Belles images et réalisation posée
Rien de nouveau dans le style de Jeon Su-Il. Tout comme dans son précédent film, les scènes sont assez longues, la caméra posée de manière à suivre l'action et/ou le paysage dans sa globalité, et on ne se lasse pas de ces paysages qui jaïssent de manière naturelles sur l'écran. Il n'y a ici aucune volonté d'embellir la vue par des artifices quelconques, mais plutot la montrer brute, telle qu'elle est vraiment. Jeon Su-Il a choisi de montrer le quotidien d'une famille de paysans nepalis, et on se rend compte qu'il est parfois bien difficile de distinguer le genre du film, oscillant entre fiction et documentaire. Fiction car tout est écrit sur scénario, et l'histoire suit ainsi une trame définie à l'avance ; documentaire car d'une part, il s'agit d'une vraie famille de paysans qui est filmée ici, et certaines scènes sont à la limite entre les deux genres, comme celle tournées dans les rues de la capitale, où les passants sont de vrais passants dans leur vie de tous les jours. Par ailleurs, on sent qu'à travers Choi Min-Shik, Jeon Su-Il cherche à montrer sa propre expérience ; il tourne une scène dans son appartement à Pusan (au début du film) et Choi Min-Shik arbore le même style vestimentaire, la même mèche grisonnante que le réalisateur. Himalaya nous emmène donc dans la découverte d'une autre culture, dans un décor naturel somptueux, et s'entoure pour cela d'une équipe locale et d'une famille paysanne attachante.
08 décembre 2008
par
Elise
Running on karma
On l'avait laissé sur les marchés du palais cannois en 2007, en train de manifester son mécontentement envers la baisse des quotas coréens. Il n'avait alors voulu accorder aucune interview officielle, mais avait bien voulu bavarder tranquillement autour d'un petit verre pour passer sa carrière en revue. Une carrière riche en émotions et certainement unique dans la récente Histoire du cinéma coréen. Tout juste avait-il donné signé de vie en participant à l'une ou l'autre pièce de théâtre à Séoul…
Le voilà de retour, remplissant le plein écran de sa trogne unique, marqué par quelques rides supplémentaires après trois ans d'absence. Du carcan renfermé d'un ascenseur, il va rejoindre les grands espaces himalayennes esseulés (à noter, qu'il ne descend pas à l'arrêt où il y a plein de monde à attendre, mais à un étage inférieur, où il emprunte seul un immense couloir blanc, comme un couloir de la mort…ou de la vie…en tout cas d'un renouveau).
Sa première parole sera "How much", à bout de souffle, en achetant à boire à une autochtone; une réplique quasi ironique en connaissant le différent, qui l'avait opposé au réalisateur Kang Woo-suk lui reprochant de demander des cachets exorbitants.
Or ce n'est pas du tout à l'affiche du dernier blockbuster coréen, que l'on retrouve un Choi en pleine possession de ses moyens…mais dans le rôle principal du dernier film en date de Jeon Su-il, véritable cas à part dans l'actuelle cinématographie coréenne. Réalisateur indépendant à travailler en marge du système commercial en finançant la plupart de ses films avec ses propres deniers, ce véritable auteur a pu être découvert lors du passage à la télé de son "L'oiseau qui suspend son vol", son "Suicide Designer" passé au Festival Asiatique de Lyon, puis sorti in catimini en DVD, puis son récent "With a girl of black soil", qui a fait la tournée du circuit festivalier l'année dernière, mais a été éclipsé par les deux phénomènes "Flower in the pocket"" et "Wonderful Town".
"Himalaya" est l'un des tous premiers projets de Jeon à bénéficier de l'appui financier d'un grand studio, Show East ("Crying Fist"), dont l'implication a très certainement quelque chose à voir avec le retour à l'écran de Choi…Il n'empêche que leur soutien ne saute pas du tout aux yeux, tant Jeon reste égal à lui-même dans l'exploration de ses thèmes récurrents (un individu face à lui-même et à la mort) et dans la manière de réaliser. "Himalayas" – malgré son incroyable lot de belles images – s'assimile davantage à un documentaire, qu'à un long-métrage. La plupart des plans sont tournés caméra à l'épaule, avec utilisation d'une lumière naturelle. Choi est le seul "acteur" (coréen), entouré d'une flopée d'amateurs recrutés sur place pour les besoins du tournage. Le film donne ainsi un aspect criant de vérité, s'attarde sur des petits riens, sur quelques us (la préparation d'un repas, le pot d'accueil de Choi par le chef du village, …) et coutumes (le sacrifice d'une brebis, la procession religieuse, …) et se situe à mille lieues des images "occidentalisées" de vieilles traditions, comme dans "Le mariage de Tuya" ou d'autres "Nima's Women" ou "Urtin Duu" (tous deux inédits). Voilà la véritable réussite de ce film: réussir à faire oublier les artifices du cinéma, s'approcher de l'histoire même d'un homme.
Parmi les aspects un peu plus négatifs, c'est que cette historie est loin d'être inédite, se traîne parfois un peu trop en longueur et s'achemine vers un dénouement plus ou moins attendu (pas forcément heureux…). On sent, que Jeon a cherché LE cadre parfait pour imaginer la re-mise en question d'un homme, son véritable déracinement pour pouvoir effectuer sa chrysalide; mais peut-être qu'on ne connaît justement pas assez du passé du personnage de Choi pour comprendre à quel point il est bouleversé par les forces de la Nature.
Il n'empêche, que "Himalayas" est une véritable oasis dans la cinématographie coréenne autrement plus commerciale et une belle bulle pour s'évader un peu moins de deux heures durant de notre propre société consommatrice et égocentrique.