Hasta la revolucion siempre!
Portrait ciselé de Hirayama Eiko par un cinéaste aussi engagé que poète des femmes à ses heures, Flamme de mon amour est la représentation même de la violence masculine et de son absurdité auprès des femmes, toutes rabaissées à l'état de cabaud et ceci qu'importe même leur conviction politique. Eiko quitte donc son Okayama d'origine pour se rendre à Tokyo et suivre ainsi le mouvement libéral. Fille indigne auprès de son père et blessée par la fermeture d'une école fondée par Kishida Toshiko, autre grande figure militante pour la liberté de la femme, elle décide de suivre son groupe et d'y faire respecter à son tour l'importance de la femme et son égalité sociale avec les hommes. Le problème est que même au sein du groupe libéral, les hommes ne font guère preuve de respect pour leurs alter ego féminins et les différentes manifestations amèneront à des arrestations. Eiko est alors retenue dans une prison et condamnée à 9 ans de travaux forcés, lieu où elle subira les humiliations (l'idée du viol est même évoquée, sans être démontrée) de la part de la gente masculine, forcément plus imposante lorsqu'elle manie le sifflet et la matraque.
Le propos de Mizoguchi est donc une fois de plus louable, et même si ce dernier persiste coûte que coûte à défendre la femme au sein d'une société visiblement machiste et je-m'en-foutiste des conditions purement humaines, son récit ne semble pas si profond que cela. En fait, si dans l'ensemble le film jouit d'une bonne maîtrise formelle (alternance des plans 3/4 comme une figure d'estampe, lumière ciblée, et gros plans très peu nombreux) et de convictions politiques très fortes (l'introduction est digne d'un mouvement politique contestataire, proche du documentaire), Mizoguchi semble donner à son actrice fétiche le rôle d'une souffre-douleur, d'une victime à part entière, comme si elle représentait en fin de compte la douleur de toutes les femmes. De plus, si les hommes font souvent preuve d'une certaine classe, ils sont souvent représentés en tant que traîtres et manipulateurs. Doit-on pour autant mettre tous les hommes dans le même sac? En définitif, Flamme de mon amour est plus l'aboutissement d'une certaine forme de violence envers la femme qu'un véritable conte nihiliste à la manière d'un Les Femmes de la nuit. Pas un Mizoguchi majeur des années 40.
La Victoire des Femmes
Aussi moderne dans son propos féministe que son héroïne l’est dans son combat pour l’émancipation des femmes, La Flamme de mon amour vaut également par son portrait au vitriol d’une certaine gauche japonaise révolutionnaire et de ses contradictions. Face à l’obstination de l’héroïne à faire avancer sa cause, aucun homme n’est à la hauteur. Certains voient leurs idéaux se heurter aux contingences du réel ou trahissent pour survivre. D’autres n’arrivent pas à conformer leur rapport aux femmes dans l’intimité aux idéaux libertaires qu’il prônent pour la société, se révélant finalement inféodés à des valeurs hérités de la féodalité nipponne combattues par le cinéaste. La seule solution pour une femme, c’est de se prendre en charge, de créer elle-même sa révolution. Film tract pleinement assumé, La Flamme de mon amour souffre cependant du didactisme trop fort de son scénario. Didactisme qu'une réalisation annonçant la maestria formelle des Mizoguchi fifties ne fait pas oublier. Dommage...
C’est la lutte finale…
Plus explicite que jamais, Mizoguchi s’engage pour la liberté de la femme, combat qui ne peut être au final que politique et politisé tant la domination masculine s’est de tout temps révélée immuable. En plongeant dans l’Histoire japonaise de la fin du XIXème siècle en plein bouleversement (création d’un parti libéral, répression par le pouvoir, puis élections législatives), Mizoguchi veut établir un parallèle avec la situation du Japon au lendemain de la seconde Guerre Mondiale, et semble dire que c’est sur les ruines d’un ancien régime défait qu’il faut pousser des idées nouvelles et des combats justes sur le devant de la scène, l’émancipation des femmes étant pour lui un thème central.
Flamme de mon amour est donc un film captivant par son propos volontariste et humaniste. On y ressent la naissance de la conscience politique et revendicative de l’héroïne Eiko, reléguée tout d’abord au second plan face à des hommes avides de pouvoir et qui cultivent une image de la femme d’un autre âge, tentant de faire entendre tant bien que mal ses convictions, doutant beaucoup d’elle-même face aux aléas de la vie, puis reprenant moralement le dessus et finissant par fédérer autour d’elle. Mizoguchi en fait cependant parfois trop, avec une posture victimaire caricaturale, et des idées tellement brandies en étendard qu’elles font presque de lui un post-Eisenstein ou un pré-Loach.
On l’aura compris, son film n’est bien sûr pas inutile et permet, 60 ans après, de faire un bilan sur la condition des femmes dans le monde : globalement mieux traitées dans les pays développés (droit de vote, à l’avortement, au divorce, professionnalisation,…), elles croupissent toujours sous la dictature masculine dans les pays fortement religieux, et l’évolution des mentalités est encore très lente y compris dans les pays riches (cf. la polémique des femmes de réconfort au Japon). Les mouvements féministes ont donc encore de beaux jours devant eux, malgré des dérives délirantes où, pour soi-disant défendre l’égalité homme-femme, certaines en viennent même à renier leur maternité…
Naissance du mouvement féministe - vue par Maître Kenji
Ce film qui succède dans la filmographie de Mizoguchi au brûlant et désespéré Femmes de la nuit est comme son pendant positif. En pleine période Meiji, Eiko est une militante féministe. Condamnée par sa famille, désespérée de ne pouvoir empêcher la vente de sa servante, abusée par un militant démocrate qui s'avérera un espion, elle part pour Tokyo où elle sera à nouveau victime des tromperies masculines en la personne d'un démocrate apparemment bien sous tous rapports qui s'empressera de prendre pour concubine l'ancienne servante d'Eiko, que celle-ci avait retrouvé en prison.
On craint un moment que le film ne soit qu'une commande des forces américaines destiéne à rappeler au Japonais de 1950 les sources autochtones du mouvement démocratique mais le film est suffisamment habile pour dépasser son pitch - et le traitement (assez rare à l'écran) de la vie des partis à la charnière du XXè siècle. Mais très vite éclate à l'écran le génie du maître : cette admirable concision qui interdit tout plan ou scène inutile, ces plans séquence prodigieux ici particulièrement réussis dans les scènes de foule ou l'incendie de la filature, cette géométrie de l'espace innée (plans large en plongée, travellings arrière décoiffants et toujours inattendus).
Ca reste au total un bon Mizoguchi - sans l'ampleur et la perfection de ses oeuvres.