Des femmes fortes chez Naruse, on en a déjà vu des tonnes. Dans ce film-ci on ne peut pas dire qu’elles soient gâtées puisqu’ici la figure de l’homme jaloux, machiste et violent remet très souvent en cause leur statut d’être libre malgré le poids des valeurs inculquées et de l’avenir –serein- que l’on attend d’elles. « On » évoque ici le père, personnage furieux et alcoolique à ses heures perdues, mais aussi le frère incapable de mettre de côté son comportement possessif et extrémiste face à sa sœur Môn partie vivre à Tokyo, là où elle rencontra un étudiant prometteur et devint enceinte de lui. Naruse montre par le biais de sa caméra pudique la difficulté d’être femme dans une société profondément machiste là où on ne tolère plus grand-chose qui touche de près comme de loin au bouleversement des us et coutumes. Le fait d’être prostituée reste donc mal vu tout comme celui d’être enceinte d’un inconnu rencontré au gré du hasard, ce qui engendrera une violente querelle entre Môn et son frère en fin de métrage, sans doute l’une des séquences les plus violentes de la filmographie de Naruse qui souligne par ailleurs l’impétuosité des deux êtres sans prendre parti pour l’un ou l’autre, le discours de la mère ne fait qu’appuyer cette remarque : Môn, battue et en larmes (allant jusqu’à hurler les éternellement japonais « tue-moi ! » à son frère) est alors considérée comme pire que son frère par sa mère, car une telle réaction n’a pas lieu d’être venant d’une femme même de mauvaise vie.
Briseurs d’avenir, les hommes n’ont pas à être fiers. Le père qui n’esquisse pas le moindre sourire tout en étant peu aimable devant ses clients (il n’y a qu’à voir la désinvolture dont il fait preuve simplement pour servir une petite cuillère), son silence pesant face à la situation que vivent ses deux filles ne font que confirmer cette désagréable sensation d’être devant une personne qui avance à reculons. La non-justification des élans furieux du frère appuie la donne, surtout lorsque celui-ci s’éprend du jeune étudiant responsable de la situation de Môn, pourtant venu s’excuser auprès de la famille pour tout ce qu’il a fait de manière plus ou moins involontaire à cette dernière. Sans être un sommet de nihilisme (il faudra attendre le dernier plan pour espérer quoi que ce soit de positif dans le parcours des deux sœurs), ce film de Naruse n’est pas une partie de gaité mais contient suffisamment de beaux moments pour être apprécié comme un film réaliste sur les thèmes qu’il aborde : le Japon rural durement travailleur, le machisme exacerbé des hommes de la terre contrastant avec la timidité de l’étudiant urbain, le combat des femmes pour se faire respecter malgré leurs « dérapages » (la ville et la prostitution chez l’une, l’amour d’un homme relativement pauvre chez l’autre) en guise de portraits chers au cinéaste. Ou un Naruse qui pourrait très bien ressembler à un autre, tout en restant propre dans sa démarche artistique et dans sa façon de nuancer les propos et de structurer le récit. Dans son genre, Frère aîné, soeur cadette est réussi.
Frère et Soeur est un grand Naruse de plus, un Naruse qui vient confirmer que le cinéaste est bien un maitre du mélodrame et un maitre du portrait de femmes rebelles. La singularité de ce Naruse-là par rapport aux autres films du cinéaste qu'on a vus, c'est d'abord que si le personnage de Mon y joue un role central dans la narration elle n'est pas toujours présente dans le récit. Ses absences permettent d'ailleurs au cinéaste de se consacrer à la description d'un village où la peche est pratiquée, de ses pesanteurs. En somme d'appliquer la dimension naturaliste de son cinéma à un univers autre que le monde des grandes villes auquel il est habitué, celui d'une banlieue proche de Tokyo. Mais la force du film se situe surtout dans la façon dont les liens de sang amplifient l’intensité des rapports entre les personnages. D’un coté, Mon n’a pas peur d’assumer l’enfant qu’elle a eu d’un autre, son métier de prostituée, son regard cynique sur les hommes qu’elle a choisi d’utiliser. Elle tient dès lors sans peine tete à son frère qui la regarde de haut, n’hésite pas à lui faire la leçon sur la lacheté de s’en prendre à l’homme qui l’a mise enceinte et s’est excusé. Son frère justement est une de ces figures de macho violent incapable de s’assumer tels qu’on en trouve beaucoup chez Naruse. Et si la caméra bouge peu, c’est la façon dont les acteurs prennent littéralement possession de leurs personnages qui donne à certaines scènes leur intensité, leur puissance émotionnelle. Pour le reste, on signalera l’art discret de la mise en scène du cinéaste, son usage judicieux de la musique. Et surtout la capacité du film à remplir son contrat de drame poignant en ne dépassant pas la durée standard d’une série B. Pour une œuvre s’ajoutant aux autres perles du cinéaste.
Perfectionnant toujours d'avantage ses chroniques socio-réalistes, Naruse met une nouvelle fois en scène une petite tranche de vie dramatique, mais parfaitement réaliste.
Les personnages sont parfaitement esquissés, l'intrigue coule de source. Au contraire de Mizoguchi - dont Naruse se rapproche par le magnifique portrait de quelques femmes extrêmement fortes - il ne cherche pas à surenchérir dans le mélodrame : la tension palpable est parfaitement logique et le déroulement du film s'enchaîne en toute quiétude, malgré les hauts et les bas des personnages.
La description du petit village du pêcheur, pas tant isolée de la grande ville qu'est Tokyo, qu'il ne paraît, est un quasi documentaire d'une époque définitivement révolue.
L'humble réalisation tout entière dévouée aux personnages et à leur environnement immédiat; l'intrigue simple, mais parfaitement réaliste et la beauté intérieure irradiant à chaque plan font de Naruse un très, très grand réalisateur injustement oublié par le public et la critique.
Le pitch est assez simple : une famille d'une ville de campagne proche de Tokyo est en voie de déclassement social accéléré. Le fils aîné est rude et oisif (c'est MORI Mayazuki, l'immortel "idiot" de Kurosawa, le samuraï de Rashomon, l'empereur dans l'Impératrice Yang Kwei Fei, etc, etc) ; la fille aînée est partie à la ville vendre son corps (c'est KYO Machiko , l'actrice fétiche de Mizoguchi) et la dernière est une jeune fille en fleurs qui, à l'heure des premières amours, est partagée entre respect des traditions et volonté de vivre une passion. Lorsque le passé de la fille aînée fait capoter le mariage de la cadette, le drame se noue...
Le film est assez théâtral et propose un drame psychologique somme toute assez banal : on se croirait parfois dans une adpatation de Tenessee Williams par Kazan (relations vaguement troubles et incestueuse du frère avec ses soeurs ; composition de Mori en dur un rien brutal qui rappelle curieusement le Stanley Kowalski de Brando). L'ensemble est cependant attachant, l'atmosphère de cette campagne en lisière de la banlieue de Tokyo étant particulièrement bien rendue.