Interview Otaku

Bonjour Jay. Peux-tu te présenter ainsi que ton parcours professionnel jusqu’à la création de Otaku ?

Je m'appelle Georges Grouard et Jay est mon pseudo, disons ma signature… Mon parcours professionnel n'a rien d'exceptionnel même s'il est considéré comme atypique. Je ne sors pas d'une école de journalisme, ni même d'une haute institution. Je ne suis qu'un passionné autodidacte (avec un faible niveau d'études) qui a, un jour, voulu partager ses passions avec d'autres gens par le biais de l'écrit. Otaku n'est en revanche pas mon premier magazine. J'ai commencé ma "carrière" en 1997 en travaillant en tant que responsable informations et Internet pour le magazine de jeux vidéo Consoles News. J'ai rapidement intégré l'équipe en tant que rédacteur tout comme dans Gameplay 64 (consacré à la Nintendo 64). Par la suite, je suis devenu rédacteur en chef adjoint de Consoles News puis rédacteur en chef mais également rédacteur en chef de Game Dream, un autre magazine de jeux vidéo. C'est aussi à cette époque (printemps 2000) que j'ai lancé mon premier concept personnel que j'ai crée à 100% : Gameplay RPG. Vu le succès rencontré par le produit et la confiance que me faisait le public, six mois plus tard, je réitérais avec deux nouveaux produits : un baptisé Hardcore Gamers, consacré aux jeux vidéo import et un autre dédié à l'une de mes nombreuses passions : le Japon, baptisé lui, Otaku.

Comment et pourquoi est né Otaku ? Le contenu du magazine ne se limite pas aux animes et manga, quelles sont ses ambitions en terme éditorial ?

Otaku n°11

Comme je te le disais plus haut, il est né sans réelle étude. Je savais que le marché débutait vraiment malgré les dix années d'existence d'Animeland, je connaissais parfaitement le milieu et le domaine, j'avais une équipe d'amis extrêmes (ils ont absolument TOUT vu). J'avais donc tous les ingrédients et fort du succès de Gameplay RPG, j'avais davantage d'expérience pour créer un magazine tel que j'ai toujours rêvé d'en voir : un magazine culturel consacré au Japon. Je décidais qu'Otaku serait non seulement un magazine où les fondus d'animés se retrouveraient mais j'avais pour ambition de rassembler, de fédérer, d'initier… tout bonnement de montrer un autre visage de ce pays si fascinant qu'est le Japon mais qu'hélas bien peu de lecteurs de mangas ou consommateurs d'anim' connaissent bien. Je voulais à la fois rendre hommage à l'histoire et au patrimoine culturel du pays, tout en dénonçant à travers des enquêtes et des dossiers certains penchants de leur société.

Pourquoi “Otaku” comme titre de magazine ?

Pourquoi pas ? Même si l'objectif était de s'adresser au plus grand nombre et que chacun y trouve son compte, je trouvais qu'inclure la notion d'otakisme était intéressante à plus d'un titre. 1) définir ce qu'est réellement un otaku et ce qui n'est guère un compliment, 2) montrer au grand public que l'otaku malgré ses défauts humains reste quelqu'un de passionnant et de passionné. En fait, j'ai choisi le titre au feeling, je n'avais pas d'idée précise mais je voulais qu'il résume le propos du magazine.

Comment analyses-tu l’état du marché de l’animation et du manga en France aujourd’hui, surtout quand on constate l’offre de produits toujours plus grande ? Est-ce que ça ne va pas “trop vite” ou alors cela correspond-il à la réalité du public visé ?

Je ne sais ce qu'en pensent mes confrères mais j'ai un mauvais pressentiment. D'une part, j'estime que si le manga s'est imposé comme une lecture normale et dans les mœurs actuelles, c'est à la fois une bonne et une mauvaise chose. D'un côté, cela démocratise le manga et permet à tous de trouver son compte dans ce type de BD aussi variées qu'intéressantes. Mais d'un autre, le fait que le manga soit devenu une chose courante ne pousse plus les mangaka à se "déchirer" ou à chercher à intéresser comme avant. Personnellement, je trouve que l'âge d'or est passé avec Akira et Gunnm (et bien d'autres) même s'il reste des productions de qualité. Hélas, ça "freeze" gentiment au Japon et découvrir de nouvelles créations en tout point similaires aux franchises à succès ne m'intéresse pas… par exemple, le nouveau GTO m'indiffère totalement. Au niveau de l'animation, j'ai encore plus peur. D'une part, l'animation semble totalement gelée en France. A part Dynamic Visions, AK video ou encore Kaze qui essayent de faire des choses, je n'ai pas l'impression que cela bouge. On se retrouve toujours à parler des mêmes titres comme Cowboy Bebop, Escaflowne, One Piece etc. Hélas, ces séries pour la plupart sont déjà terminées depuis bien longtemps au Japon ou alors en sont au centième épisode alors que nous n'avons pas franchit le dixième. C'est gênant. Ce qui m'ennuie particulièrement dans l'animation japonaise est qu'elle tourne en rond… au Japon non seulement mais principalement en France. Le piratage sur Internet me fait également peur. Le fait que les animés ne soient plus achetés va forcément avoir une répercussion sur les maisons de production qui arrêteront, faute de moyens, à un moment ou à un autre de réaliser. Dernier danger : Il faut un film de Miyazaki en France pour relancer un intérêt. Il tarde à venir, constate par toi-même ce qui sort actuellement…

Les magazines de pré publication (Tokebi, Shonen et bientôt Magnolia chez Tonkam) récemment apparus, sur le modèle japonais toutes proportions gardées, indiquent-ils également un changement dans les comportements des lecteurs et de la place du manga en France ?

Non, je ne crois pas à la réussite du magazine de prépublication en France. S'il est vrai que cela peut influencer les futurs achats de certaines personnes, je doute sincèrement que ce format soit idéal pour les français. Nous n'avons pas la même culture que les Japonais, il ne faudrait pas l'oublier… Or, il est évident qu'en France, tout le monde se fout éperdument de la prépublication. Nous sommes soit des pirates (qui attrape tout sur Internet), soit des affectifs, qui avons besoin d'avoir une belle couverture sous les yeux et un album consistant et brillant entre les mains, pas d'un vulgaire magazine avec un papier de mauvaise qualité, en N&B où l'on retrouve dix chapitres de dix manga différents. Tu noteras également qu'en France, si l'on est capable d'attendre une semaine pour voir le nouvel épisode d'une série, attendre un mois pour suivre ses séries préférées s'avère de plus en plus difficile. C'est d'ailleurs l'une des raisons qui expliquent l'existence des "scans de manga" sur le net. Tu n'as plus à attendre des mois avant de savoir la suite de tes héros préférés… Nous sommes dans une ère de consommation, pas d'attente…

L’animation japonaise et les manga connaissent aussi un intérêt accru dans le monde, comme en témoigne l’Oscar de Chihiro et le succès d’Animatrix. Enfin la reconnaissance méritée ?

Oui et non. Si les artistes d'hier méritaient sans aucun doute la reconnaissance (je pense aux "maîtres" Tezuka, Miyazaki, Kawajiri, Takahata, Otomo, RinTaro), ceux d'aujourd'hui ne me semblent pas le mériter. Je pense que le manga à force de s'étendre au grand public et devenir un standard commercial perd peu à peu de son intérêt, de sa force première, qui résidait justement dans sa clandestinité. C'est ainsi pour tous les marchés… La mode tue la passion. L'argent devient maître à la place des idées. C'est principalement ce qui me débecte… et plus particulièrement chez les Japonais. Heureusement que des Ovnis de la nouvelle génération tel que Satoshi Kon ou encore Hashimoto, Urasawa, Koike, Togashi existent…

Mais si le manga et l'animation japonaise étaient "clandestins" en France il y a encore quelques années ce n'était pas le cas au Japon où depuis longtemps ce sont des industries lucratives et orientées vers l'exploitation d'un marché de masse ... Ne se pourrait-il pas que ce soit là une évolution logique en France, en regard de la popularité croissante de ces médias, que de voir une véritable industrie locale, pour le meilleur comme le pire, se structurer ?

Peu m'importe. Je garderai toujours un regard de "fan" sur la chose. L'industrie a pratiquement défiguré mon autre passion, le jeu vidéo. Je ne souhaite pas assister une nouvelle fois à l'émergence de la fin d'un univers qui me permettait il y a encore quelques années d'avoir les yeux brillants.

Otaku n°9
Pour en revenir à Otaku, il me semble que le magazine était passé mensuel pendant un moment... Pourquoi être redevenu bimestriel et comptez-vous revenir à un rythme de parution mensuel ?
Absolument pas. Otaku a toujours été un bimestriel pour nombre de raisons qui me sont propre et qu'il est inutile de dévoiler ici. Du moins je le pense.
Ok... J’ai cru... mais bon je n’ai pas les "fiches" de Delarue aussi... Tout comme l’offre des éditeurs animes/manga s’intensifie, on n'a jamais vu autant de magazines spécialisés fleurir autour de ce marché où la concurrence est également rude (voir le cas Japan Mania)... Comment analyses-tu ce phénomène et de quelle façon Otaku y trouve sa place selon toi ?
C'est une bonne et mauvaise chose. D'un côté, il y a la référence depuis un grand nombre d'années : Animeland. Lorsque j'ai projeté de faire Otaku, je ne souhaitais pas me confronter à ce magazine car je pense qu'il a une réelle réputation et puis, il est là depuis plus de dix ans. De l'autre, on a des magazines aux concepts intéressants mais qui font tout et n'importe quoi. Il ne faut pas confondre les Français et les Japonais. Je pense ne pas trop m'avancer en disant qu'un magazine dédié au visual, c'est du suicide… purement et simplement. D'autre part, les magazines qui souhaitent donner dans le hardcore se retrouvent rapidement confrontés à un manque de lectorat : 1) Les spécialistes et autres otakus ne lisent pas des magazines car ils les snobent. Ils préfèrent se réunir entre " gens de leur niveaux " sur des newsgroups. 2) Lorsque l'on souhaite faire trop hardcore, on perd d'une part son cœur de cible et d'autre part, on oublie le grand public… ce qui reste une énorme erreur sachant qu'il peut rapporter des ventes en plus. Je ne te parle pas des magazines arrivés après Otaku et qui ont souhaité copier le concept "culturel" comme Japan Mania… je trouve la démarche manquant de création personnelle et d'ambition. En revanche, l'idée de lancer des prépublications dans Coyote Mag est une bonne idée. Je leur laisse volontiers ! Otaku n'est pas un magazine exceptionnel. Il est fait par des gens passionnés par le Japon mais qui ne sont pas aveugles. Otaku est un magazine qui veut donner envie, qui veut partager des émotions avec les gens. Il est simple, hardcore mais pas trop, et offre suffisamment de notions culturelles de "base" sans toutefois prendre le lecteur de haut et je pense que c'est ce qui fait sa principale force. De plus, c'est le deuxième "vrai" magazine "professionnel" sorti (après Animeland cela va de soi) et le premier à avoir proposé un contenu visuel sur un CD, offert avec.
Tu as également été rédacteur en chef de Anima, un magazine qui ne traitait pas uniquement d’animation japonaise, pourquoi sa publication s’est-elle interrompue... faute d’avoir trouvé ses lecteurs et/ou victime de la multiplication des titres ?

Je suis heureux de t'apprendre qu'Anima a survécu malgré tout et que le prochain numéro sort fin octobre/début novembre. Trois raisons à l'interruption : 1) Il ne vendait pas. Je pense m'être trompé de concept ou avoir proposé quelque chose de beaucoup trop profond sur l'animation hors Japonaise. Comme Yvan West Laurence, je tiens à partager ma passion pour l'animation en général et éviter de faire des couvertures toujours basées sur l'univers manga pour vendre. J'ai pris la lourde décision d'éviter d'avoir du JAP sur la couverture pour faire un test. Je me suis planté (rires !). 2) L'animation n'intéresse personne. Le dernier Disney, à notre époque tout le monde s'en balance. L'évolution a été trop rapide pour moi, visiblement (rires !). 3) Il est évident que la multiplication des titres en kiosque fait du mal, et à Otaku -bien qu'il se porte comme un charme- et à Anima. Le problème lorsque tu veux faire de la qualité et du culturel et éviter au plus possible de tomber dans une vulgarisation commerciale quelconque, c'est que tu prends des risques. C'est du pile ou face. Le nouveau numéro teste une nouvelle formule qui ne trahit en rien ce que je pense, nous verrons ce qu'il en adviendra mais il est clair que si cela ne marche pas, j'arrête : trop de soucis, de temps, d'argent et de week-ends sacrifiés à la réflexion.

D’autres projets autours du manga et de l’animation asiatique pour le futur ?

C'est avec un certain soulagement aujourd'hui après tant d'échecs, de mauvaises surprises et de déceptions que je t'avoue : aucun. Je vais tout faire en revanche pour qu'Anima soit reconnu comme un magazine de qualité et pour placer la barre plus haut avec Otaku.

Pour conclure, si tu devais citer les œuvres anime et manga à retenir cette année... ?

Rien de spécifique, étrangement. Je suis personnellement attiré par le seinen (ndr : manga pour jeunes adultes) et les films d'animation. La démarche de la série me fatigue rapidement. Pour faire court, disons que je suis amoureux de Millennium Actress de Satoshi Kon mais aussi de Interstella 5555... Matsumoto + Daft Punk, que veux-tu de mieux ?, que j'ai craqué pour Gundam Seed en série TV et que l'œuvre manga la plus ambitieuse et la plus réussie selon moi et sortie cette année en France reste Monster de Urasawa ainsi que Coq de Combat. A part ça, j'ai été véritablement calmé par l'incroyable Mc Dull dans les nuages, un film d'animation HongKongais, et par Mari Iyagi, extrêmement rafraîchissant au même titre que Oseam. J'avoue avoir été impressionné par Wonderful Days. La Corée du Sud, le bourreau latent des Japonais ? A suivre…

date
  • septembre 2003
crédits
Interviews