Ordell Robbie | 4 | Fine Lame |
Ghost Dog | 3.75 | Accomplissement personnel en milieu hostile |
drélium | 4.25 | âme pure, sabre pervers |
La Lame Diabolique incarne finalement le parfait contrepoint de Tuer. Les personnages principaux des deux films sont en effet des figures de prodiges. Shingo avait su se montrer d’une grande créativité concernant la stratégie des combats au sabre. Hanpei est lui à la fois jardinier, coureur capable de battre des chevaux et bientôt sabreur techniquement doué. Mais ce qui frappe est dans la trajectoire de Shingo est que s’il ne respecte pas la voie du samouraï de manière académique il est en revanche digne héritier de son esprit. Mettre la tactique de combat avant l’arme même si c’est pour user de techniques non académiques, c’est ainsi respecter le contenu spirituel de cette voie. A l’opposé, Hanpei incarne la dimension académique de la voie. Ce qui le fascine lorsqu’il voit un ronin solitaire pour la première fois, c’est la dimension de maîtrise technique du maniement du sabre qu’il apprendra «à l’œil». Une fois ce maniement maîtrisé de façon virtuose, il va se retrouver «tueur sur commande», incarnant une figure de tueur professionnel sous couvert de légalité. SPOILERS Lorsqu’il tue son maître par accident et regarde effrayé ce dernier mourant, il entend des paroles d’un vieil homme satisfait de savoir qu’il a pu lui transmettre son savoir. La relation maître/élève aura ainsi été de l’ordre du passage de témoin de la technique, non du témoin d’éthique de vie.
Mais ce n’est que vers la fin du film qu’il finira par vraiment ressembler à son maitre. Victime de railleries depuis sa naissance parce que prétendument «fils de chien», sa découverte d’une épée chargée d’un passé maléfique lui fait assumer son statut d’être marginal, d’homme qui tue non par profession mais pour tuer. Un grand changement pour celui qui au début n’aspirait qu’à cultiver des fleurs pour l’être aimé et qui se demandait avant son premier contrat s’il serait capable de tuer. Au point qu’après un changement politique il ne voudra pas partir, préférant assumer jusqu’au bout les conséquences de son maniement de l’épée. Changement dont on peut penser qu’il est totalement consommé à la fin du film. Consciente du guet apens qui lui a été tendu pour le tuer, celle qu'il aime essaie de rejoindre Hanpei. A ce moment-là, les corps de ses ennemis gisent tous par terre sans que le sien soit là. Elle crie son nom. Pas de réponse. On peut alors penser que Hanpei serait toujours vivant mais qu’il aurait définitivement décidé d’assumer une condition de ronin solitaire et de s’inscrire dans les pas de son maître espion. FIN SPOILERS
Formellement, on retrouve la rigueur classique de Misumi. Ainsi que des moments de vraie inventivité. On a ainsi ce superbe plan montrant la lame diabolique du titre se reflétant dans l’œil d’Hanpei ou encore le travail intéréssant de la photographie sur le clair obscur. Lors des scènes de course entre Hanpei et les chevaux, l’alternance plans larges/plans rapprochés du visage/plans rapprochés des pieds donnent à ces scènes toute leur tension dramatique. Lors du superbe combat final, l’intensité dramatique est également accrue par les gros plans de morceaux de cette nature incarnant l’échappatoire rêvé de Hanpei. Le film n’est néanmoins pas l’accomplissement cinématographique total d’un Tuer dont il n'a pas la force épurée.
Mais cela reste un chambara d’excellente facture ajoutant sa pierre à la trilogie : un miroir inversé de Tuer sur le rapport du sabreur à la voie du samouraï tandis que le Sabre fait plutôt figure d’appendice questionnant la manière dont on peut faire survivre la voie du samouraï dans le monde contemporain.
Maitrise formelle incontestable, véritable sens du cadrage, interprétation de haute volée, La lame Diabolique impressionne visuellement. Et comme sur le fond, Misumi évoque un parcours initiatique pertinent et original, celui d’un jeune homme que l’on accuse d’être croisé avec un chien et qui va tenir sa revanche en s’épanouissant dans l’art du sabre jusqu’à en devenir un maitre, on tient finalement un film tout à fait intéressant, même s’il lui manque ce petit plus (rythme ? force narrative ?) qui en ferait un chef d’œuvre.
Hanpei donc, sorte de Forest Gump du japon féodal, est un homme simple et pur qui se découvre des talents innés pour tous les domaines qui le captivent. Au départ, humble jardinier qui "connaît la terre pour faire pousser les fleurs", il se voit engager pour apaiser la folie de son seigneur grâce à son talent qui n’est du reste pas unique. Il se révèle aussi un coureur hors du commun capable de dépasser un cheval au galop ! Sa rencontre, véritable déclic mystique, avec un samouraï ronin le conduit vers la voie du sabre qu’il maîtrisera bientôt comme personne, et ce par la seule observation de ce maître qui l’éduque en secret. Son talent l'amène à tuer pour son clan et plus tard, sa découverte d’un sabre réputé maléfique, au passé de carnages, scellera son destin. Et pourtant, son âme reste pure jusqu’au bout. Il s’agit du sabre, prolongement de lui-même, qui assouvit son talent à tuer et l'hypnotise pour mieux le perdre. Si proche du bonheur qu’il soit, grâce à celle qu’il aime et sa passion pour la douceur et les fleurs en particulier, les troubles engendrés par ses meurtres ne pourront que l’obliger à reprendre le sabre. Il l’accepte d’ailleurs avec force et tient à sceller son destin, en toute honnêteté, avec la même pureté qui le caractérise depuis toujours.
Plus viscéral que la future série Baby Cart, La lame diabolique est aussi plus contemplatif mais s’éloigne déjà du tout classique chambara, aussi noir soit-il, et du précédent Tuer en particulier, pour afficher quelques envies de spectacle à même de divertir le public. Un jardinier soit disant né de l’union d’un chien et d’une femme qui court aussi vite qu’un cheval et apprend le sabre en observant un maître ronin s’entraîner à couper des papillons en deux… Voilà déjà une bonne dose d’originalités qui tranchent net avec le très noir et respectueux "Tuer". En excellent artisan, Misumi offre encore de beaux moments photographiques et quelques superbes travellings, comme cette forêt dense et verdoyante aux troncs infinis et ce ronin solitaire qui se découpe sur l’horizon flamboyant de la brume lumineuse et matinale, ou ce combat passionnel au milieu des fleurs où le cœur du sabreur émerge en force malgré le sang qui doit être versée et la mort qui doit être dispensée.
Sans atteindre l'intensité magistrale et la quintessence de Tuer, la lame diabolique résonne très fort avec celui-ci et est à coup sure une belle réussite autant visuelle que thématique. Plus accessible que "Tuer" et "Le sabre", il se place en bonne alternative entre l'outrance et la dynamique (pas encore tout à fait maîtrisée) d'un Baby cart et le chambara noir et contemplatif toujours très pointilleux et inventif dans son traitement visuel.