Ennuyeux et pathétique
Pathétique, c'est le terme qui caractérise les personnages de ce film. Des êtres dénués de moral qui se servent de leur corps pour séduire les femmes et leur soutirer de l'argent. Des gens dont on ne peut clairement pas s'identifier et qui n'inspire aucune pitié dans leur anti-morale. Ils finissent tous par s'écrouler, et tout ce qui nous vient en tête c'est : "Bien fait, vous êtes des sous-merdes, vous n'avez que ce que vous méritez." Mais le plus dur, ce n'est pas de vouloir s'identifier, c'est juste de suivre leur parcours pendant deux heures. S'ennuyer clairement à voir deux connards se taper des filles, leur taper dessus, et se faire taper dessus. Aucun intérêt ne ressort de cette atmosphère ; on est juste dégoûté par cette violence qui semble si gratuite ; même avec un peu de recul, je n'arrive strictement pas à comprendre les choix du réalisateurs. Pourquoi ces personnages, pourquoi aussi détestables. Si le message à passer était celui d'un Séoul nocturne tordu et dangereux, je ne crois pas que les personnages en soient la voix. Leur extrémisme dans le mépris de l'autre focalise totalement l'attention sur eux et fait oublier son sujet. Cela se résume ainsi à un film totalement ennuyeux (accentué par la succession de jour/nuit/jour... bien trop rapide), qui passe complètement à coté d'un hypothétique message.
C'est rageant dans le sens où Yun Jong-Bin a un vrai sens de la mise en scène. Il diffère complètement de ce que l'on peut voir ces temps-ci en matière de cinéma coréen. L'image n'est pas ultra-chiadée, il y a toujours des mouvements de caméra un peu comme on le voyait dans The Unforgiven mais en nettement mieux contrôlé, et il instille une ambiance blues franchement pas dégueulasse sur certains plans de voiture. Ajouter à cela le plan séquence lors duquel Hyun s'en prend à son ami, qui est certainement la scène la plus intense du film (c'est la seule scène intense), et le jeu des acteurs impeccable. Mais ces bons points ne suffisent pas à relever le niveau d'un film au sujet inutile et aux personnages tellement écoeurants que leur violence en devient ennuyeuse.
Maladroit, mais un grand sujet et des moments intenses qui confirment un talent rare
Beastie Boys est assurément un film imparfait, voire raté, en tout cas qui manque d'être le grand film qu'il devrait être. Il pèche par un premier défaut énervant : trop long. D'autant plus énervant que c'était le même défaut dans The Unforgiven et une plaie de tout film asiatique récent. "Recherche producteur avec un peu de couilles pour dire à réalisateur trop prétentieux que son film est bien, mais bon, faut couper un peu pour tenir sous les deux heures, ok?" C'est pas difficile, quand même, et déjà énorme, non, 2h? Parce que les minutes en plus, elles pèsent fortement sur Beastie Boys. L'autre défaut dans la narration est le manque de renouvellement et de progression des situations, un rythme mal gérée sur la longueur, qui donc est déjà trop étirée.
Mais Beastie Boys est pourtant assurément, ça et là, un film qui marque.
Il confirme en effet que Yun Jong-Bin aborde des sujets que ne veut pas traiter le reste du cinéma asiatique, voire mondial. The Unforgiven se retrouvait être le premier film à parler de ce qui se passe vraiment dans les casernes pendant le service et ses conséquences sur la notion de "virilité". Beastie Boys reprend un peu les personnages de The Unforgiven pour en faire des gigolos. Des beaux mecs virils, mais également encore des enfants.
Yun Jong-Bin porte sur les hommes un regard unique, à la fois fasciné et compatissant, les rendant tantôt impressionnants de violence tantôt bouleversant de fragilité. Ces gigolos sont mis en face de call-girls, de filles faciles de karaokés glauques, et Beastie Boys raconte alors ce qui n'avait étonnement jamais été raconté aussi simplement : une histoire d'amour entre deux putes. "Pute" parce que quelle que soit le détail, qu'on couche ou pas, et même le métier, gigolo, vendeur, secrétaire, vous, moi, on fait la put. Le film dépasse largement la peinture d'un microcosme.
"Histoire d'amour", c'est pour résumer parce que justement, d'amour il n'en est pas trop question. Le fond de Beastie Boys est d'une noirceur absolue. Le film dépeint des solitudes dans un monde sans morale, puisque maintenant la morale s'achète, se vend au kilo ou se jette comme un kleenex le temps de se taper une pute. La force du propos est qu'il dépeint ces relations dans toute leurs complexité et finit par rendre chacun des personnages très humains, très réel.
Beastie Boys fait également partie de ces quelques films, maintenant en Corée, à parler d'une véritable obsession de l'argent : My Generation, My Dear Ennemy ou Breathless mettent enfin sur la table les vrais billets, pas ceux de la mafia, mais ceux du coréen de base, les quelques milliers de wons qui manquent, qu'on a en dette et qu'on gagne de façon minable. Ici on compte, on compare, on ausculte la gangrène du système capitaliste.
Yun Jong-Bin a donc une ambition rare et à suivre absolument. Il cherche également une forme presque parfaite, entre le spleen de Millenium Mambo, le réalisme cru de Hong Sang-soo et la stylisation du film noir. Parfois, il y arrive et offre alors des plans séquences d'une intensité incroyable, des face à face d'acteurs suffocants. Un coup de couteau dans un couloir à la fin d'une discussion et l'agonie qui suit, filmés en un seul plan, parait alors d'une violence rarement vue.
Enfin Yun Jong-Bin avait révélé Ha Jeong-wu, devenue petite star en quelques mois, il lui offre ici un rôle en or. Le film nous rappelle enfin le magnétisme de certaines actrices coréennes, ici une Yun Jin-seo qu'on ne connaissait pas (mais a démarré chez Park Chan-wook ou Im Kwon-taek). Elle apparaît en femme fatale du 21ème siècle, de celles qui semblent maîtres de tout mais n'ont plus aucun code, aucun objectif, juste un manuel de survie animale dans un monde carnivore.
Un homme et une femme comme les autres
Tout frais couronné de l'important succès de son rôle dans "Chaser", Ha Jeong-woo retrouve le réalisateur Yoon Jong-bin ("The Unforgiven") pour interpréter le rôle d'un gigolo. Un rôle rarement vu à l'écran et encore plus rare dans une Corée plutôt puritaine et conservatrice.
Moins uen immersion dans l'univers feutré des "call-boys", "Beasty Boys" se rapproche davantage du film des petits escrocs ou d'un drame psychologique. Jae-hyeon se joue autant des femmes, que des wons, qui leur prend. Sans scrupules, il navigue de l'une à l'autre et ose même ramener des inconnues à l'appartement, qu'il partage avec une fiancée. Un personnage borderline, qui – sous ses airs de dandy désinvolte – donne finalement peine à voir.
Depuis son précédent, "The Unforgiven", le réalisateur Yun Jong-bin a fait d'énormes progrès. Abordant à nouveau un thème méconnu / tabou en Corée, il met à profit son expérience acquise pour parfaitement emballer son histoire dans des belles images et – surtout – en dirigeant ses acteurs avec professionnalisme. Seul petit bémol: la fin, inutilement dramatique, comme s'il n'avait foi dans son scénario certes sans grands éclats, mais sonnant plus juste que dans son dénouement.
Un film mature et maîtrisé – plutôt rare dans le cinéma coréen actuel.