In this time...
La même année qu' In our Time, Hou Hsiao Hsien est présent activement sur le tournage d'un autre film à sketches fondateur de la Nouvelle Vague taiwanaise, cet Homme Sandwich. Sauf que cette fois il réalise l'un des segments du film: La Grande Poupée du Fils. Les trois segments du film sont tous adaptés de nouvelles de l'écrivain Huang Chung Ming, figure emblématique du mouvement littéraire "nationaliste" des années 70. Ce mouvement rejetait la modernité occidentale et se réclamait d'un nationalisme de gauche. Il se caractérisait par le désir de rendre compte de la société taiwanaise et de ses transformations. Pour cette raison-là, le mouvement fut un des grands inspirateurs de la Nouvelle Vague taiwanaise.
De fait, les trois segments du film frappent par leur cohérence thématique. Ils se situent tous dans les années 60. Les questions du changement économique et du rapport du monde rural à ce dernier les traversent tous les trois. Celle de l'influence de l'étranger (Etats-Unis, Japon) y est présente ou suggérée. Le Chapeau de Vicky et Le Goût de la pomme semblent jouer aux reflets inversés. Spoilers Le Chapeau de Vicky est le récit de la désillusion de deux VRP tentant de vendre dans le monde rural des cocottes-minutes symboles de la modernisation de Taiwan comme de l'influence étrangère (produit made in Japan). Le premier est pressé de revoir sa femme restée en ville et va ironiquement mourir lors d'une explosion de cocotte-minute pendant une démonstration. Le second s'attache à une jeune villageoise au chapeau jaune et met accidentellement à jour son lourd secret: une fêlure sur le crane. Le Goût de la pomme est lui le récit d'un accident se transformant en opportunité pour un paysan venu tenter sa chance en ville avec sa famille. Car l'officier américain ayant provoqué l'accident va amener toute la famille à l'hôpital. Découverte de l'hygiène occidentale et opportunité de faire fortune vont caractériser ce parcours parsemé de gags. Fin Spoilers Si les scénarios de ces deux segments les rendent plaisants à suivre, leur mise en scène est académique.
Ce qu'on ne peut reprocher à La Grande poupée du fils. Ayant pour la première fois les mains créatrices totalement libres, Hou Hsiao Hsien y déploie quelques-unes des caractéristiques de son art. Avec ses plans séquences déjà dilatés et ses cadrages lointains, il trouve d'emblée cette distance qui est celle du regret nostalgique mais qui n'idéalise pas le souvenir. Hou fait ici dans un naturalisme brut, sans chercher la joliesse stylistique à partir d’un pitch de départ évoquant le néoréalisme italien. Spoilers Le père de famille du sketch est une figure des plus contradictoires. Il a honte de devoir survivre comme clown mais c’est lui qui a créé cette situation. Et il doit justifier face aux propriétaires de cinéma un travail qu’il déteste. Dans une des scènes du film, il est si désespéré qu’il pense un instant supprimer son bébé. Bien sur la fin du film va lui offrir une possibilité de rebondir, de ne plus exercer ce métier. Mais ceci s’achève par un bébé pleurant lorsqu’il voit son père démaquillé, ne le reconnaissant plus. Comme si la part d’humiliation du passé du père devait ne jamais mourir quoi qu’il arrive… Fin Spoilers Hou s’était déjà trouvé.
Et ce brelan de sketches de bonne facture d'ensemble d'entériner la naissance d'un mouvement et d'un grand cinéaste.