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Kabei, notre mère

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Ghost Dog 4.25 Honneur et conséquences
Tenebres83 2.5
Xavier Chanoine 4.5 Une mère, deux soeurs et un invité...
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Honneur et conséquences

Le cinéma de Yamada est peut-être académique sur la forme, mais c’est comme ça qu’on l’aime le plus ! L’intrigue a beau être linéaire, la mise en scène très classique, les personnages soigneusement écrits, le septuagénaire japonais se place largement au-dessus de la mêlée contemporaine en signant ce Kabei absolument poignant, et d’une maîtrise frôlant la perfection. Cette œuvre est forte car elle présente très clairement une société nippone des années 40 tiraillée entre des ambitions guerrières complètement mégalo (un homme n’hésitant pas à prétendre que le Japon fait alliance avec l’Allemagne uniquement pour mieux pouvoir les vaincre par la suite et ainsi dominer la planète toute entière !) et la raison d’une population pacifiste encore nombreuse mais mise au banc des discours dominants.

Parmi elle, ce magnifique personnage du père, un écrivain de talent suspecté de sympathies pour le communisme et systématiquement censuré, avant d’être carrément incarcéré. Deux choix terribles s’offrent alors à lui : renoncer à ses idées en faisant repentance, synonyme de famille retrouvée et à nouveau réunie face aux épreuves mouvementées que subit le pays, mais synonyme également de déshonneur, de déshumanisation absolue ; ou rester ferme sur ses positions, quitte à tirer un trait définitif sur sa vie de famille et risquer la mort, mais mourir dignement, droit dans ses bottes, comme un homme, un vrai.

Un bouleversant portrait d’une famille brisée par les délires de la guerre, avec un immense Asano dans un de ses meilleurs rôles.

06 avril 2008
par Ghost Dog




Une mère, deux soeurs et un invité...

Yamada Yoji, c'est quand même une certaine classe. Une dignité. Un savoir-faire que beaucoup de jeunes cinéastes envient sûrement puisqu'à 77 balais, le très prolifique cinéaste auteur de la légendaire saga Tora-san prouve qu'il a encore de beaux jours devant lui, et on l'espère, surtout depuis sa dernière réalisation pour les studios de la Shochiku dont il est fidèle depuis des années, comme son pote Ozu. On ne remerciera d'ailleurs jamais assez Yamada d'avoir conseillé Ozu de passer à la couleur, mais parenthèse à part, que vaut finalement Kabei ? Replaçons rapidement le film dans son contexte. Début des années 40, énorme pression militaire et policière quant aux écrits qualifiés de propagande ou mensongers, de quelques penseurs, philosophes et professeurs en particulier sur le scandale avec la Chine. Shigeru Nogami, un professeur de lettres va faire les frais d'une arrestation plutôt musclée après le débarquement de la police chez lui pour récupérer tout un tas d'ouvrages aux idées qui vont à l'encontre du gouvernement japonais. Shigeru se fera embarqué sous les yeux de sa petite famille composée de Kayo sa femme et ses deux filles qui ne comprennent pas ce qui arrive. Evoquons aussi ce fameux nom, Kabei notre mère, qui est simplement la contraction de ka pour mère et bei, terme que la famille se plaisait à ajouter aux noms. Dans l'absolue, Kayo est surnommée Kabei tout au long du film pour donner davantage de signification à son importance au sein de la famille. Comme très souvent dans les familles nippones à l'époque, la femme a une importance cruciale quant à la sérénité du foyer et Kabei essaie de tenir la barque le mieux possible malgré l'absence de son mari, d'abord en garde à vue, puis finalement incarcéré pour des années. Voilà le destin des penseurs, de ceux qui tentent de fortifier leur pensée au travers d'écrits réalistes. Grand intellectuel de la langue allemande, Shigeru avait enseigné dans le passé pour Yamazaki, qui un beau jour rend visite à la famille Nogami pour leur venir en aide sur le plan juridique histoire de décrasser le dossier de Shigeru et le faire libérer le plus vite possible. Malheureusement les choses vont traîner et un dur combat va alors s'inscrire dans la vie de cette petite famille modeste mais courageuse habitée par cette rage de toujours venir en aide à ceux qui ne vivent plus sous le même toit. Shigeru a beau être enfermé et honteux auprès du peuple japonais, auprès de ses camarades comme l'on dit en temps de propagande, il n'en demeure pas moins Homme. Kabei lui prépare donc des petits plats qu'il affectionne tant, lui apporte des vêtements propres pour remplacer son kimono sali par la maladie et la saleté et prie pour sa libération. Leur seul moyen de communication se réduira à l'envoie régulier de lettres auxquelles participeront Terubei la plus jeune et Hatsubei l'aînée, ses deux filles.

Evoquons aussi l'importance des rôles féminins chez Yamada. Si dans la série des Tora-san les femmes sont à la fois celles qui apportent une stabilité et un vrai moteur à sentiments au héros, dans Kabei elles sont l'incarnation même de l'optimisme ou encore de l'utopie : Shigeru est condamné à errer dans sa cellule, trouvant sa seule distraction dans la lecture de grands auteurs et penseurs allemands (des livres dont on aura retiré les annotations de ce premier pour passer la barre des censeurs), pourtant elles ne cessent de croire en une possible libération. Il y a bien le personnage de Yamazaki pour leur faire croire à un possible revirement de dernière minute, mais au fond de lui, il sait pertinemment qu'il est condamné, d'où ces magnifiques séquences où il tombe en larme face à son mentor, celui à qui il doit tout, son professeur de lettres. Attention, Kabei n'est pas un hommage aux sensei, comme Kurosawa l'avait fait avec son dernier Madadayo. Il évite de tomber dans ce trop-plein de sentiments qui ne pourraient que faire de l'ombre à la dimension dramatique du film, toucher plus profondément une plaie déjà ouverte. Pourtant, le film évoque des thèmes ô combien dangereux pour le spectateur habitué des mélodrames : ce travail d'arrache pieds pour faire subsister le souvenir au sein de la famille comme ce portrait de Shigeru dressé sur la table et dont les membres de la famille lui rendent hommage chaque soir avant le traditionnel itadakimasu, prière destinée à Dieu pour lui remercier de ce repas. Mais la prière n'est que partiellement entendue, Shigeru est encore derrière les barreaux. Yamada Yoji démontre aussi qu'à l'époque, peu avant l'attaque du Japon face à l'Angleterre et aux Etats-Unis, les conditions de détention étaient désastreuses : les prisonniers hantent une cellule minuscule encore plus encombrée par la présence d'un seau destiné aux excréments. De plus, la famille de l'incarcéré ne peut faire un seul mauvais pas devant les représentants de l'ordre, comme cette merveilleuse séquence où la petite et adorable Terubei s'éprend du directeur de la prison et se voit alors punie par sa mère lui disant qu'il ne faut surtout pas manquer de respect à "un homme si bon". Pourtant cet homme est l'un des responsables de l'incarcération de son mari, mais silence.

La présence militaire ou policière, Yamazaki s'en fiche éperdument, surtout lorsqu'il doit jouer de son petit handicap de surdité face à un officier de police le temps d'une scène bien amenée. Personnage très important quant à la mise en place du récit, Yamazaki est comme une sorte d'ange gardien et de père pour la famille Nogami. Adoré par les gamines parce que gaffeur et au grand coeur, aimé par Kabei car toujours là même lorsque les temps sont durs, il est en d'autres termes l'attraction du film, l'un des rares personnages comiques dans un mélodrame (là où Almodovar réussissait à égayer Tout sur ma mère avec le personnage d'Agrado) qui se veut réaliste et surtout critique vis-à-vis du gouvernement nippon. La propagande à foison, les ligues en majorité féministes contre le luxe, l'appel aveugle à rentrer en guerre contre les Etats-Unis et cette mentalité typiquement nippone de se sentir supérieur face à l'ennemi potentiel. Ces thèmes sont ainsi traités par Yamada avec une justesse proprement remarquable, fruit d'un véritable travail d'écriture tant sur le plan chronologique qu'historique, hissant Kabei au rang de grand film de valeur : l'accumulation de scènes à la fois drôles et touchantes (le passage à l'adolescence de Hatsubei, l'arrivée du médecin à vélo, la présence du vieil oncle excentrique et son départ en train) donnent corps à cette symphonie lyrique portée par des interprètes de haut vol : Yoshinaga Sayuri en femme volontaire mais proche de la résignation étonne par son sens du courage, les deux gamines apportent le souffle de naïveté et d'optimisme qu'il faut à une telle oeuvre (comme Benigni l'avait fait avec le très beau La Vie est Belle), Tadanobu Asano est extraordinaire d'humanisme, Bando Mitsugoro est un grand acteur découvert trop tardivement. Yamada Yoji n'a pas eu non plus la reconnaissance qu'il méritait sur le sol français, son oeuvre étant peut-être trop large ou inclassable. Sans doute pas le genre de réalisateur que le spectateur occidental porte dans son coeur, oscillant trop entre auteur à part entière et faiseur de commandes pour les studios Shochiku. La question mériterait débat auprès des cinéphiles, mais revenons à Kabei. Fort d'une mise en scène d'une exquise douceur, elle trouve pourtant plus de matière en fin de métrage pour ses superbes plans enneigés et son Tokyo en ruine. Mais Yamada n'y posera pas de regard trop complaisant face à la pauvreté et l'absence de vie et se penchera directement vers la continuité de son récit : un soldat, mobilisé à la guerre comme Yamazaki, vient donner des nouvelles à Kabei, entamée par la fatigue et la vieillesse. La suite est plus dramatique, plus ancrée à vrai dire dans le registre du mélodrame classique avec ses moments de belle quiétude et ses passages plus corsés, plus tirs larmes. Le film opte d'ailleurs pour un procédé narratif classique basé sur la narration en voix off d'une des enfants, qui raconte année après année l'histoire bouleversante de sa petite famille.

Adapté du récit autobiographique de Nogami Teruyo, l'une des grandes collaboratrices de Kurosawa Akira depuis Rashomon (directrice de production entre autre sur Ran, Rhapsodie en Août et Madadayo) Kabei est tout simplement beau, noble et porté par des interprètes inoubliables (parmi eux, deux enfants absolument adorables et impliquées) qui font que le bonheur fragile qui se déroule sous nos yeux est authentique. Peut être l'un des plus grands films japonais de ces cinq dernières années et accessoirement le plus beau film du festival de Deauville Asia 2008.



06 avril 2008
par Xavier Chanoine


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