Interview de Yves Montmayeur

Cette interview fut effectuée à l'occasion de la diffusion le 12 février 2009 de Yakuza Eiga sur Arte, un documentaire d'une heure d'Yves Montmayeur dédié aux films de yakuzas.

Le Monsieur s'attaqua au cinéma asiatique le temps de quelques films : In the mood for Doyle, un portrait de 2007 consacré au célèbre chef opérateur de Wong Kar Wai, Christopher Doyle, mais aussi Les enragés du cinéma coréen (2007) ou encore Ghibli et le mystère Miyazaki (2005).

Ce réalisateur souhaite donner l'envie d'affronter la meute tatouée. Nous ne saurions trop vous conseiller également de vous replonger dans les articles de notre camarade Ordell Robbie histoire de vous blinder en la matière, avec le bien nommé Japon : une histoire du yakuza eiga et son complément : Le yakuza eiga : lexiques et ressources.

yakuza eiga

Jamais le cinéma asiatique, en particulier le cinéma japonais, n’aura été aussi accessible que ces derniers temps. D’après vous, comment cette brèche a t'elle pu être possible ? Grâce à qui ? A quoi ?

Concernant le Japon je vois deux raisons évidentes à cela. Mais il y en a certainement d'autres plus souterraines.
D'abord le Japon s'est vraiment plus ouvert vers l'extérieur ces dix dernières années. Economiquement et culturellement.
Il y a eu une vraie prise de conscience chez les japonais de pouvoir partager une partie de leur patrimoine artistique et culturel avec le reste du monde. Pendant longtemps ils ont rechigné à exporter leur oeuvres culturelles sous prétexte que les 'gaijin' ne pouvaient en comprendre leur essence, voire allaient en ternir le sens !
Et ils ont été les premiers surpris de constater que les jeunes du reste du monde étaient sensibles à leur littérature, leur cinéma, et même leurs sacro-saints arts traditionnels. Constatant même que de jeunes européens par exemple connaissaient mieux leur cinéma que ceux de la jeune génération japonaise !
Du coup même les grands studios de cinéma au Japon ouvrent plus volontiers leurs catalogues, et les films indépendants comme les films de majors se donnent à voir dans les festivals, sont édités en dvd ect...
L'idée de patrimoine cinématographique est d'ailleurs une notion très récente au Japon. Et en leur renvoyant une marque d'intérêt sincère pour leurs 'vieux' films, nous les étrangers nous les avons d'une certaine manière aidé à mieux les considérer ! C'est étonnant, non ?
L'autre raison, elle vient de chez nous. Plusieurs distributeurs de films renommés, et de plus en plus d' éditeurs dvd, spécialisés ou non,  ont familiarisé le public cinéphile mais aussi les spectateurs curieux de nouveaux horizons visuels, avec le cinéma asiatique contemporain et aussi des grands classiques toujours invisibles chez nous.
Là il s'agit vraiment de l'initiative de vrais défricheurs et passionnés de cinéma qui se sont lancés dans une opération incroyable de multiples sorties de films asiatiques.
Qu'il s'agisse de joyaux absolus ou de films plus mineurs, l'important c'était de faire découvrir ces cinématographies dans leur ensemble. Et ça ça a été essentiel pour le reconnaissance de ces cinémas 

Ca n’est pas la première fois que vous vantez les mérites du cinéma asiatique à la télévision et j’imagine que ça ne sera pas la dernière. D’où vous vient cette passion ? Quel en a été le déclencheur ? Quel film ? Quel courant ?…

Je me considère comme disait Henri Langlois comme 'un citoyen spectateur'.
Toujours avide de découvrir de nouveaux champs visuels à explorer.
Et comme j'ai travaillé, et travaille toujours dans des magazines TV, ça me donne l'opportunité de répandre le virus (comme le préconisait l'écrivain William Burroughs) parmi les canaux cathodiques ! De l'ex-émission Rive Droite Rive Gauche diffusée par Paris Première, au magazine Tracks sur Arte pour lequel je continue de travailler, j'essaie en effet de mieux faire connaître tout particulièrement ces cinéma d'Asie. En évitant tout de même de pratiquer le grand fourre tout généralisé, mais en donnant plutôt des clés. En restant toujours accessible, règle parfois contraignante de la TV...
Ma passion pour le cinéma japonais ? Elle vient d'abord de la littérature japonaise.
De la lecture des écrits de l'aristo libertaire Mishima, aux polars fantastiques de Rampo Edogawa. Suivi de la découverte des grands maîtres classiques du cinéma nippon en même temps que les films de la nouvelle vague japonaise. Dans le cadre de rétrospectives ou en K7 vidéo.
Mais mon grand choc ça a été la vision des films de Teshigahara Hiroshi et de Kobayashi Masaki à la Cinémathèque Royale de Bruxelles au milieu des années 80 !
Le film de Teshigahara 'La Femme des Sables' notamment m'a complètement bouleversé. ça a été une grande émotion plastique !!
A partir de ce moment là, j'ai essayé de voir tous les films japonais qu'il était possible de voir. Avec une prédilection pour les expérimentaux et les avant- gardistes comme Terayama Shuji ou Wakamatsu Koji.

Un site comme, au hasard, Cinemasie.com, vous a t'il aidé dans votre passion et, aussi (un peu) dans l’élaboration de vos documentaires ?

Comme je suis très curieux, et loin de posséder LA connaissance absolue des cinémas asiatiques, je me rends effectivement régulièrement sur des sites comme Cinemasie.
Pour me replonger dans le bain chaud du ciné asiatique (j'ai peu l'occasion dans les media tv de pouvoir échanger sur le genre...) lire les news, parcourir vos dossiers très bien ficelés et documentés, et parfois me rafraîchir la mémoire grâce aux fiches de films, des réalisateurs. C'est terrible car j'ai de plus en plus de trous de mémoires, alors merci à vos rédacteurs !

A force de mettre en avant les oeuvres des autres, de graviter autour, n’éprouvez-vous pas vous-même l’envie de créer une fiction ? Un scénario, un film ?… Plus globalement : quels sont vos projets après « Yakuza Eiga » ?

Eh bien...non ! Tout simplement parce que j'adore le documentaire !
J'adore les rencontres. J'ai pu approcher des gens remarquables en faisant mes films. Comme dans mon dernier 'Yakuza Eiga', en rencontrant un vrai chef de clan sexagénaire à Osaka, totalement charismatique, comme sorti soudainement d'un film de Fukasaku et planté devant moi en souriant, répondant gentiment à mes questions ! Parfois avec humour (son premier souvenir de film yakuza ? 'un film avec Jean Gabin !)
Et puis j'ai aussi l'ambition de faire des documentaires qui jouent beaucoup sur la confusion des images : où j'essaie de rompre les barrières entre fiction et documentaire, avec des plans filmés qui se mélangent aux vrais extraits de films, et des personnages interviewés qui apparaissent comme de véritables acteurs.
A vous de me dire si c'est pas mégalo, et si ça marche...

La plus vache pour la fin : un fana de cinéma japonais maniaque (pléonasme) attendra, à n’en pas douter, votre documentaire avec circonspection, lui reprochant déjà de ne pas durer les 5 heures minimales nécessaires pour cerner correctement le sujet. Que pourriez-vous donc bien lui dire, à cette personne, pour qu’elle éprouve l’envie de voir votre film ?

Que je suis le premier frustré en tant que spectateur/réalisateur de n'avoir pas pu parler de tout.
D'abord parce que je dois jongler avec la commande- Arte.
C'est à dire que c'est un film qui doit répondre à des règles narratives, et de 'lisibilité' télévisuelle.
J'ai l'obligation de m'adresser à un large public !
Soyons clair, Arte m'a permis de faire un film improbable. Imaginez aujourd'hui de pouvoir faire un film à la télé sur le cinéma yakuza !!!
Mais en même temps, j'ai des engagements. Un 'jingi' cathodique si vous voulez, que je dois respecter.
Bon, ça ne m'empêche tout de même pas de mener le jeu, mais en en limitant les richesses de mes rushes, c'est sûr.
C'est pourquoi je pense un jour faire une version plus 'cinéphile' de 'Yakuza Eiga'. Mais il y a déjà une version plus longue (75mn au lieu de la version de 60mm d'Arte) qui circule dans les Festivals.

Un message à faire passer à celui qui souhaiterait voir ce documentaire ?

Il y a une interview d'une légende vivante, l'acteur hyper charismatique Noboru Ando, ex-chef de gang, qui vaut à elle seule de jeter un oeil sur ce doc, croyez-moi !
date
  • février 2009
crédits
Interviews