Mer amère
Si le bleu de cobalt – Blue Cobalt – peut être défini comme la couleur bleu violacé, d'une saturation légèrement plus faible, historiquement obtenu à partir de sels de cobalt, c'est surtout un film du genre du "junai" – abréviation du mot "junsui na ai" – un film d'amour très pur, un peu ce qu'est le "shojo" – histoires d'amour expressément écrites à l'intention d'un jeune public féminin – au manga.
Un genre très prisé au sein du cinéma japonais depuis ses tendres débuts, comparable à notre genre de la comédie dramatique – profondément dramatique, comme le sera dans ce cas précis.
Quelques mots concernant le réalisateur.
Nakagawa Yosuke est né en 1961 à Tokyo. Après des études de lettres, il va se servir de son poste de rédacteur en chef d'un magazine littéraire très en vue pour s'intéresser plus particulièrement au film et à la vidéo, souvent par le biais de critiques d'installations vidéo dans des galeries d'Art pour se rapprocher lui-même de la réalisation de films.
Il va démarrer sa carrière en trombe, puisque son premier long-métrage, "Blue Fish" sera directement sélectionné au prestigieux Festival de Berlin en 1998 et se distinguera par un traitement de l'image particulièrement soigné, qui va notamment révéler la beauté des magnifiques paysages d'Okinawa.
Un talent de la composition picturale pas si innocent que cela, car hérité de son grand-père, un très célèbre peintre japonais ayant vécu de 1893 à 1991, atteignant donc le fier âge de 98 ans.
Ses films suivants vont d'ailleurs tous se distinguer par son méticuleux travail de l'image, parfois quand même au détriment du rythme de ses films, souvent très lents, accentués par des petits effets de ralentis pour s'imprégner de l'expression de ses personnages, de la beauté de la nature et l'attachement à des petits détails, qui pourraient sembler insignifiants pour notre culture occidentale ultra précipitée, mais que le réalisateur aimerait mettre en avant.
Il réalise donc coup sur coup "Departure" en 2000 et "Starlight High Noon", là encore deux films indépendants, qui vont glaner des nombreux prix à des festivals du monde entier et notamment au prestigieux Festival de Sundance de Robert Redford.
"Cobalt Blue" est un nouveau pas en direction d'un cinéma plus commercial. Le film s'ouvre par le fameux logo de l'américain "20th Century Fox", qui dispose en fait d'une filiale au Japon, notamment pour leur permettre de distribuer plus facilement leurs propres films au Japon sans devoir passer par un intermédiaire et perdre de l'argent. En contrepartie, ils sont donc tenus de produire un certain nombre de films par an, dont le présent "Cobalt Blue". Le film est également une coproduction de tout un tas de sociétés, dont la prestigieuse maison de la Toho, l'un des studios les plus puissants actuellement au Japon.
La Toho, qui a également imposé le casting composé des vedettes à la différence des précédents films de Nakagawa, essentiellement composé d'inconnus. Est-ce que l'on y gagne forcément au change, je n'en suis pas sûr, car le casting est ici essentiellement composé de jeunes starlettes façonnés par les grands studios, entièrement façonnées à faire rêver le jeune public adolescent par son prétendu talent et sa beauté.
Dans les rôles principaux, on va ainsi trouver Nagasawa Masami, la gagnante du concours CINDERELLA, organisé par le studio de la Toho pour justement trouver la NOUVELLE STAR de demain.
Il y a également Fukushi Seiji, un jeune homme issu des séries télé très soapy à l'intention d'un jeune public féminin et enfin Rachi Shinji, qui s'est fait connaître pour avoir dansé dans l'un des innombrables boys band, qui se font et défont du jour au lendemain.
Cette façon de faire crée des produits quelque peu hybrides dans l'actuel cinéma japonais entre des produits purement commerciaux initiés par des gros studios, mais qui n'hésitent plus à faire appel à des réalisateurs issus d'un circuit plus indépendant avec une approche plus singulière
Quant au résultat, il est très malheureusement loin des (quelques) attentes, que l'on aurait pu avoir. L'historie est vue et archi-revue et s'étire selon les bonnes règles de tout bouquin de la collection "Arlequin". On met le trio amoureux en place et on fait intervenir LA catastrophe pile à moitié du métrage avant de chercher à soutirer des larmes pendant toute la seconde partie. Un calvaire, perpétué par le jeu médiocre des comédiens avec pas mal de rôles tout bonnement sacrifiés, comme celui du père – à la limite du ridicule. Puis vous avez ce rythme, effroyablement long, au cours duquel Nakagawa tente d'insuffler un peu de sensibilité artistique en étirant inutilement des plans d'insert du vent, qui caresse les arbres, des rideaux soulevés par la bise et d'un piano vide, seul au milieu d'une pièce.
Mais – une fois n'est pas coutume – il en faut pour tous les goûts. Sélectionné au dernier décrochage provençal du festival du film japonais Kinotayo, que j'ai organisé sur St. Etienne, les notes du public allaient d'un petit 5 (sur 20…aïe !) à…deux 20 / 20 de la part de deux spectatrices assidues du festival, qui ont été totalement conquises par la beauté du spectacle…et des acteurs (selon leur propre aveu). Soit.