Tout a déjà été dit pour Adresse inconnue, simplement j'aimerais appuyer le fait que dans la majorité des films de Kim Ki-Duk et plus particulièrement dans celui-ci, le rapport cause à effet est systématiquement de mise. Toute action en entraîne une autre, qu'elle soit bonne ou mauvaise. Par exemple, le boucher canin tue sans la moindre pitié des chiens à coups de batte de baseball tandis qu'il rétorque un "tu n'as pas de pitié?" à son collègue métisse qui bat sa propre mère. Tout ça pour que le boucher canin se retrouve lui-même pendu par ses propres animaux. L'homme serait-il donc un chien? De même que l'opération chirurgicale de la jeune borgne qui entraînera encore plus de malaise au sein de son foyer, ou encore les deux racketteurs qui se retrouveront chassés comme des lapins par leur victime. Adresse inconnue n'est pas mon Ki-Duk préféré du fait de sa trop grande violence (physique et morale, aussi absurde soit-elle)et de son étalage permanent de crasse et de misère humaine. Disons que je n'ai pas besoin de ça pour triper pleinement en ce moment au cinéma, toutes les qualités évidentes du cinéaste mises à part (réalisation pudique, musique sensible).
NB :Mais là où la pilule a vraiment du mal à passer, c'est dans le traitement immonde du film pour son premier passage en DVD zone 2 française. L'image semble être tirée d'une vieille VHS usée (la définition et les couleurs renvoient clairement à Massacre à la tronçonneuse édité chez René Château) et le son est si étouffé que l'on ne distingue même pas ce que disent certains protagonistes. Un scandale. Ne parlons même pas des bonus tout aussi ratés (superbe interview totalement hors sujet de Kim Ki-Duk, making-of d'un quart d'heure...) et le tout facturé une vingtaine d'euros. On est décidément loin de la pureté de Bad Guy pourtant réalisé la même année.
Ce film est vraiment excellent ; le thème abordé est franchement peu attirant mais dès le premier instant, on rentre dedans et on oublie le reste ; d'ailleurs j'en ai oublié de boire le thé que je venais de préparer (et après le thé froid c'est pas bon). Enfin après avoir subit les sarcasmes de mon entourage du genre "Haha ! tu as vu tous les Kim Ki Duk sauf celui là ! mais quel nul !", je me suis décidé à le regarder une bonne fois pour toute ; et j'ai bien fait. Encore un Kim Ki-Duk où le sujet est original et mis en scène de manière très personnelle. Il parle dans son fidèle intérieur de l'influence de l'armée américaine sur le village qui reçoit le camps militaire. Et ce qui est bien, c'est que c'est finalement la première fois que je vois un film coréen qui ne catégorise pas sur les américains. Généralement, les quelques présences américaines que l'ont voit dans les films se résument en gros à des clichés où on voit des américains violer des filles, tabasser des hommes, et en général foutre le bordel. Mais là, l'américain qu'on voit le plus souvent dans le film a un caractère plutôt ambigüe ; même s'il est franchement un enfoiré, il faut avouer qu'il ne force jamais la fille et que manifestement il a vraiment l'air de l'aimer, bien qu'il fini par péter un cable. C'est sûr qu'à première vue, il n'inspire pas confiance ; même les autres américains le prennent pour un pervers et trouvent qu'il donne une mauvaise image de l'armée. Donc on porte à penser qu'il laisse juste miroiter une carotte devant la fille pour se la faire et puis c'est festin ; mais finalement il reste avec elle, et au final semble ètre sincère dans ses sentiments.
Par contre, l'influence de l'armée américaine sur la région est bien là et bien mauvaise ; Kim Ki-Duk ne cherche pas montrer les boulettes américaines vis-à-vis des coréens mais plutôt comment les coréens autour de la base gère l'influence d'un tel environnement. En gros, on voit que les gens parlent tous à peu près anglais, que toutes les enseignes sont écrites en anglais, que les militaires font du traffic de produits américains en tout genre, que la boîte de nuit n'est fréquentée seulement par les militaires, et que finalement, tout le village se base sur la population américaine. Et cela crée de nombreuses tensions entre les coréens, d'où des conflits plutôt nombreux et dégénérant. En outre la politique extérieure américaine est une fois de plus critiquée quand on voit le militaire américain se faire tirer dessus parce qu'il s'en est pris à une coréenne ; même s'il est manifestement arrêté par les militaires, c'est quand même le coréen qui l'a atteint qui doit aller en prison alors qu'il n'a fait que défendre un fille ; mais l'amérique est toute puissante chez ses vassaux c'est bien connus.
Pour ne pas oublier, on voit clairement que les acteurs sont fabuleux, en particulier Yang Dong-Geun et Jo Jae-Hyeon. Le film en lui même est impeccable et reflète bien le talent de Kim Ki-duk en matière de râleur.
Adress Unknown, meme s'il marque un redressement par rapport au navrant Real Fiction, représente néanmoins une relative déception. Au positif, Kim Ki Duk confirme son talent de metteur en scène et son sens de la retenue, de la construction des plans tranchent de façon heureuse avec les tendances à l'épate Dogma qui l'avaient contaminé dans Real Fiction.
On retrouve le travail remarquable sur les sons déjà entrevu dans l'Ile et sa fameuse thématique des souffrances animales. Ne souffrant pas des opacités psychologiques de l’Ile, Adress Unknown est aussi bien plus inégal. Car les enjeux les plus forts du film se concentrent finalement sur le personnage de la fille borgne qui cache son oeil endommagé derrière ses cheveux (belle idée). L’attraction/répulsion vis à vis de l'Amérique s’incarne ainsi sous les traits d'un soldat qui cherche à l'aider à se faire opérer mais semble surtout poursuivre des objectifs de satisfaction immédiate plutot que sentimentaux. Elle offre aussi au film de grandes idées narratives et de mise en scène liées au voyeurisme. Un personnage se retrouve ainsi puni d'avoir regardé au travers de la serrure en ayant l'oeil crevé. L'oeil en papier apposé sur l'oeil de l'héroine du film est une autre belle idée narrative. Les plans au travers d'une serrure et les plans montrant le regard de la jeune fille se brouillant et se troublant sont de belles idées de mise en scène liée à cette question-là.
Les scènes contenant d'autres personnages que l'adolescente borgne contiennent certes des éléments intéréssants. Elles révèlent ainsi l'antiaméricanisme primaire des personnages, leur racisme anti-métis. Elles comportent également de belles idées concernant le traitement de la violence: plans distants, gros plans sur les flaques d'eau comme si la violence était trop horrible pour etre montrable de près. Mais elles n’égalent pas dans l’ensemble la force des passages mentionnés plus haut. On pourrait également contester la façon dont les soldats américains sont dépeints: ils sont le plus souvent montrés comme égoistes et ayant une psychologie sommaire. Le seul soldat qui se rebelle contre ses collègues et aide la fille borgne ne cherche qu'une satisfaction sexuelle exotique à ses manques. D'un autre coté, le comportement des autochtones est aussi dénoncé par le film mais, contrairement aux personnages américains, cela n'aboutit pas à leur diabolisation : ils sont juste montrés comme psychologiquement déstabilisés par l'occupation et ont une vraie complexité psychologique, ce qui n'est pas le cas des GI's.
Le film est au final trop inégal pour surpasser l'Ile mais, du fait de ses qualités, il confirme malgré tout que l'Ile n'était pas un accident et que Kim Ki Duk est un cinéaste coréen à suivre.
Après une introduction donnant le ton en nous montrant un boucher canin au travail, Address Unknown nous permet de suivre une galerie de personnages atypiques et plus ou moins attachants. Jugez plutôt : une fille borgne, un jeune homme trop réservé, un métis afro-américano/coréen, sa mère qui passe son temps à essayer de contacter par courrier son père qui est retourné aux USA, deux racketteurs de bas étages, un militaire américain qui aide la pauvre borgne, un boucher canin donc et d’autres protagonistes tout aussi marginaux.
Le film présente un constat peu reluisant de la Corée d'après guerre. Tout d'abord au niveau du racisme ambiant, qu'il soit envers les Coréens du nord, les Américains (quelque soit leur couleur) ou encore envers ce pauvre métis qui n’a pas demandé à naître ainsi, dans ce pays. Il est rejeté, maltraité par tous (coréens comme américains) à cause des ses origines, multiples. Ce long métrage pose la question entre autre du problème des militaires en mission qui font des enfants avec des femmes locales, puis qui repartent dans leur pays d’origine, en abandonnant tout ce qu’ils ont commencé à construire (ou pas) derrière eux.
La réalisation de Kim Ki-Duk est sobre, la musique très belle et les acteurs sont criants de vérité, toutes ces qualités permettent une immersion totale dans l'histoire.
Tout le monde a des qualités et des défauts, et ceci est encore plus criant dans Address Unknown : personne n’est parfait, ni complètement mauvais, chacun peut avoir une face cachée, qu’elle soit bonne ou pas, parfois inattendue. Ce film est rempli d’une frustration perpétuelle, qui ne peut se dénouer que par la violence, alors exacerbée. Heureusement, certains passages humoristiques au second degré permettent de soulager le spectateur quelques secondes avant de nous replonger dans leur quotidien sordide.
En visionnant ce long métrage, on sourit, on est triste, on espère, on ne croit plus en rien ; Address Unknown joue avec nos sentiments de manière magistrale. Magnifique et merci Kim Ki-Duk .
Merci à Panasia 2002
On a tous encore en tête le très spécial L' Ile sorti en 2001 sur les écrans français : vague de poésie malsaine et dérangée, il avait attiré près de 20 000 spectateurs en salles pour suivre le portrait violent d’une femme muette à la recherche de l’amour dans un lieu des plus particuliers (des cabanes de pêche sur l’eau). Si Address Unknown est complètement différent du point de vue formel, puisqu’il consiste en une succession de saynètes menée à un rythme trépidant avec beaucoup de dialogues et de personnages, il place cependant, comme dans L’Ile, ses protagonistes dans un lieu peu banal (un petit village proche d’une base militaire US chargée d’assurer la paix entre les 2 Corée dans les années 70) et le rôle principal revient à une adolescente borgne très timorée (tiens tiens…).
De nombreuses scènes plus absurdes et troublantes les unes que les autres font définitivement de Kim Ki-Duk un cinéaste à part, l’un des rares coréens de la jeune génération à confirmer son talent à l’échelon international. Pour étayer sa vision d’une population dont la vie est déréglée par la présence stressante d’occidentaux armés, il s’autorise toutes les audaces. Yann vous en a cité quelques unes, ajoutons par exemple un plantage de crayon de mine dans l’œil, une pendaison à un arbre d'un boucher par des chiens, un découpage de tatouage au couteau, des cibles d’archers amateurs assez originales (le dos d’un chien, le bas-ventre d’un soldat), … Parfois drôle, parfois choquante, cette accumulation de déviances somme toute réjouissante n’a qu’un seul défaut : celui de l’overdose ! Car j’aime autant vous dire qu’il faut avoir le cœur bien accroché pour tenir 2H sans être pris de nausées…
Au delà de ces petits moments absurdes d’une drôle de vie, quelques éléments propres au peuple coréen de l’époque se dégagent en filigrane : les relations Corée du Nord – Corée du Sud très tendues et symbolisées par un ancien combattant récompensé du meurtre de 3 chiens de soldats nordistes par le gouvernement, le racisme et l’intolérance latents symbolisés par la condition d'un métis afro-coréen mal accepté et donc marginalisé, et surtout les relations entre les soldats US et la population locale représenté par un jeune couple mixte, montrées ici comme de simples échanges d’intérêts (un œil contre un cul :-) ) débouchant sur un drame mutuel… Qui a dit que les américains étaient bien perçus chez les autres ?
Précisons qu’on a vu ce film en cassette, avec un son minable, pour partie en accéléré, parce qu’il est long et qu’on était pressé par le temps (vous savez, les festivals, les rendez-vous, les cocktails, c’est dur). Il se peut donc qu’on ait un jugement faussé. De toutes façons, il est évident qu’Address Unknown est un film passionnant, original, qui porte la marque désormais inimitable de Kim Ki-duk.
Contrairement à ce que L’île pouvait faire penser, la particularité de cet auteur coréen n’est pas la quasi absence de dialogues (enfin, en sachant que les coréens ne sont pas des tchatcheurs), puisque dans Address Unknown, on parle à peu près normalement. Par contre, comme dans L’île, mutilations et déviances sont légion : l’héroïne n’a qu’un œil valide, elle se fait lécher ce que vous pensez par un chien (sous la robe, dommage !) pendant qu’un homme la mate, d’ailleurs les hommes sont des obsédés sexuels (un numéro de Hustler circule) et les soldats américains sont des psychopathes en puissance se défoulant sur des chiens, lesquelles bêtes sont par la suite mangées, mais avant elles s’enculent allègrement. Le seul homme censé, un jeune soldat amoureux, est du coup un peu fade et est tué à la fin. Ceux qui ne finissent pas morts sont tout comme, tarés à vie.
Bienvenue chez Kim Ki-duk, un monde où les femmes sont traitées comme les poissons (L’île), ou comme les chiens (Address Unknown). Il semble d’ailleurs que ce sadisme envers les bêtes soit devenu célèbre en Corée (où L’île a été un beau succès), puisque le film commence avec un complice et gagesque : « Aucun animal n’a été blessé dans ce film ». Autre marque de fabrique, le choix des décors : entre une maison abandonnée au milieu d’un champ, un bus rouge en bordure d’un bois, ce même bois bien mystérieux et la maison de l’héroïne, dont on ne verra presque que la chambre, Kim Ki-duk confirme qu’il a l’art de placer ses martyrs dans des lieux où ils se sentent mal à l’aise, mais où sa caméra peut filmer des images puissantes. Des éclairs de poésie magnifique (mais dans une moindre mesure que dans L’île) illuminent le film. Ainsi le moment où l’amoureux transi met un œil découpé dans un magazine sur l’œil de verre de la femme, qui le garde ensuite comme un masque.
Address Unknown semble souffrir d’un trop grand nombre de personnages, d’une dramaturgie très éclatée, d’une grande ambition (être à la fois dans la psychanalyse, l’histoire de son pays, le documentaire et le conte moral) mal maîtrisée et d’une peinture des soldats américains trop caricaturale. Un peu plus de rigueur aurait pu donner un chef d’oeuvre, car le sujet de départ, l’occupation américaine, est très intriguant et trop rarement traité dans le cinéma coréen, de même que japonais. Seul exemple en tête : Soldats d’été, extraordinaire film japonais de 1972, de Hiroshi Teshigahara, réalisateur de l’OVNI La femme des sables, dont L’île est d’ailleurs proche. Ce n’est pas forcément un hasard. Ces deux petits pays, occupés par une grosse puissance étrangère (deux fois, en plus, pour la Corée), se sont alors senti assiégés, comme une femme seule sur une île menacée par des hommes à la virilité exacerbée.