Xavier Chanoine | 3.5 | Libéré, un film aussi agressif que très divertissant |
Bande annonce
Dans le tout venant de la production nippone actuelle, il existe peu de films capables d’exciter à ce point les sens du spectateur, quitte à le pousser dans ses derniers retranchements face à l’incroyable capharnaüm visuel créé de toute pièce par Kazuaki Kiriya pour son second film de fiction, Goemon. Utilisant le même procédé que Casshern, consistant à faire jouer les acteurs sur fond neutre, Goemon pousse la surenchère numérique à des niveaux fleuretant avec le mauvais goût, tout en concevant un univers bien à lui où les influences de la culture populaire nippone se retrouvent au sein d’un même cadre durant l’époque féodale au XVIème siècle. Cette fois-ci, le cinéaste accorde deux heures au personnage de Ishikawa Goemon, héros des temps anciens réputés pour ses talents de voleur indiscutables, devenu bien après sa mort un héros alimentant l'imaginaire collectif, maintes fois adapté pour le théâtre kabuki ou encore l'animation, notamment dans la célèbre série Lupin III. Ce n’est pas la première fois que l’alchimie entre film d’époque et stylisation appuyée est portée au cinéma, surtout japonais, on pense aux récents exemples Shinobi de Ten Shimoyama ou encore Dororo de Shiota Akihiko. Si ce dernier livrait un film aux antipodes de son cinéma plus difficile d’accès au grand public, Kazuaki Kiriya poursuit sur la lancée d’un Casshern avec une œuvre répondant à la charte graphique mise au point par ses soins, répondant également à l’esthétique entrevue dans certains de ses clips musicaux, réalisés entre autres à l’époque pour son ex-femme et chanteuse populaire au Japon Hikaru Utada. Ce n’est alors pas une surprise de retrouver dans cette œuvre définitivement familiale et très classique dans sa structure, ce qui démarquait Casshern de tout autre blockbuster nippon : outre les explosions de rétine permanentes, le procédé du tout-numérique réussissait à l’époque à camoufler l’absence de budget digne d’un blockbuster. Pourtant, Casshern fut vendu tel quel. Goemon perpétue cette stratégie économique même si certains environnements paraissent atrocement cheap à côté d’autres dignes d’une cinématique de Square Enix.
Que vient faire l’univers des jeux vidéo ici ? Pas de crainte, ils ont une place toute respectable tant l’œuvre semble affiliée à la culture vidéoludique notamment dans ses séquences d’exploration –la boîte de Pandore, entre autres- ou superbement graphiques au cours des scènes d’action qui dégagent. Déployant tout un arsenal de techniques informatiques pour donner définitivement corps à son bébé, le cinéaste amène ainsi son film à baigner constamment dans une soupe pour dix, sorte de mixture d’influences –à ce niveau, culturelles- où se retrouvent les gimmicks les plus éculés d’un Final Fantasy, Prince of Persia ou encore Devil May Cry. Négation du cinéma ou relecture postmoderne du conte médiéval ? La question peut être posée à l’heure où le cinéma influe sur les jeux vidéo et vice versa, deux marchés fonctionnant au final sur les mêmes bases. Kazuaki se réapproprie les codes du film d’aventure pour en faire un projet cohérent et personnel, l’entreprise du bonhomme étant reconnaissable à des kilomètres. Sa faculté à scinder jeux vidéo, littérature, manga et vidéo de leurs matériaux pour en faire un tout cinéma est ici admirable, jusqu’au-boutiste dans sa démarche de décomplexer le genre quitte à paraître superficiel aux yeux de ses détracteurs plutôt nombreux. Il faut néanmoins comprendre cette démarche et l’accepter avant de tenter l’aventure sous peine de tomber dans une nébuleuse cauchemardesque et interminable, en dépit du rythme ici bien négocié et d’une longueur ne frôlant pas l’indigence comme ce fut le cas avec l’intéressant Casshern, laborieux mais à l’univers là-aussi bien établis.
Mais autre part, la narration s’empêtre de lourdeurs évitables, comme par exemple une quantité délirante de personnages cabotins (en particulier Okuda Eiji dans la peau de Toyotomi Hideyoshi, traitre avide de pouvoir), cliché d’un cinéma –jeu- d’aventure où le scénario très écrit fourmillerait de rebondissements à la pelle sans se soucier le moins du monde de quelconque lourdeur. Ainsi, bien que très classe, le personnage de Hattori Hanzo interprété par Susumu Terajima n’apporte strictement rien –ou si peu- sur le plan de la narration, juste présent pour un climax final graphique limite Shakespearien. Idem pour le side-kick du héros, l’air ahuris et gaffeur à temps plein. Le fait qu’il y ait également une petite quantité d’histoires au sein d’une quête déjà bien importante –les mésaventures d’un prince des voleurs face au tyran qui opprime le peuple- pour l’étoffer, n’est justifié qu’à de rares moments. Les retrouvailles entre Goemon et la belle Chacha apportent la touche de mélodrame adolescent inhérent au cinéma japonais, bien dispensable mais motrice d’un certain enthousiasme pour le public nippon qui y trouve sûrement son compte devant un tel déferlement de fan-service : pas un seul thon au niveau du casting, des poseurs à ne plus savoir qu’en faire, des plans entiers et un style graphique non sans rappeler les jeux de rôle japonais, une bande-son pompière plein de panache et de guimauve Buena Vista lors des séquences au clair de lune, des feux d’artifice en guise d'introduction, comme si le cinéaste voulait déjà afficher ses ambitions. Sans être une cinématique prestigieuse de plus de deux heures, Goemon remplit aisément son rôle d’immense melting-pot d’influences culturelles populaires tout en étant un divertissement parfaitement maîtrisé. Aucun intérêt pour Kazuaki Kiriya de révolutionner le film d’aventure populaire ni même de le dépoussiérer avec des mécaniques inédites, la réalisation s’occupe de tout. Son style, ses ambitions formelles discount et son écœurement rétinal sont sa principale marque de fabrique, qu’importe s’ils ne font jamais sens. Tout n’est que spectacle, frime et éclaboussures. D’une violence inouïe, l’agressivité formelle et sonore dont fait preuve Goemon peut bien excuser la démesure clinquante et parfois très cheap caractéristique de son auteur. Laissez vous tenter.