Date du yakuza eiga mais réussite cinématographique mineure.
La série Tokugawa ne révélait pas vraiment en Ishii Teruo un grand du cinéma japonais. Tout en leur étant bien supérieur cinématographiquement, ce premier volet de série à succès Abashiri Prison a tendance à le confirmer. Bon produit artisanal emblématique des années dorées du cinéma populaire nippon, le film est pourtant loin de s'imposer comme une réussite cinématographique majeure.
C'est que ce premier volet est une espèce de compilation/service minimum du cinéma populaire japonais et c'est ce qui lui donne un peu de charme. On a ainsi plaisir à entendre Takakura Ken chanter le code d'honneur yakuza et les regrets, on a aussi plaisir à retrouver son légendaire charisme. Et la mise en scène d'Ishii Teruo n'est pas dénuée de savoir faire à défaut d'etre renversante: bon usage de la caméra à l'épaule, sens du cadre, efficacité des scènes d'action. Le scénario est emblématique de la capacité du cinéma de genre nippon de l'époque à croiser influences étrangères et thèmes spécifiquement japonais: du film de prison sous influence hollywoodienne oui mais avec de l'honneur, de la fidélité entre yakuzas, de l'amitié virile, de la trahison, des rapports familiaux difficiles et meme sur la fin un peu d'humanisme.
Les limites du film sont son humour qui est loin de faire mouche, le fait que les scènes en prison soient loin d'etre toujours captivantes et aussi que le film ne décolle un peu que lorsque certains passages ont un peu plus de dramatisation. On pourrait déplorer aussi un certain manque de rythme. Les limites du film sont aussi celles d'Ishii Teruo: on ne demande pas forcément qu'il y ait un auteur aux commandes d'un film de genre, l'histoire du cinéma japonais ayant prouvé (cf Uchida) que les artisans n'avaient parfois rien à leur envier. L'ennui, c'est qu'au rayon de la grandeur artisanale on a vu mieux qu'Ishii Teruo.
Du coup, alors que ses enjeux thématiques sont assez profonds, le film n'est que divertissant sans etre émotionnellement impliquant. Ceci dit, il est important pour ce qu'il a représenté pour le yakuza eiga des années 60: tourné avec un budget réduit, il rencontra un succès surprise au Box Office nippon et révéla LA star masculine du genre Takakura Ken. Le film est malgré tout très loin de représenter le haut du panier sixties du genre. A voir néanmoins comme symbole du système de studios nippon de son temps.
Quelques faiblesses et pourtant, un film essentiel
Film culte, hyper-important dans l'histoire du cinéma japonais des années 60 et celle du yakuza-eiga,
Abashiri Bangaichi est avant tout le succès qui aura révélé Takakura Ken comme LA super-star du cinéma japonais de studios. Encore aujourd'hui personne n'est parvenu à le détroner de sa position d'acteur le plus populaire de l'histoire du cinéma nippon. Dès le générique, quand la voix de Takakura ouvre le film par une chanson (qui deviendra elle aussi culte) qu'il chante lui-même comme c'est l'usage dans les films de l'époque, il marque le film de son empreinte. Par la suite, par petite touches, tout dans la caractérisation de son personnage ira dans le sens de faire de lui l'anti-héros au coeur pur qui allait en faire une star. Fils aimant et dévoué mais inconséquent, repris de justice à l'esprit droit et juste, il est tout ce que le public japonais de l'époque adore, un parangon de romantisme sixties.
Mais (heureusement) les qualités du films ne reposent pas sur le seul Takakura. Si la première partie dans le prison est assez classique et ne dépareille pas du tout-venant des films du genre (sans pour autant s'avérer particulièrement déplaisante pour autant), tout s'emballe dès que les prisonniers entreprennent de s'évader. Le parcours des deux rivaux enchaînés sous un ciel cruel devient alors passionant. Un antagonisme psychologique les oppose, une chaîne les relie et c'est à deux qu'ils doivent s'efforcer de survivre dans leur folle échappée, malgré les poursuivants et une fatalité qui pèse lourd sur leurs épaules. Tout n'est pas parfait, mais la mise en scène d'Ishii Teruo, ici assez sage, s'accorde assez bien au filmage des différentes péripéties de leur fuite (on retiendra notamment la poursuite en wagonnets, la coupure de la chaîne par le train et la dispute entre les deux hommes sous une nuée de corbeaux) et des étendues enneigées. On est bien loin d'être en présence d'un chef-d'oeuvre absolu du cinéma mondial (si Ishii Teruo en était coutumier, cela se saurait) mais c'est là un très solide début pour cette série parmi les plus populaires de l'archipel nippon qui allait connaître dix huit épisodes en tout, dont dix réalisés par Ishii lui même.