Les ingrédients qui font la réussite de ce « pique-nique » atypique sont simples : Iwai confirme son talent de metteur en scène, Remedios apporte une énorme plus-value à l'ensemble, Tadanobu Asano et sa future femme Chara sont un des plus beaux couples de malades que l'on ait pu voir dans le cinéma japonais. Cette simplicité on la doit à personne d'autres qu'à cet ensemble de personnes qui donnent vie à un projet aussi fou que potentiellement culte : trois aliénés quittent leur asile sans pour autant franchir les frontières séparant les hommes des fous. Ils vont rencontrer tout au long de leur parcours autant de personnes et d'éléments qui ne sont autre que des tentateurs voulant à tous prix qu'ils redescendent sur Terre : le prêtre propose une Bible pour qu'ils retrouvent le droit chemin, le policier rencontré en cours de route les somme de descendre du mur. Ces propositions montrent l'état d'esprit de ceux qui croient que le symbolisme est le fruit de la réussite et d'une ligne de vie à adopter, et par la même occasion elles montrent que la société dans laquelle évoluent ces personnes ne peut être que meilleure si l'on a ces symboles en main (aussi bien la bible pour le bien que le revolver pour le mal). Mais contrairement à eux, ce sont les "fous" qui voient juste malgré leur envie de voir la fin du monde.
Las, en fin de métrage, Tsumuji tirera sur le soleil pour accélérer les choses. Belle symbolique. Belle grâce recouvrant le film dans son intégralité, des premiers plans sur la route recouverte de fleurs alignées puis écrabouillées (lorsque le rêve est gâché par la réalité) au bal de plumes sous un soleil crépusculaire. La musique de Remedios insuffle au film une puissance pleine d'onirisme et d'imaginaire confinant à la grâce absolue lorsque les notes de piano retentissent aux moments clés. A ce niveau, la courte séquence d'amour entre Tsumuji et Coco atteint un degré de beauté remarquable, où la caméra de Shinoda manie aussi bien les tics clippesques que les tics essentiels à toute scène d'amour intense bien aidée par un montage de Kojima/Iwai inspiré. Les scènes d'une beauté surréaliste ne manquent pas à l'appel, comme ces linges sur les hauteurs des gratte-ciels, métaphore de la présence des anges. Le film est parsemé d'une énergie évocatrice du cinéma d'Iwai, qui même lorsqu'il n'atteint pas les deux heures, peut proposer de bien belles choses simplement parce qu'Iwai ne met pas "qu'en scène", apportant un vrai regard de cinéaste talentueux là où d'autres ne se contentent que de "filmer" (c'est à dire la majeure partie des cinéastes nippons actuels dans un genre similaire ou dans un genre qui tend vers le mélo). Un de ces films qui marqueront l'esprit du spectateur bien après sa vision.
Après Love Letter, Shunji Iwaï revient avec un budget bien plus modeste mais ce n'est pas pour cela que son talent en est amoindri, bien au contraire... Dès le premier plan de Picnic, on découvre des immeubles glauques et à l'abandon, témoins d'un passé industriel révolu: ce sinistre décor dans lequel se trouve l'asile fait penser à un lieu hors du temps et sans repères géographiques et donne à l'asile ce sentiment d'un endroit indéfini. A partir de cet instant, on sent que tout ce qui sera vu dans le film n'est pas à prendre comme tel mais exige une certaine interprétation de la part du spectateur pour une meilleure compréhension de l'oeuvre. En effet, cet "asile" se révèle plutôt être un véritable enfer où les gens qui auraient commis des pêchés(meurtres,etc...) se retrouvent condamnés. Cet aspect religieux est confirmée par la jeune Chara, habillée avec des plumes de corbeaux, ce qui lui donne une image d'ange noir(la question de sa nature divine est d'ailleurs abordée dans les dialogues). Finalement, ces trois êtres déchus partent jusqu'au bout du monde pour voir l'apocalypse et en même temps, se libérer de leur matérialité et de tout ce qui pourrait les rattacher à la terre: ce n'est d'ailleurs pas un hasard si ils ne touchent jamais le sol. Cette barrière entre "les gens du sol" et nos trois protagonistes est d'ailleurs bien montré lors de leurs diverses rencontres et si au final, ils voulaient descendre du mur(et par conséquent de leur statut semi-divin), la mort et la réalité les rattraperaient aussitôt. Leur voyage sera aussi l'occasion pour eux d'entamer une rédemption personnelle et de se libérer du fardeau de leur lourd passé pour finalement accéder à un état immatériel, représenté par ce pique-nique imaginaire où les aliments n'existent plus.
Avec toute cette thématique, Picnic aurait pu être un film d'intello à deux balles mais heureusement le génie de Shunji Iwaï veille au grain et on a affaire à une réalisation limpide, désarmante de simplicité et d'efficacité. Il faut dire que le voyage des ces trois fous sur des murs a un aspect cinégénique indéniable et rarement vu. Et surtout, c'est une nouvelle fois Remedios qui signe la musique du film, apportant une grande légèreté à l'ensemble de l'oeuvre. D'une courte durée, Picnic n'en marquera pas moins l'esprit des spectateurs pour longtemps.
Picnic narre la fuite d'une fille et deux garçons évadés d'un asile. La première belle idée du film est de les montrer constamment en équilibre sur un mur à la frontière du monde réel et du monde des fous, refusant de choisir entre les deux. Le hasard leur fait rencontrer deux personnages (un prêtre, un policier) dont ils ne garderont que les emblèmes (bible, revolver) utilisés de façon ludique par les héros. Le revolver et la bible alimenteront leurs fantasmes de fin du monde et leur désir de vivre vite. Malgré quelques passages complaisants essayant d'apitoyer le spectateur (les rêves de Tadanobu Asano), le film est une suite de moments de liberté soulignés par des ralentis et une caméra portée constamment au diapason des émotions des personnages. Surtout, le film impose le charisme et le talent d'acteurs du couple Chara/Tadanobu Asano (ensemble à l'écran comme à la ville) qui irradie l'écran. Aprés ce moyen métrage qui confirmait son talent, Iwai pouvait repasser au (très) long métrage avec Swallowtail Butterfly.