Beaucoup voient en Vagues invisibles une mécanique de l'ennuie symbolisée par l'errance d'un homme d'Hongkong à Phuket. Promenade glauque en bateau, bonnes et mauvaises rencontres nées du fruit du hasard, envie de s'autodétruire par la force des choses et des évènements récurrents, Kyoji interprété par Tadanobu Asano n'en peut plus de cette lassitude d'être constamment surveillé, pourchassé. Enervé par ce qui l'entoure comme la chambre qu'il occupe lors de la traversée vers Phuket où le lit, la douche et la porte font tout pour le déstabiliser. Enervé ensuite lors de son arrivée en Thaïlande où un voyou lui vole tout son argent, puis empreint de doute lorsqu'il découvre qu'un de ses contacts possède un billet qui lui était propre, signé par une jeune femme rencontrée à bord du bateau. Pourtant, si Vagues invisibles semble être vain par moment, effectivement est-ce que cela vaut le coup de suivre un homme dans l'errance jusqu'à son dernier souffle, le film possède d'indéniables qualités plastiques et narratives. Le cinéma d'auteur thaï, belle surprise depuis le début des années 2000 (après la première vague d'un autre genre durant années 90), semble vivre par ses audaces de ton qui peuvent paraître paresseuses certes, notamment dans son exécution excessivement lente, progressive, comme un long couloir que l'on traverserait avec prudence, mais dont l'éclat n'a d'égal que sa radicalité. En revoyant Syndromes and a Century la veille et en se plongeant à présent dans Vagues invisibles, on discerne effectivement cette même volonté d'instaurer une ambiance, un univers, un sens, simplement par l'utilisation de l'image et du son et de sa répercussion chez le spectateur bien que Weerasethakul filme mieux le vide. Les longs couloirs vides où Asano erre sont l'expression d'un climat angoissant, paralysé par une "vague invisible" qui semble arrêter à la fois le temps et la vie à bord : ce qui devait être une croisière n'est en fait qu'un simple passage d'une île à une autre, où trois quatre personnes semblent occuper les lieux. Comme Noi et son fils Nid, un vieillard et sa femme, puis un ouvrier chargé de la sécurité qui ressemble plus à un fantôme qu'à un vrai être charnel.
Par sa mise en scène souple et prudente, Vagues invisibles arrive vraiment à se détacher du tout venant cinématographique actuel parce qu'il est maîtrisé de bout en bout sur ce strict plan : l'utilisation de la bande-son en fond sonore est une merveille d'étrangeté, la même que l'on retrouve dans Last Life in the Universe, Ploy ou encore Syndromes and a Century, logique lorsque ce sont les mêmes hommes qui ont opéré chez les deux cinéastes. Le film de Ratanaruang Pen-Ek forme à partir de ces éléments là un tout, concret, idéale mixture du fond et de la forme qui se répercutent l'un sur l'autre pour aboutir à un résultat aussi surprenant qu'exigeant. A ce stade, le film exige que son spectateur fasse preuve de courage et de discipline, mais est-ce pour autant un défaut? Le cinéma doit pousser de temps en temps son spectateur à faire un effort, aussi bien comme chez Weerasethakul, Kim Ki-Duk, Iwai Shunji ou dans un autre genre, Miike, et cet effort donne parfois de bien belles surprises. L'autre force du film est de changer parfois brusquement de ton, aussi bien au niveau des personnages (le tueur à gage fan de karaoké) que des situations inattendues (le règlement de compte entre Kyoji et son boss pendant qu'ils préparent une soupe), une constante de plus en plus évidente dans le cinéma de Ratanaruang faisant de Vagues invisibles un film d'ambiance passionnant. L'interprétation de Tadanobu Asano y est aussi pour beaucoup, ce dernier n'ayant jamais été aussi bon que lorsqu'il campe des rôles de personnages taillés comme un peu faibles, poissards et rongés par la prudence face au monde qui les entoure. Le casting très international fait écho au très beau Last Life in the Universe avec qui il partage plus d'affinités qu'on ne pense : des personnages aussi bien dépassés que caricaturés à l'extrême, cette sensation d'insécurité totale, l'expression d'un chaos matériel et social. Et lorsque Kyoji semble enfin trouver un peu de quiétude, on est dans la tromperie encore une fois. Un objet salement précieux.
Pen-ek Ratanaruang fait assurément partie des réalisateurs thaïlandais à suivre. Très remarqué grâce à ces deux films précédents, il apporte un peu de variété dans un cinéma thailandais aujourd'hui principalement limité pour nous occidentaux à des films de muay thai suite au succès international de Ong-Bak. Mais Vagues Invisibles fait se poser beaucoup de questions sur la direction que prend la carrière de son réalisateur. Le film est en effet extrêmement travaillé visuellement, souvent trop, au point que l'histoire finit par passer derrière la mise en scène. Last Life in the Universe était déjà un film très travaillé et très porté sur le style, ici c'est encore un bon cran au dessus. On y perd hélas en implication du spectateur qui se retrouve d'autant plus éloigné des personnages. Monrak Transistor était un film bougrement attachant car très humain et léger. Last life in the Universe malgré sa réalisation beaucoup plus stylisée parvenait tout de même à trouver un bon équilibre et à rendre le spectateur proche du couple. Ici la distance est beaucoup plus difficile à franchir avec un personnage principal très froid qui plus est. Le rythme très lent finira de rendre le film opaque à une bonne partie des spectateurs, en faisant l'archétype du "film de festival", dans le mauvais sens du terme.
Pourtant le film possède des qualités, avec son casting international assez bien géré pour une fois, son voyage en bateau à la limite du surréalisme, son scénario finalement assez original malgré un pitch de départ assez commun. Les personnages comme les situations sont souvent joyeusement décalés. Ratanaruang, s'il se regarde trop souvent filmer, soigne tout de même sa réalisation avec évidemment une photographie d'excellente qualité de Christopher Doyle.
Au final, si le film plaira évidemment aux fans de films décalés et originaux, son rythme très lent et son côté bel objet froid risquent de donner plus de déçus que d'enthousiasites. On attend donc le prochain film du réalisateur pour voir si son succès récent lui a fait perdre la simplicité qui faisait le succès de son Monrak Transistor.
Pour illustrer un passage particulier de sa vie, Ratanaruang a voulu mettre en image dans Vagues Invisibles la notion de culpabilité, et son corolaire, la perte de l’envie de vivre. Complètement désabusé, son personnage principal Kyoji, sous les traits de l’ineffable Asano Tadanobu, traîne ses guêtres et sa queue de cheval fatiguée entre Hong-Kong et Phuket dans un monde terne et dangereux où l’on y baragouine cantonnais, anglais, japonais ou thai sans s’écouter réellement parler.
Mais si le charme fonctionnait dans relativement proche Last Life in the Universe, il se fait plus distant, plus artificiel ici. La caméra se promène lentement autour de l’action mais semble en être volontairement détachée, la musique en sourdine donne un aspect étrange aux choses, les rencontres semblent irréelles et n’ont pas d’impact sur le désespoir de Kyoji, qui se dirige lentement vers la mort. La longue partie sur le bateau est à ce titre symptomatique : une chambre affreuse qui se déglingue de toutes parts, l’impression d’être seul au monde, des hommes et des femmes étranges qui gravitent autour, mais aussi un humour noir salvateur qui fait relativiser le contexte, voici une ambiance particulière qui a immédiatement évoqué dans mon esprit le Eraserhead de David Lynch.
On ressort de ce voyage initiatique vers l’au-delà avec davantage d’interrogations que de réponses, notamment sur les réelles intentions de Ratanaruang, ainsi qu’avec un sentiment bizarre de déception, de frustration face à un film qui n’a pas tenu toutes ses promesses et qui semble enfermer ce réalisateur prometteur dans une posture auteuriste à la limité de la prétention.
Kyoji est un jeune cuisinier japonais vivant à Macau et travaillant à Hong Kong. Amant de Seiko, la femme de son patron, il se retrouve contraint d'assassiner cette dernière et de s'enfuir pour la Thaïlande sur les ordres de celui qui l'emploie. Au cours de son voyage pour Phuket, il rencontrera la séduisante Noi, jeune femme coréenne énigmatique dont il se rapprochera peu à peu. Une fois arrivé en Thaïlande, les choses ne se passent pas comme prévu : il semblerait bien que l'on cherche à se débarasser de Kyoji.
Vagues Invisibles se veut avant tout la réponse à une question : "qui a plus le droit de vivre : l'homme heureux ou le fantôme errant ?" Et voilà justement ce qu'est Kyoji : un fantôme errant. Tout au long du film, il n'aura de cesse de déambuler, dans des couloirs, à la recherche de sa cabine, de sa chambre, d'une adresse, de quelque chose qu'il ne parvient pas à trouver.
Les deux tiers du film sont donc remplis par les déplacements d'un homme condamné à errer sans savoir ce qu'il cherche.
S'il est un terme qui décrit parfaitement le dernier film de Ratanaruang Pen-ek, c'est sans aucun doute l'adjectif "terne". Christopher Doyle opte ici pour des tons proches de ceux que l'on obtient en procédant à un traitement croisé, mais les gris sont omniprésents et la luminosité très réduite. En ressort un sentiment de grande tristesse, accentué par la grisaille à l'écran de villes pourtant plus colorées en réalité.
Les cadrages sont quant à eux magnifiques. La réalisation est très soignée. La manière dont le réalisateur procède afin de narrer son histoire est par ailleurs plus que surprenante. Hypnotique, elle constitue à coup sûr un style propre à l’auteur.
Les acteurs jouent la majeure partie du temps en anglais. Si Asano Tadanobu s'en sort plutôt bien, force est de constater que Kang Hye-jeong offre pour sa part une interprétation plus que moyenne, tendant même vers le médiocre. De plus, son personnage est creux, absolument pas développé et son utilité - très limitée - est révélée à la fin uniquement, ce qui donne le sentiment d’avoir à l’écran un personnage plus que dispensable.
La superficialité des divers protagonistes est d’ailleurs une raison de ne pas accrocher au récit. Vagues Invisibles est un film qui, avec la pauvreté en événements de son scénario, sa photographie terne et ses personnages superficiels, peut sembler bien fade. Finalement, il se veut le reflet d'un homme qui a cessé de vivre quand il n'a plus pu apprécier la vie. Kyoji affirme dans les dernières minutes qu'il ne pourra jamais plus être heureux et semble s'y être résigné. Vagues Invisibles parvient à communiquer un grand sentiment de vide. Malheureusement.
Autant le dire tout de suite vagues invisibles est beaucoup difficile d'accès que last life in the universe. Mais c'est un autre genre auquel nous convie RATANARUANG, le film noir;
En surface en tout cas car on fond ce film nous narre l'errance physique et psychologique d'un être solitaire; Alors oui beaucoup risquent de décrocher à la partie se situant sur le paquebot (statique, incongru , irréaliste) mais ce serait dommage car il n'aurait pas connaissance de cette sublime fin fataliste réévaluant à elle toute seule ce diamant noir;
ASANO TADANOBU incarne avec charisme cette être qui n'est plus qu'une silhouette;
Pour finir je dirais que depuis HANA BI je n'avais pas vu une errance crépusculaire aussi lumineuse et émouvante, c'est dire...
Mes premières impressions sur le réalisateur Pen-ek Ratanarueng étaient plutôt mitigées. En effet, après le visionnage de Last Life in the Universe j'étais un peu perdu, avec un film dont le rythme est peu conventionnel. Finalement après avoir médité sur le sujet j'ai trouvé son approche très intersécante. Surtout au niveau musical, une ambiance très particulière est créée, le tout couronné par une réalisation très réussit au niveau de la photo et des cadrages. Ici dans Vagues invisibles on retrouve ces éléments très soignés, et bien pensés, avec une sonorisation très particulière. C'est sur la narration est toujours étrange, mais je pense que ça fait partie de son style.
Quelques belles scènes (dont celle du "bateau fantôme" directement inspiré de l'humour de Tati ou d'Aki Kaurismaki) noyées dans des moments plus approximatifs et une fin à n'en pas finir.
(Critique plus complète à venir prochainement)
Pour moi le gros probleme de ce film est sans aucun doute le scenario. On ne croit a rien de ce qui se passe, a aucun moment. Le fait que le heros empoisonne sa maitresse ne colle absolument pas au personnage. La trame est assez lamentable ( je ne parle meme pas de suspense), tout est couru d'avance et on se pose en permanence la question , pourquoi n'est-il pas partie avec la femme de son patron ( qui en valait le coup soit dit en passant)? Reste l'ambiance du film et des personnages secondaires ambigus (merci Lynch?) ainsi qu'une scene intime entre le cuistaud et la femme du boss bien filme (Merci WKW ?).
"Invisible Waves", pour résumer, est un ignoble film arty, que la présence d'Asano Tadanobu, la réussite de la photographie morbide de Doyle et les quelques gags ne sauvent pas de la complaisance certaine qu'à Ratanaruang à faire son apprenti Hou Hsiao-Hsien et à placer sa caméra là où il pense créer l'originalité d'un filmage au final imbibé par la hype qu'il convoite.