Arty, trop arty...
Qu'Interview respecte ou pas les préceptes du Dogma, peu importe après tout: son créateur Lars Von Trier a été le premier à décrédibiliser cette arnaque cinéphile en n'appliquant pas à la lettre ses dogmes. On pourrait d'ailleurs ajouter que Dogma était vite devenu un "label" utilisé par certains auteurs pour obtenir plus facilement des financements. On se demande du coup si ce n'était pas aussi le cas ici vu que le film ne se distingue en rien dans son "habillage" technique du cinéma coréen actuel. Passons là dessus, c'est de toute façon déjà de l'histoire ancienne... Interview se veut à la fois un simple drame et un film sur le cinéma. Et alors qu'il aspirerait à ce que le second aspect donne une force émotionnelle supplémentaire au premier, c'est le contraire qui se passe. Du concept en rapport avec le cinéma, Interview en a ainsi à la pelle: le brouillage de frontière fiction/documentaire, le film dans le film, le film commenté en cours de tournage par ceux qui l'élaborent, le lien entre la vie et le cinéma... Mais de ces concepts-là Daniel Byun Hyeok ne fait pas grand chose d'intéréssant et à vrai dire pas grand chose tout court. Les interviews voudraient ainsi apporter un éclairage sur ce que vivent les personnages prinicipaux. Mais elles sont platement filmées et les propos sur l'amour des personnes interrogées sont aussi passionnantes qu'un Ca se discute. Quant aux discussions des personnages sur le cinéma, elles oscillent entre propos prétentieux et enfonçage de portes ouvertes cinéphiles. Elles auraient même tendance à écarter le film du drame qui fait son sujet principal. Du coup, bien qu'elles posent quelques éléments du drame, ces parties-là plombent le film. Dommage parce que lorsque le film quitte le terrain du "film sur le cinéma" il fonctionne plutôt pas mal. Pendant de courts instants lors des passages parisiens par exemple. Ou lors de quelques moments de sa seconde moitié où le film se "contente" d'être un drame. Pour peu que l'on passe sur certains passages où un score classique trop envahissant a tendance à gâcher le talent des acteurs pour exprimer l'émotion avec retenue. Et aussi sur une fin de la version internationale dans laquelle on l'a vu sentant le parachuté. Le tiraillement mentionné plus haut, on le retrouve dans la mise en scène qui oscille entre filmage correct mais impersonnel et gadgets arty. Le mélange de différents types d'images (argentique, numérique...) n'aboutit par exemple à aucune réflexion sur l'image. Interview sent au final le potentiel gâché en se voulant artiste au lieu de commencer par se contenter d'être cinéaste.
Encore un drame coréen à rajouter à sa vidéothèque
"Ne jamais se fier aux apparences": voilà une phrase qui sied très bien à Interview. Déjà, la première chose qu'on remarque avant même d'avoir vu le film, c'est la mention "dogma 7" sur l'affiche du film. Pour qui suit un tant soit peu ce qui se passe dans le ciné mondial(et oui, y'a d'autres continents que l'Asie) ce label Dogma fera rejaillir à la mémoire des films tels que Les Idiots, Festen, ou encore Julien Donkey-Boy et autres Mifune... Mais dès la première scène d'Interview, on peut raisonnablement se demander comment Daniel H. Byun a obtenu son certificat "Dogma" tant Interview se révèle dans sa plastique un pur film coréen mainstream avec une lumière chaude et quasi parfaite, des endroits sortis d'un guide touristique et de très bons mouvements de caméra fluides et discrets. La seule particularité qui rapproche Interview de sa filiation danoise consiste dans la cause de son titre et qui servira de principal détonateur à l'histoire, à savoir les interviews de gens à propos de l'amour tournés en DV ce qui amène au coeur du film.
Parce qu'avant tout, Interview, c'est un cinéaste qui essaye de capter les deux choses les plus importantes dans la vie: l'amour et la mort tout simplement... On sent l'investissement personnel de Daniel H. Byun et on ne s'étonne de retrouver une certaine part d'auto-biographie dans son film, une certaine représentation de lui-même dans le personnage joué par Lee Jung-Jae et de sa vie passée en France, ce qui renvoie directement àl'expérience du réalisateur qui mena ses études de cinéma à la FEMIS. Mais pour en revenir au sujet principal, il est étonnant de se rendre compte comment une structure narrative éclatée, fragmentée à la Memento Mori peut amener une telle implication du spectateur. Une implication tenant de la réflexion dans un premier temps mais devenant de plus en plus émotive à force que l'on replace dans son esprit les rouages d'une tragédie inévitable et c'est avec un certain plaisir que lors d'une deuxième vision, on puisse encore meiux apprécier le film en débusquant les indices disséminées ci et là.
Mais tout ça resterait du pur exercice théorique si le film n'était pas traversé par l'excellence de ses interprètes et de certaines scènes. Lee Jung-Jae fait toujours du bon boulot mais c'est surtout Shim Eun-Ha pour qui le film semble avoir été écrit sur mesure, la gravité et le mystère intrinsèques à la pureté de son visage en fait à jamais l'icône des drames communs à chaque êtres, des événements qui sont arrivés ou arriveront à tout le monde, elle est à elle seule toute la tristesse et la dignité du monde. Jamais on n'oubliera cette superbe scène de danse classique qu'elle exécute au sein d'une crypte et la boulversante visite à son fiancé. Et que dire de cette magnifique séquence où les trois personnages principaux du film errent à travers la ville, chacun meurtris dans leur quête d'amour sur fond "Make It Go Away" d'Holly Cole si ce n'est que c'est l'un des plus beaux moments de spleen qu'il m'ait été donné de voir au cinéma.
Néanmoins, j'aurais une réserve: il n'y a pas de version "parfaite" du film. La version coréenne comporte des scènes obsolètes qui alourdissent le rythme du film et la version internationale comporte une fin alternative(voir commentaires) qui dénote quelque peu par rapport au ton général du film. Mais de toutes façons, Interview reste quand même un drame recommandable et puis, un film qui se finit par une reprise de Georges Brassens ne peut être que bon.
On pardonnera à Daniel Byun, les quelques erreurs de jeunesse qui parsèment ce premier film. Un film pourtant parmi les plus intelligemment pensés, parcequ'il se veut être un fabuleux pied de nez à ce sport local (nb: en Corée du Sud) qu'est le mélodrame sur fond de maladie incurable et/ou doté de multiples trames narratives, avec toujours un niveau technique (photographie) particulièrement élevé. Car "Interview", film du dogme mais à l'image partagée entre amateurisme et ce que l'on connaît, film de la fuite temporelle mais finalement linéaire, film de l'emphase sans être corrompu par la monstration, se joue bien de nos attentes, et nous livre finalement bien plus qualitativement parlant, que ce qu'on était en mesure d'espérer.
Combien de "A moment to remember" devrons-nous supporter, pour découvrir à nouveau un film de la trempe de cet "Interview" ?
Un grand merci en tout cas à Daniel Byun, qui a depuis confirmé avec son - bien entendu - assez mésestimé "A Scarlet Letter".
Real fiction
La première opinion est mitigée. Cette construction éclatée a de quoi laisser perplexe, non pas le procédé lui-même, mais plutôt le fait qu’il s’applique à des saynètes apparemment sans grande importance. Le logo Dogma faisant craindre le pire…
Pourtant, la sauce prend rapidement, et l’impression d’entrer dans la vie de tous ces personnages est de plus en plus persistante. Que ce soit pour les interviewés ou pour le staff du film, nous partageons alors leurs moments professionnels ou privés, leurs réactions affectives, leurs attentes. Les éléments du puzzle narratif s’imbriquent pour dévoiler alors une histoire centrale de plus en plus prenante, la relation entre le jeune réalisateur et la mystérieuse femme qui s’invente un personnage. Ce qui paraissait anodin prend toute sa valeur à la lumière d’une nouvelle orientation.
La qualité des interprètes était capitale pour faire adhérer à l’intrigue et au concept. La fine équipe de tournage est d’une véracité étonnante, avec le toujours impeccable Jo Jae Hyun acteur fétiche de KIM Ki-Duk, et les gens interrogés sont souvent touchants. Quant au trio vedette, la superbe GWEON Min Jung interprète « l‘actrice qui joue dans TWO COPS III » comme dans la réalité, mais aussi un personnage de femme pas très heureuse. SHIM Eun ha est parfaite, aussi convaincante que dans CHRISTMAS in AUGUST ou ART MUSEUM by the ZOO. Cette actrice a une capacité étonnante à endosser des rôles délicats sans en rajouter une seconde. Son partenaire LEE Jeong Jae qui lui donnait déjà la réplique dans LES INSURGES en 1999 est lui aussi plus que crédible.
C’est bien l’émotion qui sous-tend tout ce long-métrage, la maestria de sa réalisation et l’élégance très recherchée de son esthétique n’étant pas là pour elles-mêmes mais bien pour servir le sujet. Car si les séquences vidéo du film dans le film alternent avec les parties plus classiques, le tout se mélange habilement pour ne jamais s’écarter de son sujet, la relation à autrui et comment vivre sans un(e) autre à aimer. Lorsque les premières débordent sur les secondes, que la séparation entre le projet filmé et les sentiments présents n’est plus possible,la tension du film en devient bouleversante.
N’ayant pas vu la version internationale, je ne parlerai que de la fin coréenne, sans véritable happy end mais logique et porteuse d’espoir malgré tout.
Et d’une grande pudeur. A l’image de tout ce film magnifique.