Interview KATABUCHI Sunao

En novembre 2007 Sunao KATABUCHI était l'invité de la Fête de l'Animation de Lille. L'occasion d'avoir un entretien avec le réalisateur qui sortait d'une période de diète artistique et retrouvait enfin le chemin de la réalisation avec la commande de l'adaptation, en série animée, du manga Black Lagoon. Mai Mai Miracle n'en était encore qu'à l'état de storyboard - que Mr. Katabuchi avait avec lui et présentait avec enthousiasme - mais semblait définitivement parti pour se faire. Enfin une opportunité pour l'ancien collaborateur de MIYAZAKI Hayao,également vétéran du studio 4°C, de renouer avec le fil de sa carrière. Et c'est sur cette dernière que se concentre cette interview.

Vous avez commencé votre carrière en tant que scénariste sur la série Sherlock Holmes, et vous avez en particulier scénarisé presque tous les épisodes réalisés par Hayao Miyazaki, quels souvenirs gardez-vous de cette période ?

Vous savez à l'époque j'étais particulièrement fan de la précédente série réalisée par Hayao Miyazaki, Conan Fils du Futur, une série que j'appréciais énormément. Et à l'époque, si on se rendait dans les studios comme ceux de Nippon Animation à Tokyo, où était réalisée cette série par exemple, il y avait la possibilité d'acquérir les storyboards moyennant finance. Je mettais donc de l'argent de côté en faisant des petits boulots et j'allais acheter des storyboards de Conan Fils du Futur. J'en ai ainsi accumulé un certain nombre que j'ai étudié de très près, de façon très précise. Ainsi, lorsque je me suis retrouvé au studio Telecom à travailler avec Mr Miyazaki sur le projet de Sherlock Holmes, j'avais vraiment l'impression d'être dans un cadre familier et pas dans un nouveau cadre de travail.

Et selon quelles modalités plus précises travailliez-vous avec Mr Miyazaki sur Sherlock Holmes ?

Pour vous expliquer d'abord le contexte, il faut savoir qu'à l'époque Miyazaki Hayao avait déjà réalisé Le Château de Cagliostro pour le cinéma, et il avait à cette occasion également travaillé avec un scénariste auquel avait été confié le travail d'écriture. Et ayant eu l'occasion de lire ce scénario, je peux dire que c'est un scénario qui ne tenait effectivement pas compte du projet de réalisation de Miyazaki, qui en était d'ailleurs très mécontent. Il se trouve que ce scénariste était un professionnel qui travaillait pour la télévision en particulier, et donc Mr. Miyazaki entretenait une espèce de rogne contre cette catégorie spécifique. Je crois qu'en faisant appel à un étudiant de fac de cinéma, ce que j'étais à l'époque, il recherchait une forme de nouveauté, de fraîcheur, en réaction à cette expérience sur son film précédent. Il a donc contacté un de ses anciens collègues du studio d'animation Toeï qui s'appelle Ikeda Hiroshi, qui était à l'époque enseignant à l'université Nihon où j'étais étudiant, et il lui a demandé de réunir quelques étudiants ayant l'expérience de l'écriture de scénarios car il comptait y choisir son assistant, pour écrire sur sa prochaine série qui était Sherlock Holmes. Mr Ikeda voulait que j'y participe également alors que je n'étais pas en section scénarios, que je n'en avais jamais écris. Mais en réalité, les autres étudiants malgré leur expérience d'écriture pour des drama de télévision ou ce genre de choses, n'étaient pas plus armés pour écrire des histoires de détectives canins. Finalement nous nous sommes retrouvés à 5 ou 6 étudiants et Mr Miyazaki nous a présenté des images boards, des croquis préparatoires de la série et ils nous a demandé, sur cette base, avec ce type de personnage, d'écrire une histoire. Et ce que j'ai écris en réponse à cette demande est devenu l'épisode Le Rubis Bleu qu'il décida de réaliser dans la foulée. Et puis il m'a demandé si j'avais d'autres histoires comme ça que je pourrai écrire et j'ai donc ensuite livré le scénario de l'épisode Le Trésor des Fonds des Mers. J'ai même fait plus qu'écrire des scénarios pour la série à partir de ce moment là, car je me suis également mis à développer le récit d'un point de vue d'ensemble. Et puis comme vous le savez, à un moment donné la production de la série nous a échappé et il y a donc pas mal de choses qu'on avait commencé à préparer, des storyboards et des idées de récits, qui ne virent ainsi jamais le jour...

 Sherlock Holmes Le Château de Cagliostro

En 1989 vous travaillez encore avec Mr Miyazaki au sein de Ghibli, en tant que réalisateur assistant sur Kiki la petite sorcière que vous deviez à l'origine réaliser. Bien que vous-vous soyez déjà pas mal exprimé sur le sujet, pouvez-vous revenir sur cet épisode de votre carrière ?

Après notre travail sur Sherlock Holmes, une fois la production interrompue, j'avais suivi Miyazaki Hayao sur le projet d'adaptation de Little Nemo (1), une co-production avec l'occident basé sur le travail de Winsor McCay. Mais là aussi il avait fini par quitter la production parce qu'il n'estimait pas pouvoir y travailler convenablement. C'est alors qu'il a eu en projet la réalisation du film Nausicaä de la vallée du vent pour lequel il me demanda d'écrire le scénario. Mais je décidai de décliner sa proposition la mort dans l'âme car je pensais alors que Yoshifumi Kondo, compagnon de route de Miyazaki qui avait hérité du projet Little Nemo, avait bien plus besoin de moi étant donné la complexité du travail d'écriture qui s'annonçait vu le matériau adapté. Et au moment du lancement de la production de Laputa, le château dans le ciel, en 1985, la même situation se reproduisit puisque Miyazaki me demanda d'être son assistant réalisateur sur ce film, mais malheureusement le projet Little Nemo n'étant toujours pas arrivé à son terme en raison de nombreuses péripéties, je m'étais vu obligé de refuser une nouvelle fois. En réalité, la plupart des compagnons d'arme de Miyazaki étaient restés sur Little Nemo, et rétrospectivement je pense qu'il s'est retrouvé dans une situation où il devait mener un combat assez solitaire. C'est surtout lui qui avait besoin d'aide finalement et je regrette vraiment de ne pas lui en avoir apporté plus à ce moment là. Toujours est-il que juste après la fin de la production de Mon voisin Totoro, il s'agissait pour Ghibli de lancer un nouveau projet dans la foulée et c'est donc là que Miyazaki est venu me dire que j'allais réaliser ce projet et qu'il s'agissait de Kiki la petite sorcière.

Pourquoi vous ?

Je pense que ce qui a fondé son choix, celui d'avoir recours à mes services pour réaliser ce film, c'est peut-être l'idée d'explorer une réalisation qui conserve quand même une une «couleurs » propre à son travail, à son style, une « patte » à la Miyazaki. Il faut savoir qu'à cette époque ce dernier était dans une période de doute par rapport à son cinéma, à sa façon de réaliser et il avait besoin d'explorer de nouvelles voies, ce qui l'a amené à vouloir se confronter à l'écriture d'un scénario avec celui de Kiki. Ce travail d'écriture a eu impact certain sur Miyazaki, et c'est vrai que ce scénario était différent de ce qu'il avait fait auparavant. Étant lui-même réalisateur dans l'âme plus que producteur, il a eu envie de le réaliser, ce qui du coup nous a ramené à notre ancienne forme de relation de travail. Je l'ai assisté comme à l'époque de Sherlock Holmes, en étant son adjoint à la mise en scène.

Nauiscaa Kiki la petitre sorcière Laputa, le château dans le ciel

La situation ne devait pas être évidente...

Cette situation a été source d'un assez grand dilemme pour moi et j'ai effectivement été confronté à des motivations et à un état d'esprit un peu contradictoires. Il y a avait d'une part la volonté, suite à mes différents refus précédents, de l'aider à mettre en forme ce projet, mais j'étais également animé de l'envie de me lancer moi-même dans la réalisation. Par la suite, après la fin de la production de Kiki, je me suis diversifié dans mes travaux afin d'acquérir de l'expérience, réalisant notamment des storyboards pour Nippon Animation. Et puis j'ai décidé de me doter d'un producteur et je me suis alors tourné vers Tanaka Eiko, qui avait été chargée de production sur Kiki et qui a donc été la première personne à jouer ce rôle pour moi. Elle a ensuite fondée le studio 4°C.

C'est d'ailleurs au sein de 4°C que vous réalisez le film Princesse Arete, un film qui déconstruit le genre du conte merveilleux et fantastique en livrant une histoire à la narration très intime et au ton réaliste, une approche différente de ce qui se faisait habituellement...

Le projet de Princesse Arete a été le premier, tout de suite après la fin de Kiki, à être mis en forme en tant que projet de production. Et je n'ai sans doute pas besoin de vous le préciser, mais après que Miyazaki ait récupéré le poste de réalisation sur Kiki, j'ai été confronté comme à une sorte de mur, à une réalité qui était celle d'un obstacle que je ressentais comme très important. J'avais donc besoin d'un personnage à l'époque qui soit capable de franchir ce type d'obstacle, d'aller de l'avant par rapport à une situation de cet ordre là et c'est ce que j'ai trouvé dans le récit de Princesse Arete, même si pour lui donner forme ça a été un long chemin. On peut d'ailleurs faire un parallèle entre le personnage de Kiki et celui d'Arete : celui du film de Miyazaki a pour qualité particulière par rapport à son entourage d'avoir recours à la magie, alors que celui d'Arete, alors qu'il est dans un univers qui est à la lisière de la magie, va devoir résoudre ses problèmes sans y avoir recours, par ses propres moyens. Il y a donc ce décalage entre ces deux personnages qui reflète un peu toute cette histoire...

Dernièrement vous venez de réaliser au sein de Madhouse les deux saisons de la série TV Black Lagoon, adaptation du manga du même nom de Rei Hiroe. Par rapport à vos précédents travaux vous changez de registre : action, violence...

A la vérité c'était mon intention dès la fin de Princesse Arete de travailler dans un projet avec plein d'armes à feux. C'est d'ailleurs dans le même élan que j'ai travaillé sur les cinématiques du jeu d'action aérien Ace Combat 4. Ces projets correspondaient pour moi à une forme de passage imposé, celui de traiter ce type d'univers. Black Lagoon traite d'une réalité beaucoup plus dure que celle de Kiki. Et puis j'ai aussi perçu dans le manga de Rei Hiroe un peu plus qu'un simple manga d'action, une histoire avec des personnages sombre qui, à l'image de celui féminin de Levy, se traînent un passé sordide. Cette dernière a subi un certains nombre de violences dans sa jeunesse de la part de son père qu'elle finira par tuer. J'évoque de façon indirecte le meurtre de son père dans le générique, avec une scène où on voit les plumes d'un oreiller voler au moment où elle tue son père...Vous savez, j'ai passé un certain temps avec le mangaka afin de discuter avec lui des enjeux sous-terrains de son histoire, tout l'envers du décors que j'ai ensuite essayé de refléter dans l'adaptation animée.

Princesse Arete Black Lagoon Mai Mai Miracle

Une question plus anecdotique : la série comme le manga recèlent pas mal de clins d'oeil au cinéma américains, mais il y a un personnage qui fait lui référence au cinéma d'action HK, c'est celui qui s'appelle Donnie Yen (!!). Pourtant physiquement ce personnage est loin de son modèle réel... ?

(Rires) Et bien c'est un personnage qui est déjà présent dans le manga, il y est mentionné mais n'y apparaît pas. Il n'a donc pas d'apparence graphique précise et pour l'adaptation animée nous avons ainsi décidé de lui donner celle de Mr Maruyama (ndr : fondateur de Madhouse). Plus généralement, nous avions pour ce qui est de la culture américaine un conseiller qui avait aussi travaillé sur le manga. Une jeune femme russe nous a aussi aidé pour tout ce qui est lié à l'ex. armée soviétique dans l'histoire, tout comme les passages en russe.

Comment s'est déroulé votre collaboration avec votre Directeur de l'Animation en chef et ceux s'occupant d'épisodes spécifiques, quelles étaient vos attentes de ce point de vue ?

Les Directeurs d'Animation sur chaque épisode prenaient en charge les corrections sur le mouvement, sur l'acting, tandis que le Directeur de l'Animation générale prenait lui en charge les corrections sur le design. Ce qu'importait avant-tout à mes yeux c'était que l'identité graphique de la série, son unité graphique, passe par le filtre du travail de Masanori Shino, qui occupe donc les postes de Directeur de l'Animation en plus de celui de chara-designer.

Et quel est votre statut aujourd'hui par rapport à des studios comme Madhouse et 4°C ?

Écoutez, ça fait longtemps que je ne suis pas passé à 4°C, mais je crois que je dois toujours avoir un bureau qui m'y attend (rires). Vous savez, que ce soit Mme Tanaka Eiko ou Mr Maruyama, ce sont tous deux des producteurs qui comprennent très bien les animateurs. Pendant les 8 années qu'a duré la production de Princesse Arete par exemple, j'ai fait pas mal de choses pour Madhouse et donc Mr Maruyama a aussi joué un rôle important pour moi. En tant que réalisateur, n'avoir qu'un seul producteur c'est prendre un risque...

Votre prochain projet ?

Un film d'animation qui traite de la relation que les adultes entretiennent avec la sensibilité de l'enfance, la façon dont ils l'accompagnent... Le storyboard est fini et ce sera produit par Madhouse (ndr : Mai Mai Miracle).


Notes :

(1) Little Nemo est une co-production avec les US au développement laborieux débuté au milieu des 80's, qui vit notamment passer Miyazaki et Takahata, leur garde rapprochée également (Ôtsuka Yasuo, Nizo Yamamoto, Kazuhide Tomonaga..., la fine fleur de l'époque...) avant que Kondô Yoshifumi, un de leurs talentueux collaborateurs et pilier plus tard de Ghibli, ne reprenne le projet et en livre un pilote fameux en 1984. Finalement, le projet tel qu'il sera finalisé en 1989 sera bien loin des intentions initiales et après qu'Osamu Dezaki en ait livré un second pilote en 1987, bien moins inspiré que celui de Kondô, le film sera finalement projeté dans les salles en 1989. Reste donc ce fameux pilote qui constitue une magnifique séquence animée et fait regretter que le projet ne soit pas resté sur ces bases. Pilote sur Youtube : http://www.youtube.com/watch?v=fnL-6yLzgWA 

Propos receuillis par Anton GUZMAN en novembre 2007
Interview intialement et partiellement publiée dans Coyote Magazine 25, reporduite ici dans son intégralité.
 

date
  • mai 2010
crédits
  • interprète
  • Ilan NGUYEN
  • interviewer
  • Astec
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