Interview Wong Kar Wai

Wong Kar-wai a présenté la version définitive de 2046 en Corée du Sud, au festival de Pusan, après avoir raté son coup du film inachevé au festival de Cannes. C’est en Asie qu’on mesure vraiment l’aura du mystérieux réalisateur aux éternelles lunettes noires et la renommée de ses stars glamour. 1000 japonaises ont dormi à l’aéroport de Pusan pour attendre le beau gosse japonais Kimura Takuya... qui n’est pas venu. Au cours d’une conférence de presse évidemment sous haute pression, des jeunes femmes semblaient défaillir au moment de parler devant le bel impassible Tony Leung. Il semblait contrôler le moindre de ses mouvements en pensant qu’il avait son statut d’icône à tenir. La dévotion a donné lieu a quelques questions de pure révérence, qui paraissent stupides ici, que nous avons résumé dans la première question. Mais de belles réflexions sur l’amour et le souvenir ont heureusement eu leurs places, et Wong Kar-wai a finalement dévoilé sans chichis des secrets tous simples de sa démarche éternellement dandy..

 

Il restera dans les annales du festival de Pusan que les milliers de places pour la séance de 2046 ont été réservées en 4 minutes sur le site officiel. Quelles sont vos impressions par rapport a cet engouement autour du film ici, et sur votre présence au festival de Pusan en général ?

Tony Leung : Je suis ravi et honoré. C’est ma troisième fois ici, et a chaque fois que je viens, je me sens comme en vacances, car c’est une ville avec des plages et je suis très bien accueilli. Je suis submergé par les sentiments enthousiastes que l’on voit ici. Wong Kar-wai : La première fois que je suis venu ici j’ai été très étonné de l’accueil ici. Certains cinéphiles viennent de plusieurs villes en train et dorment dans les couloirs, juste pour voir mon film. Les cinéphiles coréens sont très enthousiastes. Je crois que c’est dû a ce casting merveilleux, dont Tony Leung, mais aussi a la passion pour le cinéma. Donc, je suis étonné mais pas tant que ça.

Monsieur Wong Kar-wai, vous avez retourné des scènes et remonté le film après la présentation du film à Cannes, pouvez vous nous dire quels sont ces changements ?
Wong Kar-wai : Quand on a envoyé la copie à Cannes, nous étions dans l’urgence, tout n’était pas prêt. Après, les plans pour les animations 3D étaient finis, donc nous les avons inclus dans le film et nous avons refait le mixage.

Monsieur Wong Kar-wai, on peut dire que vous êtes le réalisateur le plus romantique du monde. Etes vous d’accord avec cela et selon vous, quelle serait la définition d’un « vrai amour » ?

Wong Kar-wai : Je ne crois pas que je suis si romantique. Et il est tellement difficile de définir l’amour, c’est ce que dit 2046. Beaucoup croient que c’est une histoire d’amour, au début je pensais aussi cela, puis j’ai réalisé que c’était une « histoire sur l’amour ». Donc je n’ai pas la réponse à votre question, et je crois que mes interrogations sont dans le film.
Monsieur Tony Leung, d’habitude vous jouez les rôles d’homme abandonné par les femmes. Cette fois-ci, c’est vous qui abandonnez beaucoup de femmes magnifiques. Quel rôle est le plus difficile pour vous ?
Tony Leung : Ce rôle dans 2046 fut le plus important challenge de ma carrière. Car Wong Kar-wai m’a dit que j’étais le même Chow que dans In the mood for love, mais mon style devait être différent. Je m’étais habitue au personnage, il était difficile de changer tout cela.
Les feuilletons télévisés coréens deviennent très populaires à Hong Kong. Monsieur Tony Leung, avec quelle actrice de ces feuilletons aimeriez vous tourner ?
Tony Leung : J’ai effectivement vu beaucoup de dramas coréens avec des très belles et excellentes actrices. Comme je suis un homme très gourmand, ne me forcez pas à choisir une seule de ces belles femmes, j’espère que je pourrais faire un film comme 2046 où je pourrais avoir des histoires d’amour avec chacune d’elles l’une après l’autre !
Monsieur Wong Kar-wai, pourquoi avoir choisi un acteur japonais, Takuya Kimura et quels sont vos impressions sur sa performance ?
Wong Kar-wai : C’est à cause de cette dame (il pointe une jeune femme cachée à gauche), c’est une de nos productrices. Depuis des années, elle est complètement folle de cet acteur japonais et elle n’arrêtait pas de m’envoyer ses cassettes (rires). J’ai regardé et l’ai trouvé bon. Elle a arrangé la venue de Kimura Takuya a Hong Kong. Mais je ne savais pas s‘il pouvait correspondre à la façon dont je fais les films. Car les acteurs japonais sont très disciplinés, ils ont l’habitude de tout savoir pour se préparer. Alors je lui ai dit que l’histoire changerait beaucoup. Son entourage pensait que ce serait très risqué mais lui y a vu un challenge personnel. Pendant les quelques mois ensemble, ce qui m’a frappé est qu’il a un excellent entraînement. Il peut faire toutes sortes de choses, danser, chanter et être un excellent acteur. Certains acteurs doivent être poussés, d’autres, comme lui, ont besoin d’être retenus pour que leur jeu colle avec le reste du casting. Maintenant mon amie productrice a changé de goûts. Elle est folle des acteurs de TV dramas coréens (rires).
Vous avez une grande affection pour vos acteurs. A quel point cela se reflète t-il dans vos films ?
Je dois être obligé de répondre à cette question, car c’est tellement « cinéphile », non ? En tant que réalisateur, vous devez aimer les personnes que vous mettez en face de la caméra. Et il ne s’agit pas uniquement du casting principal. Chaque personne a l’écran est importante. Parfois j’aurais une star qui va jouer le rôle mais je peux demander à l’assistant caméra ou l’accessoiriste d’être dans le film, parce que je les connais, leurs visages racontent une histoire.
Dans 2046 comme dans In the mood for love, on retrouve exactement un geste vu dans Nos années sauvages, Tony Leung qui réajuste sa mèche de cheveux. Pourquoi cette image est si symbolique pour vous ?
Il y a des éléments similaires chez certaines personnes. Par exemple votre coupe de cheveux peut me rappeler quelqu’un d’autre. Vous marchez dans la rue et croisez quelqu’un qui fait remonter un souvenir. C’est quelque chose qui traverse toujours mon esprit. Je voulais capturer ça dans 2046. Chow a de l’affection pour le personnage de Gong Li parce qu’elle a le même nom que Maggie Cheung dans In the mood for love. Je veux susciter le même sentiment pour le public qui connaît mes films. Car s’ils regardent certains aspects du personnage de Chow, cela leur rappellera des personnages qu’il a joué dans mes films précédents.
Certaines de ces images « réminiscentes » dans 2046 sont elles des souvenirs personnels ?

Wong Kar-wai : Etre réalisateur est un privilège car vous pouvez vous faire plaisir. Ainsi si vous voulez aller en Argentine, vous inventez une excuse pour y tourner un film: c’est Happy Together. Pour la scène ou Tony se prépare à sortir la nuit de Noël, quand je lui ai demandé de réajuster ses cheveux, cela m’a rappelé la façon dont il le faisait dans Nos années sauvages. Alors je lui ai dit : pourquoi pas comme cela ? Au départ c’est nous que ça amuse, comme un secret, car tous les spectateurs de 2046 n’ont pas vu Nos années sauvages. Mais si c’est le cas, cela devient un secret entre eux et nous. Pendant le tournage de 2046, nous avons donc pris beaucoup de plaisir, car nous avons partagé beaucoup de secrets.

Chow dit au personnage de Gong Li : « Quand tu sera libérée de ton passé, reviens vers moi ». Mais celui qui est le plus prisonnier de son passé n’est-il pas Chow lui-même ?

Wong Kar-wai : Les problèmes des femmes de 2046 sont ceux de Chow. Lui aussi fonctionne « avec retard », il ne réagit pas sur le moment. Il a beaucoup de choses en tête et ce n’est qu’après qu’il réalise avoir manqué quelque chose d’important. Chow passe la plupart de son temps à regarder en arrière, et parfois il imagine son futur. C’est parce qu’il n’est pas satisfait de lui maintenant. Nous devrions être plus attentif aux choses du présent, car ce sont les seules qui nous entourent réellement. Elles bougent très vite, alors vous risquez de les manquer si vous n’y faites pas attention.

Propos recueillis au festival de Pusan par Yann Kerloc’h. Merci au service de presse du festival.

date
  • octobre 2004
crédits
Interviews