton et de rythme. Une rupture de ton à mettre à l'actif du changement radical de la narration. Tandis que la première partie, bavarde mais jamais lassante, nous convie à la montée amoureuse de deux jeunes hommes un peu paumés, la seconde tend à inverser la donne, où les deux amoureux se chassent pour mieux se retrouver par la suite, dans une jungle labyrinthique dont le bruit des feuillages, cris de singe et oisillons sont la seule source de son, de paroles. Rythmé par une voix off, délicate et retenue, la seconde partie défend le propos entier du film (l'Homme n'est qu'un animal) et même si ce dernier s'avère absurde, sa représentation à l'écran est sublime. Le cinéaste Thaïlandais n'a pas volé son statut de cinéaste auteurisant, certes, mais à aucun moment son oeuvre donne le sentiment de jouer dans la cour des opportunistes ou des abonnés aux festivals. Tropical Malady joue donc de sa sensibilité et fragilité (lorsque Weerasethakul s'approche du ridicule, il le dévie pour mieux rebondir par la suite) pour mieux surprendre son spectateur. Et inversion des rôles en fin de métrage, le chasseur devient chassé, c'est la loi de la nature, l'arbre couvert de luciole s'éteint comme pour annoncer un nouveau cycle, le cinéaste balance ses dernières cartouches avec de superbes travellings, et le spectateur est heureux d'avoir succombé au charme d'un véritable rêve.
Difficile d’avoir un avis tranché…
Je me suis longtemps demandé ce que j’avais pensé de ce film une fois l’avoir visionné. J’ai adoré la première partie narrant l’histoire d’amour entre 2 jeunes hommes habitant un village du fin fond de la Thaïlande, dont la pureté et le bien-être des 2 amoureux souriants et insouciants transperçaient l’écran comme dans
Blissfully Yours. Mais cette histoire qui, en elle-même, aurait pu suffire à faire un long métrage passionnant, s’arrête brusquement pour laisser la place à la forêt et aux fantômes, une dimension mystique qui sépare les amants et les emmène dans une course-poursuite immensément longue, cérébrale et contemplative qui fascine autant qu’elle agace, d’autant qu’on ne comprend clairement ni la raison de ce brusque retournement de situation, ni où veut en venir
WEERASETHAKUL Apichatpong. Mais plutôt que de tenter d’interpréter ce qui ne l’est pas forcément, peut-être vaut-il mieux apprécier cette oeuvre tel qu’elle est, dans son étrangeté et son mystère, cette œuvre singulière qui assoit définitivement son auteur au rang des cinéastes d’avenir.
Fumisterie démente
Blissfully Yours avait curieusement fait illusion en s’appuyant sur le concept du temps réel, deux ans avant qu’il ne soit remis au goût du jour par 24 heures chrono. Le problème était que pour un film qui se voulait une enclave temporelle dans laquelle un couple s’abandonne à la nature, la photo était d’une laideur hors de propos, et la mise en scène se révélait complètement incapable de donner la moindre sensualité aux corps et surtout à la nature. Et comme Blissfully Yours demandait aux spectateurs le même abandon qu’à ses personnages, il fallait beaucoup de fatigue / de bonne volonté / de gentillesse (au choix) pour se laisser envoûter par la chose, au-delà de la défense pour le principe du film arty de l’année. Vaste fumisterie qui avait réussi son coup.
Bonne nouvelle. Dans Tropical Malady, il y a enfin un bon chef - op (en fait trois) à la mesure des ambitions sensorielles du réalisateur : le film baigne dans une lumière douce, délicate et pour le coup vraiment sensuelle et attirante. Il y a de la lumière mais aussi des plans, du montage, du rythme. Il y a enfin de la mise en scène, et non plus un concept qui faisait office de mise en scène à coups de plans séquences télévisuels. Ça y’est, Apichatpong Weerasethakul réussit enfin à être glamour.
Après une première séquence très intrigante, et un générique tout autant, Tropical Malady débute par la chronique délicate d’un amour entre deux jeunes Thaïlandais, un soldat et son petit ami dans le civil. C’est doux, c’est apaisant, et c’est même drôle, tant cela ressemble à du faux Hou Hsiao-hsien. Un Hou Hsiao-hsien qui serait devenu subitement extrêmement naïf, à la limite de la mièvrerie la plus complète. Certains dialogues sont tellement niais qu’ils en deviennent désarmants. En même temps, j’ai ressenti beaucoup de plaisir à suivre ces deux jeunes amoureux en vacances touristiques pendant la permission du soldat.
Ecran noir.
Long Ecran noir.
J’ai d’abord cru, comme tout le monde, à un problème de projection, avant de me rappeler que le réalisateur du film que j’étais en train de voir s’appelait Apichatpong Weerasethakul, et qu’il avait réalisé Blissfully Yours, vaste fumisterie. Tropical Malady était jusque là trop naïf, certainement trop premier degré pour être honnête.
Un deuxième film commence. Quelques cartons nous expliquent une légende thaïlandaise. Un homme dans la jungle à la poursuite d’un tigre, de l’esprit d’un tigre. Ou d’un homme tigre. On n’est plus très sûrs. Les deux hommes qui jouent au chat et à la souris devant nous sont peut-être les mêmes que dans le premier film. On n’est pas sûrs. Sont-ce les mêmes acteurs ?
D’une lenteur inouïe, ce deuxième film ressemble à un remake version film d’auteur radical de Predator, rien que ça. La mise en scène est impressionnante. La jungle est magnifiquement filmée, dans un jeu d’ombre et de lumières d’une beauté tranquille. Le travail sur le son est phénoménal et contribue à la sensation d’immersion complète dans la jungle. Cette fois-ci, la chose est vraiment envoûtante.
Qu’importe qu’il n’y ait aucun rapport autre que métaphorique ou symbolique entre les deux films (aucun élément ne viendra étayer la chose). Qu’importe que le film ne se termine pas vraiment (à vrai dire, aucun des deux films que contient Tropical Malady ne se terminent). Qu’importe que je n’aie pas arrêté de me marrer pendant toute la projection en me répétant mentalement « Qu’est ce qu’il est train de nous faire, là ? ».
Oui Tropical Malady est une vaste fumisterie. Tout comme l’était Blissfully Yours. Sauf que cette fois-ci, la fumisterie est une proposition de cinéma démente qui résiste à tout concept facile. Apichatpong Weerasethakul est le plus fascinant escroc du cinéma contemporain.
énorme!!!
alors là, c'est du lourd!!!
bon, autant prévenir, ce film c'est "on aime ou on déteste"
pour autant, personne peut nier je pense la créativité qui émane de ce "truc"
en fait,mieux vaut ne pas trop en parler, et laisser les gens le découvrir par eux même; mais je soulignerai juste le fait que la derniere heure du film est peut etre le truc le plus créatif sorti au ciné ces dernières années....ou l'experience formelle la plus extreme de ces dernières années avec "gerry"
moi ca m'a fait penser a du conrad....mais faut en laisser la decouverte.
L'objet de tous les désirs
"Les films d'Apichatpong Weerasethakul ne s'expliquent pas, ils se vivent". (in "Dictionnaire du Cinéma Asiatique").
Après la reconnaissance internationale de son précédent, "Blissfully Yours" (et ce – en grande partie – en raison du seul fait de l'achat et de l'exploitation du film par Luc BESSON, qui a mis de ses propres deniers pour un retour négatif), Apichatpong profite de l'engouement et de la mise à disposition de fonds bien plus importants pour signer une histoire un brin plus ambitieuse. Il ne trahit pourtant nullement ses propres aspirations artistiques, mais investit l'argent dans un projet fantasmé de longue date, qui l'oblige à délocaliser son film au plus profond de la brousse thaïlandaise et d'intégrer au film des effets spéciaux du plus bel effet. Les dix dernières minutes du film donneront ainsi naissance à l'une des rencontres cinématographiques les plus envoûtantes et insolites de son Histoire.
Comme en s'adressant son propre clin d'œil et de faire écho à son univers, le film s'ouvre sur la découverte d'un cadavre. Pendant un moment, le spectateur pense qu'il s'agit de quelque bête sauvage tué par le groupe de chasseurs / militaires, qui se prennent d'ailleurs mutuellement en photo en posant à côté du corps inerte; il s'agit en fait du cadavre d'un homme, le même (du moins ses vêtements laissent le supposer) que celui qui avait conclu le précédent film du réalisateur, "Blissfully Yours".
Rapidement, on est en terrain conquis avec une approche semi-documentariste d'un sujet qui peine à se dessiner; il faut alors se laisser aller au seul flot d'images et de s'imprégner des petits riens qui forment le quotidien. Et en filmant un homme changeant le néon d'une véranda (scène déjà exploitée dans un précédent court-métrage sur le "quotidien en Thaïlande"), des scènes dans une petite ville en provence ou des simples repas en famille, Weerasethakul sait capter au mieux le train-train quotidien des habitants du pays des sourires. Avis aux amateurs: si vous avez déjà visité la Thaïlande et que vous avez eu la chance de vous écarter des sentiers piétinés par les trop nombreux touristes, vous retrouverez instantanément sensations, odeurs et bruits. Si ce pays vous est encore méconnu, sachez que la vie s'y déroule exactement comme dans le film d'Apichatpong. Une admirable reconstitution de la réalité.
Le fameux "point de rupture" arrive pile poil au milieu du film après 57 minutes (le film en fait 114). Un personnage disparaît, seul reste son souvenir sous forme de quelques photos prises par le passé, souvenir qui s'évapore aussitôt par un habile procédé de mise en scène. Noir et embrayage sur une seconde histoire, qui semble ne plus avoir grand-chose à voir avec la première, puisqu'il s'agit de l'adaptation d'une vieille légende khmère sur un chamane, qui possède le particulier talent de pouvoir se transformer en n'importe quelle créature; sauf que cette histoire a été introduite dès les cartons d'explication du premier ("Les hommes sont tous des bêtes sauvages…") et lors de la fin (en "off", on apprend qu'une mystérieuse bête tue le bétail des villageois). On quitte définitivement la ville et les plaines ouvertes (comme dans "Blissfully Yours") pour s'enfoncer au plus loin de la jungle…et de son propre subconscient. En tant que spectateur raisonné, on tâtonne à chercher la suite de l'histoire; or c'est le moment où il faut vraiment se laisser aller au "ressenti" et de "vivre" le film (difficile, je l'admets, sur le petit écran de son salon ou – pire ! – sur son écran d'ordi, alors que le film est facilement trouvable à 5 Euros un peu partout), l'interprétation en découlera tout naturellement en se repassant le trop-plein d'images dans sa tête pendant des jours encore après la vue du film…comme pour la plupart des films d'Apichatpong (je dis toujours: la première vision est chiante à mourir, mais les suivantes révèlent le véritable génie de cet artiste). Métaphore de l'Amour et du sacrifice d'un couple, le film se dénoue en une magnifique séance de pure poésie absolument unique dans l'Histoire du Cinéma. Et de faire d'Apichatpong un re-créateur scénique de la réalité de la vie, mais également un rare poète du subconscient humain.
captivant
Deux films en un. Une première moitié assez convenue qui se regarde d'un oeil distrait. Une seconde beaucoup plus originale et prenante. Je met une note moyenne car je trouve le film pas très accessible.
Ovni
Film divisé en 2 parties. Très bien filmé, en particulier la nature. Mais je ne sais pas quoi en penser. L'histoire d'amour m'a touché, mais la traque en forêt m'a un peu saoulé... Pour moi, impossible de trancher. Un film d'un autre monde.
Métaphore du crapaud
Rien n'y est. Sous ces vrais airs auteuristes poseurs, se cache une volonté de non cinéma tout à fait démonstrative. Ou comment imposer l'art de ne rien montrer.
Certes Tropical Malady gagne sur le terrain de l'immédiateté, aucun autre film au monde n'est plus axé volontairement sur le tout tout de suite.
Ce cinéaste aura rameuté la critique anti-public à ses certitudes isolationiste. Cannes aura vibrer au son du clairon.
Mais est-ce celà le cinéma ? Est-ce une volonté permanente de décrochement ? En ce sens ce film est une véritable course-marathon qui souhaite par son âpreté et son altruisme, perdre le spectateur en chemin. Pari raté, car il demeure une véritable volonté esthétique, dont un plan somptueux, montrant l'homme et la bête face à face lors d'une nuit lunaire, un cliché instantané miraculeux.
Celà dit la démarche de faussaire de ce cinéaste à faire croire au crapaud qu'il est un boeuf, me conforte dans mon désir personnel de cinéma total.