Interview MANDA Kunitoshi

                                                             MANDA Kunitoshi au festival Kinotayo, Paris novembre 2008 (photo Sabine HATTA) 

Avant toute chose une question sur votre précédent film inédit en France, Thank You (Arigato, 2006), que pouvez-vous en dire pour le présenter ?

Et bien avant que je n'arrive sur le projet il faut savoir qu'il existait déjà une dizaine de versions du scénario. J'ai donc repris le travail sur cette base avec le producteur du film, Mr SENTO Takenori, le même que pour mon nouveau film, en fait le seul à me produire (rires).

Quels sont vos rapports ?

Lorsque j'étais à l'université je réalisais des films 8mm et à cette époque Mr. SENTO travaillait avec une chaîne satellite qui s'appelle WOWOW. Il était sur un projet qui consistait à faire débuter de jeunes réalisateurs, et comme il avait eu l'occasion de voir certains de mes films il a pensé à moi pour ce projet. On se connaît donc depuis pas mal de temps.

Seppun/Kiss est basé sur une idée que l'on vous a proposé et que vous avez retravaillé, quelles modifications y avez-vous apporté ?

C'est justement Mr. SENTO qui m'a proposé de faire un film sur le mariage dans le milieu carcéral. J'ai donc commencé à écrire le scénario avec ma femme et je dois dire qu'entre la première version du scénario et la dernière, il n'y a finalement pas trop de différences. En réalité, c'est avec le thème du film tel qui nous a été proposé dès le départ qu'il y a une différence. Dès le début, ma femme et moi avons dit à notre producteur qu'il nous semblait difficile de faire un film sur cet unique thème, nous avons donc développé le scénario comme une histoire d'amour.

De quelle façon travaillez-vous avec votre femme, Tamami MANDA, qui est co-scénariste ?

C'est parfois très difficile (rires). La première fois que nous avons travaillé comme ça c'était pour mon film Unloved, que nous avons co-écrit. Avant ça elle n'avait jamais écrit de scénario. Notre collaboration passe par un processus de corrections et de discussions qui n'est pas toujours facile. Elle a par exemple tendance à mettre des dialogues un peu trop long pour le cinéma, ce qui occasione quelques corrections de ma part parfois sources de mésententes...

Vu que Kiss est un film, disons, moyennement bavard, au mieux, peut-on en déduire que vous avez conséquement taillé dans les dialogues de votre femme ?

Si on prend le cas de Unloved, c'est vrai que ma femme avait écrit plus de dialogues que ce qui est resté dans la version finale. Ça a causé pas mal de discussions, voir de disputes entre nous, mais au cours de ces échanges je réalisais aussi qu'elle écrivait de bonnes choses. En réalité j'avais un problème d'ego je pense... Par contre pour Kiss, comme nous avions déjà travaillé ensemble, les choses se sont mieux passées, et puis elle a écrit moins de dialogues pour ce film.

Votre mise en scène dans Kiss est plutôt posée, tranquille, alors que les trois personnages principaux vivent des choses intenses : pourquoi ce rythme ?

Je crois que ce rythme, que cette impression de mise en scène calme vient du fait que la plupart des scènes se déroulent en intérieur, dans la prison. Les personnages sont donc obligés d'être le plus souvent assis, face à face, ce qui a causé quelques problèmes pendant le tournage. Une des solutions était de multiplier les champs contre-champs en évitant d'en abuser pour ne pas rendre le tout trop répétitif. L'objectif était bien entendu de ne pas ennuyer le public, et si le film y réussit c'est aussi grâce au talent des acteurs, en particulier de celui de KOIKE Eiko, l'actrice principale. J'avais l'impression de n'avoir besoin que de la filmer elle pour que le reste tienne.

Comment l'avez-vous choisi d'ailleurs, elle n'avait pas vraiment eu de grands rôles au cinéma auparavant...?

Elle n'avait effectivement eu que des petits rôles au cinéma auparavant, à part des dramas. Mais je trouvais déjà qu'elle avait un bon instinct de jeu et qu'elle serait capable de tenir le rôle principal. Et puis ma femme était aussi allé voir une pièce de théatre dans laquelle elle tenait le rôle principale, déjà aux côtés de NAKAMURA Torû, qui joue le rôle de l'avocat dans Kiss. Elle y était très bien et c'est là que nous avons décidés de lui proposer le rôle de kiyoko et d'en parler à notre producteur.

Comment avez-vous dirigé vos acteurs, aviez-vous besoin de donner beaucoup de consignes par exemple ?

Ça dépend des acteurs. En ce qui concerne KOIKE Eiko, je lui ai donné très peu de consignes, on faisait un essais et en général ça suffisait. Par contre pour les deux acteurs principaux il arrivait qu'il y ait un grand décalage entre ce que j'attendais et leur jeu, je leur demandais alors de corriger cela, d'être plus sobre...

A propos du personnage du tueur, interprété par TOYOKAWA Etsushi, pourquoi le choix de lui faire ressentir une émotion à un moment  avancé dans le film, quand il a des larmes qui lui viennent, il pleure les morts ou il pleure simplement sur son sort ?

C'est vrai qu'au départ il est mutique et ne ressent aucune culpabilité, mais en rencontrant kiyoko il commence à douter... C'est un personnage qui essaye de tuer ses sentiments, mais ceux-ci ressurgissent sans crier gare, comme une réaction physique incontrôlée qui le surprend lui-même. C'est difficile de définir cette larme, on ne peut juste la réduire à des regrets ou des remords, elle est sujette à interprétation.

Le film est sorti au Japon en mars de cette année, quel a été l'accueil ?

Il a eu beaucoup plus de spectateurs que prévu, même si ça reste modeste. Et du côté des critiques, bien que je ne les ai pas lu, il paraît que la prestation de KOIKE Eiko a été plutôt bien saluée, ainsi que celle de TOYOKAWA Etsushi qui avait le rôle du tueur.

Vous avez fait vos classes étant jeune en même temps qu'un réalisateur comme KUROSAWA Kiyoshi, et AOYAMA Shinji a même été assistant réalisateur sur un de vos premiers téléfilms je crois... Exact ?

C'est vrai, il a été mon assistant réalisateur sur une réalisation pour la télévision. Mais vous savez, nous ne sommes pas de la même génération, Mr. AOYAMA est plus jeune que moi. Par contre avec Mr. KUROSAWA nous n'avons qu'un an d'écart et sommes sortis de la même université effectivement. Même si nous ne faisons pas le même genre de cinéma, je crois que nous partageons des objectifs communs en tant que réalisateurs.

Mr. KUROSAWA tourne pas mal, rencontrez-vous des difficultés à monter des projets ?

Et bien je dois avouer que c'est plutôt difficile pour moi de tourner, à part Mr. SENTO, personne ne me propose de films (rires). Après le succès critique d'Unloved, avec un prix à Cannes, je m'attendais à ce que le téléphone sonne, mais finalement rien. Pour moi c'est donc difficile alors que c'est vrai que pour Mrs. KUROSAWA et AOYAMA c'est plus facile.

Votre prochain film, vous avez déjà un projet ?

Pour l'instant rien. Et puis la société de Mr. SENTO qui était le seul à me proposer des films a fait faillite (ndr : il s'agit de la société de production Rumble Fish Inc., déclarée en faillite début novembre 2008 avec plus de 20 millions de dollars de dettes. SENTO Takenori est un des producteurs important du cinéma japonais des deux dernières décennies. Plus de détails dans cet article sur screendaily.com), il avait beaucoup de dettes et c'est actuellement très difficile pour lui. Donc non, je n'ai rien de prévu pour le moment.


Propos recueillis par Anton GUZMAN en novembre 2008
Remerciements à toute l'équipe du festival Kinotayo
Traduction Megumi KOBAYASHI
Photo par Sabine HATTA

date
  • décembre 2008
crédits
Interviews