Interview Julian Lee

Après un premier film qui avait attiré l'attention, Julian Lee revient pour son second long métrage, Night Corridor, un autre projet artistique et indépendant adapté d'une de ses nouvelles. Alain l'a rencontré à Paris pour une longue interview entièrement faite ... en français!

Alain: A la base, qu’est-ce qui vous a poussé à faire des études artistiques en Angleterre ?

Julian : C’était au Royal College Art pendant trois ans jusqu’en 1991 où j’ai obtenu une maîtrise (master degree) en photographie. A ce moment-là, j’étais un peu dans ma tête comme le personnage de Daniel Wu au début de Night Corridor qui attire du monde, aime rester solitaire, est ouvert, y’a trop de choses qui ressortent pas. Et alors c’est pourquoi la photo, c’est quelque chose de sombre, une part ténébreuse de moi. C’est cette partie de ma vie que l’on voit au début du film.

 

Alain : Vous êtes assez polyvalent et travaillez dans de nombreux domaines, est-ce que vous pourriez en parler ?

Julian : Maintenant je suis professeur à la City university de Hong-Kong. C’est bien parce qu’avant je travaillais dans les films et l’écriture. Maintenant, ma vie artistique et ma carrière se mélangent, c’est pourquoi je travaille à mi-temps. Durant cinq ans, je travaillais comme photographe, artiste pour des expositions à Londres, parfois à Paris ou au Portugal, à côté de ça j’étais aussi correspondant pour la BBC à Hong-Kong. En même temps j’écrivais des nouvelles publiées dans le magazine HK « City Magazine » et le journal Ming Pao et après je les rassemblais pour en faire un livre. Mais pour Night corridor, c’est la première fois que j’ai reçu des subventions de la part du HK Art Development Council. A une époque, ils donnaient 5000 $US pour faire un projet donc j’ai eu cette idée de faire Night Corridor un roman de justement 4.000 mots en chinois dans le journal Ming Pao. C’était vraiment bizarre car c’est un rêve, au début c’est un songe à propos de mon frère car je n’ai jamais eu de bonnes relations avec lui. Et alors ça c’était quand j’étais chez Wong Kar-Waï pour faire les photos pour Happy Together. Et alors à ce moment-là, j’étais resté deux mois là-bas pour faire les photos et les traductions : je n’aimais pas beaucoup parce que je trouves que c’est très dur de travailler avec lui, bon ce mec pense pas clair dans sa tête, c’est une autre manière de travailler mais ça m’a fait de l’expérience et il m’a donné deux mois de salaire comme ça pour finir. (ndr : la serveuse arrive pour servir nos glaces et on mange illico, reprise de l’interview plus tard)

Alain : Dans tout ce que vous avez fait dans votre carrière, quel est le métier qui vous a le plus plu ?

Julian : Maintenant, le plus important pour moi c’est d’être cinéaste, pas dans une veine commerciale

 

Alain : A votre poste à l’université, c’est important pour vous la transmission du savoir ?

Julian : Pour de l’argent oui (rires). Mais mes étudiants m’aident beaucoup. Par exemple, pour Night Corridor, je n’avais pas beaucoup de moyens, j’ai donc filmé dans l’université. Je n’avais pas une équipe professionnelle mais j’avais 5-6 assistants réalisateurs bénévoles qui étaient motivés par l’expérience mais peut-être qu’à l’avenir, je voudrais créer un projet culturel ensemble mais faut voir si ça se fera ou pas.

Alain : Est-ce qu’à l’université, il y’a des cours sur le cinéma local, les réalisateurs qui ont marqué le cinéma local ?

Julian : Moi j’ai un diplôme de photographie alors on m’a mis en charge des cours de photos mais je vais quand même essayer de postuler pour donner les cours de réalisation. A Hong-Kong, si tu veux apprendre le cinéma, il n’y a pas beaucoup de possibilités pour apprendre, ça se fait sur le terrain. De plus, l’industrie est vraiment scindée en deux avec d’un côté un cinéma très commercial et de l’autre des gens comme nous les indépendants, le fossé devient toujours plus grand entre ces deux parties. La télé c’est le bizness, maintenant Stanley Kwan travaille pour eux (ndr : Painting Spirit).

 

Alain : Justement, à propos de Stanley Kwan : comment l’avez-vous rencontré pour produire votre premier film The Accident ?
Almen Wong (The Accident - 1999)

Julian : Je l’ai connu par hasard. Je suis un écrivain un peu connu et une fois que je rentrais à HK chez des amis, il y faisait une histoire de mon écriture. Bon, il me trouvait quelque chose d’intéressant. Ils me mettent sur place pour laisser écrire pour présenter au patron. Le projet ne marche pas et bon, je suis un peu déçu mais je travaille déjà pour lui et alors il m’a aidé mais j’ai dis « laisses-moi faire, j’en fais un et tu peux m’aider comme producteur ». Ca c’est une relation qui commençait. Au départ, je l’adore beaucoup comme cinéaste. J’ai écris au moins 40-50 nouvelles en chinois mais je voulais les mettre en image. Quand j’écrivais pour Ming Pao, j’avais déjà des images en tête mais je n’étais pas cinéaste. J’avais déjà voulu faire cinéaste en Angleterre mais je n’avais pas la maîtrise de l’anglais donc j’avais essayé de trouver une star et un scénariste pour le film. Mais j’étais convaincu qu’un jour c’est moi qui tournerais le film et finalement c’est ce qui a donné The Accident

Alain : Comme vous l’admirez aussi, ça me rappelle la première où j’ai vu The Accident, je me suis dit « tiens, ça ressemble à Hold You Tight ».

Julian : Oui, ça m’a reflashé  comme ça mais c’est pas à cause de Stanley Kwan, c’est sans doute parce que nous sommes des directeurs gays hongkongais donc on a une même sensibilité très proche mais surtout moi je suis plus violent et lui est plus subtil, plus féministe, plus idéaliste. Mais c’est vrai que les deux films partage la même mélancolie, le même sentiment d’errance mais les personnages de Stanley Kwan sont toujours des gens très profonds, qui ne parlent pas, qui apparaissent comme victimisés. Pour mon film, le personnage du DJ radio de Night Corridor, quand je l’ai écrit, c’est le visage de quelqu’un que je connaissais à l'adolescence, que j’aimais en secret et qui me refusait. Je ne pense pas que ça soit proche de la personnalité des films de Stanley Kwan parce qu’il a quelqu’un qui écrit avec lui alors que moi je suis écrivain, je connais mes personnages et leur évolution.
 
Alain : Au niveau du casting, il y’a quelque chose qui m’a intéressé, c’est l’usage que vous avez fait d’Almen Wong et Ben Ng. D’abord pour le cas d’Almen Wong, c’était le début de sa carrière, comment s’est-elle retrouvée dans votre film ?
Julian : Je suis très content que quelqu’un ait dit qu’Almen Wong jouait pas mal dans mon film alors que dans les autres films elle jouait mal et ça c’est grâce à Stanley parce que je n’ai pas la bonne technique pour convaincre l’actrice parce qu’il y’avait des scènes de nus et il fallait faire du marchandage. Je ne voulais pas comme ça mais bon, elle voulait être sexy sans rien montrer. Enfin bon, Stanley m’a beaucoup aidé parce qu’à l’époque elle était la chouchoute du patron, sans elle le film ne se serait pas fait.
Alain : Pour Ben Ng, il a beaucoup joué dans films de category 3 ou de triades et au début je ne l’avais pas reconnu dans le film tellement c’était loin de ce qu’il avait pu faire auparavant, il a un vrai rôle de composition à vrai dire : comment vous avez travaillé avec lui ?
Ben Ng (The Accident - 1999)
Julian : Il est vraiment très exigeant, Stanley ne l’aimait pas au début mais il nous contactait pour dire « et pourquoi pas moi ? qu’est-ce qu’il se passe avec le film ? ». Je penseJ’ai revu le film y’a quel qu’il avait vraiment la volonté d’un acteur qui voulait obtenir un breaktrough, il voulait pas rester dans ses rôles habituels. Il voulait changer et il avait ce pouvoir car c’est un vrai acteur comme Eddy Ko ou Kara Hui dans mon autre film, ça c’est un avantage et je penses que motivation est la chose la plus importante. Pour ce type d’acteur, je ne peux rien donner, j’avais même moins d’expérience que lui. « Qu’est-ce je pourrais faire avec des acteurs comme ça pour le convaincre ? ». Mais il voulait son breaktrough et aller toujours plus loin, c’est une motivation égoïste dans le fond car il faut aller avec lui, aller dans son sens, lui laisser faire son plus : ça avec Almen Wong ça marche pas beaucoup parce qu’elle est entourée, c’est pas comme le film « Irréversible » avec Monica Belluci où elle a tout fait. C’est d’ailleurs un des problèmes de The Accident, c’est que le côté gay est très violent tandis que les femmes… Ca c’est l’hypocrisie chinoise, la moralité locale, c’est qu’en faisant ce type de scènes, tu n’es pas une bonne femme et tu t’attires des mauvais ragots après mais avec Almen j’aurais voulu l’encourager dans cette direction.
Alain : J’ai revu le film y’a quelques jours et ce que je n’avais pas remarqué la première fois, c’est Joey Yung qui apparaît en guest-star. Etant devenu fan d’elle je me suis dit que c’était assez bizarre de la retrouver dans ce film.
Julian : Ah oui, le patron voulait qu’elle fasse une apparition dans le film et je l’ai laissé faire. Après, je pense que si je lui avais fait joué le rôle tenu par Gigi Lai peut-être que ça aurait plus coïncider avec le film, je sais pas. Mais en ce moment là, je n’avais pas découvert son talent et c’est dommage. C’était son premier film mais elle n’y fait absolument rien.
 
Alain : D’une façon plus thématique, vous aviez dit avoir certains thèmes en commun avec Stanley Kwan mais justement quelle est pour vous la thématique de The Accident et quel regard portez-vous sur vos personnages ?
Julian : J’écris beaucoup de romans. Un thème qui revient, c’est l’errance, la mélancolie, le fait d’être perdu dans une ville ou un monde moderne sans communications. Un autre thème, c’est le tabou, les fantasmes. Il y’a deux facettes de moi : un côté qui est plus subtil, plus raffiné  et l’autre qui exprime la colère, la rage. Mais en Chine, c’est plus difficile de faire ce type de films, Stanley Kwan y arrive car il fait des films très artistiques très long, très joli. D’ailleurs un critique a dit à propos de Night Corridor que cela révélait le vrai Julian Lee, que c’était plus culte, underground, noir, gothique dans la lignée des giallos comme ceux de Dario Argento. Enfin bon, j’ai écrit beaucoup de livres et ce ne sont que deux adaptations au grand écran parmi une cinquantaine d’adaptations potentielles de mes écrits ce qui fait que je peux avoir beaucoup de diversité. Donc si l’un ne marche pas en tant que projet, je peux toujours en choisir un autre et puis, je n’aime pas me répéter. Mon premier métrage était sur la mélancolie, le deuxième sur le fantastique, pour le troisième je ne sais pas encore. Mais une chose commune, c’est un thème gay dans les films qui est réprimé et aussi des couleurs très riches, très sombres. Je n’aime pas faire des choses légères, je préfère la décadence.
Alain : Pour en revenir à ce que vous avez dit sur Almen Wong, il y’a une contradiction dans le scénario car la relation entre Gigi Lai et Patrick Tse reste très platonique à l’écran alors que vous dites avoir un côté très explicite.
Julian : Dans le roman, c’était effectivement plus sexué. Par après j’ai pensé qu’elle pouvait se faire violer par le pilote ce qui change sa vie par après, il y’a beaucoup de voies possibles. Mais bon, Gigi Lai était très bonne pour jouer le rôle mais le problème, c’est qu’elle n’était pas vraiment à l’aise avec Patrick Tse. C’est difficile de jouer avec une vedette qui est dans le cinéma depuis plus de vingt ans et qui n’a jamais vraiment changé sa façon de jouer. Longtemps après la sortie du film, ce qui a le plus impressionné les gens, c’est le côté gay.
Alain : Mouis enfin pour nous les occidentaux, ce côté gay ne nous surprend plus depuis longtemps. On aurait plus tendance à retenir les sentiments entre les personnages que leur orientation sexuelle.
Gigi Lai (The Accident - 1999)
Julian : Beaucoup de gens aimeraient faire la comparaison avec Happy Together et dire « ah ça fait plus vrai, c’est plus fort ». Happy Together c’est comme un petit jeu entre des enfants. Ca c’est un bon complément mais ce n’est pas parfait car mon film n’est pas équilibré. Pour mon premier film, j’ai eu des difficultés à équilibrer chaque élément et ça c’est pas facile parce que je n’avais pas vraiment beaucoup de pouvoir pour dire oui ou non. C’est le patron qui décide beaucoup, même Stanley m’a aidé en me disant « Il faut couper comme ça, etc », c’est toujours le problème quand on fait un premier film. Mais le plus important pour moi, c’était de passer d’écrivain à cinéaste et de pouvoir dire « voilà je l’ai fait, j’ai réussi ». Pour mon deuxième film, j’ai eu plus de pouvoir.
 
Alain : Pour finir sur The Accident, il y’a une courte séquence qui a marqué quelques personnes, c’est celle en milieu de film où un couple anonyme se crashe en moto. Vous pourriez en parler ?
Julian : Ca n’a pas vraiment été bien tourné parce que le sens de cette séquence s’est perdu lors de sa transposition à l’écran, c’est ça l’accident en lui-même. Si je devais la refaire ce serait mieux mais au niveau du sens, j’ai écrit le livre il y’a trop longtemps pour m’en souvenir. Le problème de The Accident, c’est qu’il y’a beaucoup d’idées intéressantes dans le film mais elles ne collent pas entre elles car j’ai coupé des choses. Avec Night Corridor, j’ai aussi coupé beaucoup de scènes. Pour moi The Accident remonte à quatre ans ce qui est très loin, de fait tu y penses plus que moi. La dernière fois que j’ai revu le film, il y’avait trois choses importantes pour moi : un, j’ai réussi à changer mon identité d’écrivain pour celle de cinéaste. Deuxième chose, c’est qu’en tant que cinéaste j’ai quelque chose à dire et qui est différent par rapport aux points de vue et personnalités déjà existantes, par exemple dans Night Corridor, ce n’est pas la ville de Hong-Kong telle que tu la connais, j’essaye d’innover et je pense que ça me rend utile. La dernière chose, c’est que maintenant avec mes deux films, j’ai trouvé la motivation pour continuer dans cette voie là, maintenant je n’écris plus beaucoup, je me focalise sur l’adaptation.
 

Alain : Maintenant pour passer à Night Corridor : est-ce que c’est Daniel Wu qui est venu à vous ou est-ce que c’est vous qui êtes venu à lui ?

Julian : Je voulais que Daniel joue le rôle principal qui est un personnage un peu auto-biographique. Je ne voulais personne d’autre parce que c’est un joli garçon mais je le voulais un peu plus violent. Un peu comme quelqu’un qui est très introverti mais qui parfois peut exploser, je voulais cet effet de soudaineté comme dans le bouquin. Au départ, l’argent du film venait de subventions du gouvernement, je parlais avec Stanley Kwan qui voulait bien produire mon deuxième film et aussi m’amener Daniel sur le projet. Daniel aimait bien faire le film mais le problème, c’était l’argent, je devais au moins attendre cinq mois pour avoir l’argent. C’était compliqué d’obtenir un financement parce qu’à HK, il y’a beaucoup d’hypocrites.

Photo de promo pour Night Corridor

Alain : Par la suite, Daniel est devenu producteur du film : n’avez-vous pas eu peur qu’il puisse s’octroyer trop de pouvoir quant aux décisions sur le film vu que l’un de ses projets est de devenir réalisateur?

Julian : Il n’est pas encore prêt pour devenir réalisateur. En fait, je l’ai laissé devenir co-producteur car ainsi, il s’impliquait encore davantage dans le projet et il a aidé beaucoup dans ce sens parce que comme il veut être réalisateur il voulait voir un peu plus en profondeur comment fonctionnait le bizness. Il m’a trouvé la musique du film et ainsi a fait de publicité nécessaire pour le film. Aussi, ça lui redonnait confiance car il ne trouvait pas de boulot, de salaire : ça donnait des avantages aussi bien pour lui que pour moi, il aimait faire ça et surtout il m’a aidé plus que n’importe quelle vedette. C’était un « win-win situation ».

Alain : J’adores Kara Hui Ying-Hung depuis sa période Shaw Brothers mais je sais que vous l’avez casté après l’avoir vu dans Visible Secret où elle avait un petit rôle, vous ne connaissiez pas carrière antérieure ?

Relecture du script

Julian : Non, pas du tout. Mais en fait elle n’était pas mon premier choix mais elle joue tellement bien et dégage une certaine violence. On n’est pas vraiment proche mais avec une actrice comme elle, le travail est beaucoup plus facile. Le script de ses dialogues n’est pas très bien fait parce que je ne suis pas doué à ce niveau mais à chaque fois, l’assistant-réalisateur disait « voilà, Julian voudrait que tu exprimes ça et blablabla ». Après, elle y réfléchit pour jouer à l’aise face à la caméra. Ces trois là justement, avec aussi Eddy Ko et Kuk Fung, elle vient d’une génération antérieure, de la Shaw Brothers et ils ont vraiment faciles à jouer leurs rôles, c’était bien plus simple que pour The Accident. Au début, on doit donner nos indications mais après elle va assimiler tout ça et donner son interprétation et tant pis si on n’aime pas. De toutes façons, je trouve que c’est meilleur de dire comment jouer le rôle mais ce qui est tout aussi intéressant c’est quand un interprète rentre dans son personnage, et une fois qu’il est rentré, le personnage est là : c’est parfait et il ne faut plsu expliquer grand-chose.

Alain : A la vision de Night Corridor, on pourrait dire qu’il n’est pas du tout hongkongais, de fait on peut s’interroger sur votre identité géo-culturelle et est-ce que vous penser que cette identité a une répercussion sur votre film ?

Julian : En fait, c’est un film un peu politique. A vrai dire je suis anglais car à l‘époque j’avais obtenu un passeport anglais et après des cours en langues, j’ai changé mon identité en tant qu’anglais, européen et alors j’ai toujours cette angoisse avec la Chine. Dans le film, le diable retient le passeport anglais de Daniel Wu, le diable c’est la Chine : c’est assez subtil et c’est seulement une interprétation. Le sous-titre du roman dit que c’est post-colonial, après la rétrocession. Au début, la bibliothèque qui se trouve dans le film, c’étaient des anglais coloniaux qui faisaient des bals mais maintenant, c’est déserté, c’est un coin perdu à Hong-Kong. J’ai grandi avec la religion catholique et il y’a assez bien d’églises catholiques à Hong-Kong. Ce que j’ai essayé de faire, c’est de retrouver un Hong-Kong colonial, de rechercher le temps perdu. Ca a vraiment changé depuis le retour à la Chine…

Alain : Avec toutes ces influences typiquement européennes, quelle serait votre principale inspiration au niveau visuel pour le film ?

Julian Lee et Daniel Wu
travaillant au moniteur

Julian : C’est surtout une inspiration qui vient de la peinture, c’est un art très riche en Europe avec des peintres comme Velasquez, les peintres hollandais ou encore Fuseli dont l’un des tableaux qui s'appelle Nightmare fait partie de l’histoire du film. Ca c’était un grande influence parce que j’étais artiste avant. Maintenant pour le cinéma, je ne citerais pas Dario Argento parce que j’ai vu peu de films de lui mais je me suis un peu inspiré du kitsch catholique et aussi de David Lynch et Roman Polanski, le point commun étant un côté noir, la représentation d’un homme victimisé, pris au piège. Quand je tourne, j’ai souvent plein d’influences, pour The Accident par exemple, je pensais à « Eclipse » d’Antonioni, je me souviens d’avoir beaucoup pleuré après avoir vu le film. Quand j’ai écris le roman The Accident, l’histoire se passait en fait à Milan parce que l’Italie c’est mon pays favori.

Night Corridor tient un peu du « Tenant » de Polanski et puis aussi de "Lost Highway" et "Blue Velvet" de David Lynch dont je ne suis pas vraiment amateur mais j’aime le monde qu’il crée, un monde mystique situé entre le vrai et le faux et dans ce monde, les règles du jeu sont totalement différentes et on aime ou on aime pas comme pour Mullholland Drive qui n’est jamais sorti à HK mais ça c’est vraiment ce à quoi je voulais aboutir avec Night Corridor. Quand tu rentres dans Night Corridor, tu rentres dans mon monde, mon rêve. Mais une chose que je n’aime pas chez David Lynch, c’est que même sans avoir vu le film, on est déjà prêt à rentrer dans son univers mais pour moi, les spectateurs chinois ne sont pas habitués à un film surréaliste, car il n'y a aucune tradition de la sorte, il faut convaincre les gens de rentrer dans le film. Pourtant Night Corridor est un film assez accrocheur, les 20 premières minutes c’est comme un labyrinthe où on suit Daniel et c’est assez facile.

Si j’avais eu plus d’argent, j’aurais fait le film plus lent parce que j’aurais pu faire mieux dans l’émotion : j’ai tourné 13 jours et ça suffit pas parce que je jouais entre le fantastique et l’émotion, j’aurais pu mieux développé les personnages. Au début, il y’avait un flash-back entre deux gays et aussi les enfants et leur relation avec leur père. Mais c’était difficile à tourner alors on a tout coupé. On avait déjà fait les castings pour les enfants mais on ne l’a pas fait parce que sinon ça faisait trop biographique avec trop d’histoires et c’était mieux de ne pas le faire. Toujours au début, y ‘avait aussi un singe qui mangeait un cadavre mais on a aussi coupé. Maintenant, si tu me demandais quelle l’influence majeure, je te dirais que c’est un mélange intégra, un mélange de tout.

 

Alain : The Accident (83min) et Night Corridor (74min) sont des films très courts qui font à peu près 70 minutes, est-ce qu’à l’avenir, vous songeriez à faire des films plus longs ?

Julian : Night Corridor est bien plus court que je ne pensais, à la base il y’avait 15-20 minutes de plus mais pratiquement on n’avait pas les moyens pour continuer, les 13 jours de tournage se sont faits durant mes vacances de Noël. Mais évidemment, ce n’est pas la durée qui compte et puis mes films sont adaptés de nouvelles qui sont par définition assez courtes et vu les contraintes budgétaires et de montage, on a pas moyen de faire plus.

Alain : Vous comptez continuer à adapter vos propres histoires?

Julian : La première chose qui décide tout c’est l’argent. Sinon avec mes deux premiers films, je compte en faire un troisième qui soit produit par une grosse compagnie qui ne me créera pas trop de soucis même si faudra sans doute faire des compromis. Maintenant j’ai ce troisième film dans ma tête qui est aussi un de mes romans, une histoire noire dans la veine des films d’Hitchcok où je compte explorer le côté luxueux du personnage, ce n’est pas ce qu’il y’a de plus commercial à Hong-Kong mais j’aimes beaucoup le suspense. Si je n’aboutis à rien avec mon deuxième film, cette histoire à suspense peut marcher même si c’est pas vraiment artistique. Pour mon premier film tu pourrais dire « Oh mon dieu, c’est ennuyeux Julian Lee », pour le deuxième film, t’aimes ou t’aimes pas mais c’est pas ennuyeux. Pour le troisième film, je sais pas encore, je peux avoir deux approches : soit un peu mélancolique, soit un peu mystère, suspense. C’est le monde de Julian Lee qui va être découvert je pense.
Poster original de Night Corridor
Alain : Pour finir : trois mots pour définir votre cinéma ?
Julian : Noir. Parfumé. Humain.

Tous nos remerciements à Julian Lee pour sa disponibilité

date
  • août 2003
crédits
Interviews