Bien fait sans plus
Face aux second degré facile et aux effets clippesques de pas mal de chambaras récents réalisés par des cinéastes issus de la publicité et du vidéoclip, ce Doraheita est assurément rafraichissant avec son classicisme affirmé, sa volonté de privilégier un scénario construit (signé de géants du cinéma nippon) sur l’épate visuelle. Quoi qu’en disent certains critiques qui ont tot fait de crier à l’académisme lorsqu’un film de genre se réclame d’une fidélité à une certaine tradition, ce genre de cinéma de « qualité » (qualité France, qualité USA, qualité Japon, terme si décrié) peut avoir autant de mérite que des œuvres renouvelant un genre. Tout en courant le risque du déjà vu en mieux : pour un Master and Commander réussissant à rescuciter un certain cinéma fait de souffle épique et d’amitiés viriles parce que Weir y appose ses thèmes de prédilection ou un LA Confidential exemple de film d’artisanat de studio comme on n’en fait plus, combien de the Yards ou d’Open Range qui tout en n’étant pas déshonorants loin de là ne font pas oublier leurs modèles… Ce Doraheita appartient malheureusement à la seconde catégorie. Chaque effet de mise en scène est savamment calculé, les cadrages sont d’une grande rigueur, le casting (Yakusho Koji en tete) est excellent mais le film souffre déjà de sa trop grande lenteur rythmique, d’un montage qui ne donne pas de vrai dynamisme aux scènes dialoguées plus nombreuses que les combats dans le film, du fait que la volonté de maitrise est tellement visible que le film perd en émotion. Il en gagne un peu grace à quelques belles idées de mise en scène : un montage sec lors des scènes de combat à mains nues ou des cadrages très rapprochés lors des scènes de combat au sabre pour créer l’impression de chaos, deux parti pris pas gratuits utilisés pour compenser les capacités pas exceptionnelles de sabreur de Koji Yakusho, lors de la première assemblée de Doraheita le dynamisme du montage et des mouvements de caméra donne à cette scène de mise en place son énergie. Energie qui fait défaut à un film manquant de tension dramatique. Autres responsables de ce manque de tension: une photo sans contrastes et surtout des thèmes au synthétiseur qu’on croirait échappés d’une démo des navrants Dire Straits ou de Jean Michel Jarre. Certes, le thème d’un humanisme faisant respecter la morale sans violence mais la scène où Doraheita terrasse à mains nues ses adversaires, outre qu’elle évoque Barberousse et Sugata Sanshiro, rappelle aussi que Kurosawa traita ce thème-là de façon bien plus inspirée. Parce que le problème du film, en plus de rater sa cible rayon humour sauf sur la fin, c'est de ne pas etre à la hauteur des grands noms qui l'ont scénarisé, de ne jamais vraiment décoller par rapport au potentiel de son scénario et des forces en présence (Ichikawa, Yakusho).
Le super shériff-samourai est de sortie !
Doraheita est à l'origine un projet de l'empereur Akira Kurosawa, désireux d'adapter un roman d'un auteur qu'il apprécie beaucoup Shugoro Yamamoto, Machi bugyo nikki. Plutôt que d'en faire un projet personnel, il choisit de monter la bande des quatre mousquetaires avec ses collègues Kon Ichikawa, Masaki Kobayashi et Keisuke Kinoshita. La crème de l'élite. Cependant, une fois le script bouclé, les compères repartent chacun vers des projets différents, jusqu'en 1998. Alors seul survivant des quatre plus grands de l'univers, Kon Ichikawa ressort cette année-là Doraheita du placard.
Le rôle du machi bugyo expert en arts martiaux initialement prévu pour -on le devine aisément- Toshiro Mifune échoue à la mégastar du moment, Koji Yakusho, dont c'est le premier rôle d'époque. Pas grand chose à craindre toutefois, puisqu'il s'agit du soixante-quatorzième film du vénérable Kon Ichikawa, qui en a vu d'autres et dont le professionnalisme, pardon le génie, n'est plus à prouver. Le début de l'équation est donc facile à faire : Akira Kurosawa + Kon Ichikawa + Masaki Kobayashi + Keisuke Kinoshita + Koji Yakusho. Avouons qu'il est facile de trouver pire équipe.
Et dès le départ on reconnaît un chambara à l'ancienne. Sans volonté aucune de vouloir moderniser à tout prix cette histoire, dans sa forme et dans son fond, Kon Ichikawa l'oriente à mille lieues de ce qu'aurait pu faire un Kenji Misumi, un Sogo Ishii voire un Hiroyuki Nakano. Pourtant, le film est très stylisé. Aujourd'hui, ceci pourrait signifier qu'il dispose d'un montage nerveux et d'effets (info)graphiques très appuyés. Que nenni. Tout est visuellement somptueux, tout en finesse, en rigueur, en subtilité. Ce monsieur également épaulé par une équipe de longue date en remontrerait aux kitamuras d'aujourd'hui (quoique dans son genre Ryuhei est aussi un génie...).
Le personnage de shériff incorruptible s'éloigne aussi des tateyakus modernes (voire seventies) et gagne en ironie passéiste. Particulièrement rigolo, Mochizuki Koheita (dit Doraheita, jeu de mots nippon qui le qualifie de playboy), use de stratagèmes intelligents et sarcastiques pour arriver à ses fins, là où un Itto Ogami découperait sans compter. Dans la ville qu'il est censé nettoyer, il ne se prive pas d'aller jouer les gods of gamblers en compagnie de charmantes poulettes. Particulièrement habile et roublard, il n'en est pas moins un combattant émérite, qui utilise ses capacités martiales hors du commun en dernier recours. Détail cocasse qui tranche également (et c'est un comble pour un samourai), il est sans cesse harcelé par une geisha d'Edo, Kosei (la drôle et craquante Yuko Asano), plutôt autoritaire et tenace, qui ne rêve que de lui mettre enfin la corde au cou.
Si le film est quand même assez bavard dans l'ensemble, l'enquête est malgré tout hautement passionnante, drôle et réserve de nombreuses surprises (notamment grâce à ce sacré Koji qui est terriblement excellent mais c'est un pléonasme, pourtant physiquement parlant, ce n'est ni Toshiro Mifune, ni Tomisaburo Wakayama). Le résultat dénote avec l'ensemble de la production actuelle et pourrait trôner avec son contraire absolu, Gojoe, parmi la petite liste des preuves éclatantes que le chambara n'est pas mort mais dispose encore de représentants diamétralement différents mais tout aussi forts.
01 janvier 1970
par
Chris