Ordell Robbie | 2.5 | Les Fleurs fânées de Shanghai |
On peut accuser WONG de tromperie sur la marchandise pour avoir vendu sa série fleuve comme une suite de In the mood for love et 2046. Une minute… mais Nos années sauvages, In the mood for love et 2046 n’étaient-ils pas déjà… ? Ou alors ça date du temps où il pensait remonter en long métrage salles la série ? Blossoms Shanghai est donc l’adaptation d’un bouquin de JIn YUCHENG, romancier cumulant en Chine succès critique et reconnaissance académique. Ce n’est pas WONG qui scénarise mais une scénariste de séries télévisées chinoises. Des assistants-réalisateurs de The Grandmasters sont crédités comme coréalisateurs. En revanche, point de son compère habituel William CHANG au montage.
On est dans les conventions d’une série populaire avec des tubes pop seulement connus des Chinois… et surtout ces personnages secondaires interprétés avec un cabotinage plus proche de la comédie cantonaise que des films ayant fait la notoriété de WONG en Occident. Des intertitres et des gimmicks visuels rappellent qui pilote la série, de même que la reprise (à côté du thème de Succession qui est le thème musical de la série) de morceaux déjà entendus dans ses films.
La série est dans son premier tiers très peu wongienne dans son récit : hors un flash back montrant un vague flirt entre le héros (A Bao, interprété par HU Ge) et une protagoniste, la romance est absente. La série serait plus proche dans l’esprit d’une chronique à la BALZAC/ZOLA du miracle économique chinois ou d’une saga mafieuse sans effusion de sang. Le début fait se demander qui a pu ordonner à un taxi de foncer sur A Bao, jeune homme qui rêvait de jouer les RASTIGNAC shanghaiens en pleine fin des années 1980 marquée par les réformes libérales de DENG Xiaoping avec la complicité de son vieil oncle.
Sauf qu’ensuite les épisodes ne chercheront pas à prendre à bras le corps le suspense installé. Il est question de discussions d’affaires, de rivalités entre commerçants d’une même rue animée, de liens professionnels entre A Bao et les femmes sous ses ordres, de développement d’une affaire. Avec des persos secondaires agaçants comme ce type qui veut monter sa boutique sur l’équivalent local des Champs Elysées/de la 5ème Avenue ou les restauratrices rivales des restos d’A Bao. Heureusement à partir de l’épisode 8 un peu de dramatisation arrive. Ainsi qu’un flashback autour des moments où A Bao fait connaissance avec un personnage féminin. Ce dernier moment est un peu le seul où on retrouve un peu de la dimension nostalgique du cinéma de WONG.
Le second tiers de la série frustre ensuite parce qu’il avait donné des espoirs de contrebande. Les allers-retours temporels autour d’un même appartement, la fille rencontrée puis revue des années après, le voyage au Japon. On retrouve le WONG que l’on connaît Mais hélas c’est aussi des passages aux docks avec un perso féminin cabot et une scène dansée aux docks qui serait passée dans un Bollywood mais pas ici.
Le dernier tiers comporte certes un suspense boursier réussi et une fin wongissime. Il casse la fausse piste de tragédie mafieuse mise en place au début. Sur la durée s'est construite, sans que ça atteigne la grâce façon duos de l'âge d'or hollywoodien classique de Tony/Maggie, une belle alchimie entre HU Ge/A Bao et XIN Zhilei/Li Li. Sauf que c'est noyé au milieu de trop de longs tunnels de récits secondaires inintéréssants, de personnages secondaires insupportables.
Il n'y a pas beaucoup d'épisodes réussis d'un bout à l'autre. Pour le reste, la série rend très bien compte de la frénésie s’emparant de la population chinoise en plein capitalisme naissant et représente un véritable hymne aux lieux emblématiques de Shanghaï. Mais on attendait mieux.
Ce type de projet ne permettait pas le mythique travail sans scénario du Hongkongais. Les contraintes du format drama chinois ont abouti à quelque chose de trop long (30 épisodes!). Il y a aussi le problème d'une signature visuelle n’évitant pas l’autoparodie. L’absence de William CHANG se ressent lorsque les ralentis donnent le sentiment de voir un copiste du cinéaste essayer de faire du Chungking Express. C'est YUAN Du, monteur ayant travaillé avec ZHANG Yimou à ses débuts (et aussi sur le récent et réussi One Second) qui s'y est collé. Pas un mauvais choix sur le papier mais peut-être pas l'homme de la situation. WONG surutilise de plus des scores déjà employés dans ses films. Le score original a lui ses moments de dramatisation subtils comme du Hans ZIMMER.
Filmée en dialecte shanghaien, la série est un phénomène culturel en Chine d’ampleur Game of thrones : le public veut répliquer la dégaine des personnages, des sites de livraison s’inspirent des plats de la série, les lieux filmés connaissent un boom touristique et le dialecte shanghaien revient à la mode. La série est parfaitement synchrone de la nostalgie des 30 glorieuses chinoises (1990-2015), perçues comme un moment où tout était possible. Sans doute un des problèmes de la série est qu’elle raconte la nostalgie des Chinois des années 2020 mais pas celle de WONG.
WONG n’est désormais plus à domicile ce cinéaste aimé d’un public d’élite et vu par le reste de la population chinoise comme un réalisateur de films chiants plaisant aux festivals occidentaux. L’agacement suscité par la longueur du tournage s’est dissipé. C’est la seule consolation que l’on peut ressentir après cette série décevante. Depuis, Saint-Laurent a annoncé financer son nouveau film. Et plus de nouvelles. C’est reparti pour un film au tournage en forme de long serpent de mer ?