Entretien avec Simon Yam

De passage à Paris pour le tournage d'une publicité, Simon Yam a pris le temps de répondre à nos questions... L'occasion de discuter notamment de The Sparrow, sa dernière collaboration avec Johnnie To.


Lorsque j’ai vu The Sparrow, je me suis dit qu’il pouvait faire penser à une comédie musicale…

Oui, en effet, et c’est un film léger, plutôt dans la veine des films que faisait Johnnie To avant PTU, Election 1, Election 2, ces films très dramatiques et relativement lourds, avec beaucoup d’armes, beaucoup de violence… Celui-ci est vraiment léger et a un goût très particulier, un goût agréable. J’aime The Sparrow car c’est un film très différent de ce que Johnnie To et moi avons fait ces derniers temps. C’est quelque chose de nouveau… Il n’y a pas d’armes, pas de violence, mais il y a des sourires. Nous avons essayé de nouvelles choses. On retrouve bien entendu des thèmes traditionnels de l’univers de Johnnie To, comme l’esprit d’équipe de PTU. Un film comme Election 1 raconte l’histoire d’un type qui veut devenir le boss, tandis que The Sparrow raconte l’histoire de quatre amis, moi et trois autres types, qui font équipe. On retrouve donc ce thème récurrent : l’importance de l’esprit d’équipe. Nous avons aussi essayé de montrer les vieux immeubles de Hong Kong. Certains de ces immeubles auront disparu d’ici cinq ans, laissant la place à de nouveaux gratte-ciels. On peut donc dire que Hong Kong est une ville très commerciale. Je me suis souvent dit qu’il fallait montrer ces vieux immeubles. Hong Kong est une ville influencée par l’Est et par l’Ouest. Et, d’un côté, nous avons besoin de ces immeubles anciens, mais aussi des nouveaux. Il fallait montrer le personnage qu’est cette ville. Les films ont une ambiance. The Sparrow est un film léger tandis qu’Election est un film plus lourd, avec des gangsters, avec une atmosphère de film de gangsters. Il faut donc des personnages. Et les films de Johnnie To ont toujours leurs propres personnages. Pour ce film, nous avons fait quelque chose de suant, rendant compte de Hong Kong et de ses habitants. Ainsi, dans cinq ans, nous pourrons regarder ce film comme un témoignage. Nous montrons aux gens que ces bâtiments sont vraiment importants pour nous. Et si, dans quelques années, vous voulez voir les anciens immeubles de Hong  Kong… eh bien, regardez The Sparrow ! Je crois que Johnnie To voulait montrer cela. Il y a également l’esprit d’équipe, le fait d’avancer malgré la trahison d’une fille. C’est l’esprit hongkongais. Prenez par exemple le crash financier de 1997, qui a eu un impact énorme, à Singapour comme à Hong Kong, et dans le reste du monde… L’économie se cassait la figure. Pourtant, les gens ont continué à avancer. Aujourd’hui, l’économie est revenue à son meilleur niveau, tout comme l’immobilier. C’est l’esprit de Hong Kong. The Sparrow est un film sur l’esprit d’équipe. Comment continuer à avancer malgré les difficultés ? C’est très important. Je suis très heureux que ce film reflète l’esprit de Hong Kong.


Avez-vous apporté quelque chose de personnel à votre personnage ?

Non, pas vraiment. Je savais ce que j’avais à faire et j’ai tenté de le faire comme un véritable hongkongais. Mon personnage dans The Sparrow a un petit peu le même style de vie que moi. Je veux dire que je suis également quelqu’un qui fait des photos depuis des années, quelqu’un qui peint, vraiment. Et la raison pour laquelle Johnnie m’a mis ce gros appareil photo entre les mains est qu’il voulait que je fasse quelque chose de personnel. Il voulait que je développe le personnage moi-même, de manière naturelle, à partir d’un style de vie sympa, sans prendre les choses trop à cœur. « Tu es trahi par une fille ? Ce n’est pas grave… Continue d’avancer. » Et vous continuez d’avancer. J’adore ce film. C’est totalement différent de PTU, d’Election 1, d’Election 2. Là, les personnages sont tellement heureux… Ce film a un goût agréable, une odeur agréable.


Vous êtes acteur depuis maintenant plus de vingt ans. Si vous jouez aujourd’hui des rôles d’hommes ayant une certaine classe, vous avez, au début de votre carrière, joué dans un grand nombre de films classés Category III. En regardant en arrière, qu’auriez-vous envie de dire sur cette période et sur son éventuel impact sur votre carrière ?

Dans les films classés Category III, il y a vraiment beaucoup de violence, beaucoup de sang… Ces films ont été une étape pour moi. Quand on suit un chemin, on croise tout un tas de pierres, d’obstacles… Ce fut un bon entraînement pour moi.


Un bon entraînement ? Et de bons souvenirs ?

De bons souvenirs, oui. De bons souvenirs et un bon entraînement. Il y avait vraiment beaucoup de violence dans ces films. Je peux vous dire que l’on pouvait à l’époque arracher vos yeux, couper votre langue… Comme ça. Beaucoup de bagarres également. A cette époque, les gens adoraient ça. Mais, aujourd’hui, les gens ne recherchent plus ce genre de films. Ils veulent d’autres films. Dans Election 1, il n’y a pas de sang, pas la moindre scène avec du sang. Dans The Sparrow, il y a une unique goutte de sang, à la toute fin du film. La culture change, les gens changent, le monde entier change. Je suis un acteur et je cherche à me développer en interprétant un maximum de rôles différents. Je saisis toutes les opportunités qui s’offrent à moi. Quel intérêt y aurait-il à systématiquement interpréter les mêmes personnages ? Ce ne serait pas amusant. Il n’y aurait aucun défi. C’est pourquoi, The Sparrow et son unique goutte de sang, j’adore ! Il y a ces vieux immeubles hongkongais, cet esprit d’équipe… Nous sommes quatre types, tous amoureux d’une même fille, tous trahis par elle au dernier moment, mais, finalement, nous restons nous-mêmes. C’est ce que j’aime et c’est la raison pour laquelle j’adore Johnnie, en toute sincérité, du fond du cœur. C’est un excellent réalisateur, qui m’inspire énormément, dans mon jeu d’acteur bien entendu, mais qui me fait également sentir les choses de manière originale. Il y a des réalisateurs que j’apprécie énormément, comme Hou Hsiao-hsien, à Taiwan, ou bien Ringo Lam, ou encore Tsai Ming-liang, à Taiwan également. Ces réalisateurs font ressentir des choses très différentes, avec des odeurs particulières. Chez Johnnie, j’aime l’odeur des personnages, l’odeur du chemin qu’il leur fait emprunter. J’aime chacun de ses films, avec ceux de Ringo Lam. Ils font partie des réalisateurs que j’apprécie le plus.


Est-il vrai que Johnnie To vous fait travailler sans script ?

Il n’y a pas de script, non. Et, personnellement, j’aime cette manière de travailler. J’aime procéder de cette manière. Vous sentez les choses, vous les ressentez, et vous agissez par vous-même. Quand on me propose un script, je le refuse, je réponds que je préfère être confronté et réagir aux situations. Sur le plateau, face à une situation donnée, vous essayez de ressentir les choses, de réagir en étant le personnage, mais aussi en tenant compte de ce que Johnnie veut, en agissant avec votre cœur. Ce qui en résulte est quelque chose de très frais, de très original.


Vous nous avez parlé de divers réalisateurs que vous appréciez particulièrement. Vous avez collaboré avec de nombreux metteurs en scène réputés et avez interprété des personnages extrêmement variés. Quelles sont vos attentes aujourd’hui ? Qu’est-ce qui serait le plus susceptible de vous rendre heureux ?

Je vais vous dire… Peu importe qui est le réalisateur, peu importe quelles sont les personnes avec qui je travaille… Je m’amuse énormément. J’apprécie chaque seconde passée sur le plateau. Bien entendu, je m’amuse encore plus lorsqu’il s’agit d’un tournage de Johnnie To, car nous sommes comme une famille. Sur le plateau, on ne parle pas de la manière d’interpréter les personnages… Nous parlons de voitures, nous parlons de l’économie locale... Quand vous sentez bien les choses, qu’il y a un véritable échange, que les choses se font avec le cœur, je vous garantis que vous obtenez un bon film. Il est inutile de poser des questions. Ne demandez surtout pas au réalisateur ce qui se passera après. Je ne demande jamais à Johnnie ce qui se passera ensuite, jamais. Je crois en lui. Et, ainsi, il croit en moi. Je peux sentir ce qu’il veut. Et il peut sentir ce que je peux faire sur le plateau. C’est très important… Sentir le personnage. Le rendre heureux. C’est tout.


Qu’est-ce qui vous pousse à accepter un projet ?

Dès que l’on me donne le script et que je sens que la combinaison marche, je peux interpréter n’importe quel personnage, quelle que soit son humeur. Sentir le personnage, communiquer en toute sincérité avec le réalisateur, être heureux et profiter, c’est tellement bon.


Quel est votre prochain projet ?

Ah… Je viens de terminer PTU 2, produit par Johnnie To et réalisé par Law Wing Cheong, qui appartient lui aussi à la famille Milkyway. En ce moment, je tourne un film à Shanghai, un film sur Bruce Lee. En juin, j’en tournerai un autre, pendant tout le mois, en Thaïlande. Après, en juillet, je devrais faire un film de Yau Nai-hoi. Ca fera donc quatre films…


Et pas de projets avec Hollywood ?

Pour tout dire, j’ai déjà été approché, avec des grosses sommes d’argent, mais j’ai dit que je préférais PTU. Désolé, je suis quelqu’un qui préfère s’amuser… Je préfère rester près de ma famille. L’argent ne compte pas : je préfère les films à petit budget, comme PTU, les films que l’on fait avec le cœur. Je ne suis pas du genre à aller faire un film à très gros budget. Je m’amuse beaucoup ici.


Quel regard portez-vous sur la jeune génération d’acteurs à Hong Kong ?

Ce qui est vraiment, vraiment grave, c’est qu’ils ne sont pas heureux dans ce qu’ils font, ils ne sont pas heureux en tant qu’acteurs. Pour ma part, je suis heureux en tant qu’acteur. Je pourrais très bien chanter. Mais je ne veux pas. Je préfère me concentrer sur mon interprétation. Je m’amuse en étant acteur. Eux franchissent une ligne et n’apprécient pas ce qu’ils font.


Pourquoi ?

Je ne sais pas pourquoi. Mais, pour ma part, je sais que je veux jouer et je m’amuse beaucoup en étant un acteur. J’apprécie ma vie, j’apprécie d’être un acteur, c’est pourquoi je ne chanterai pas. J’apprécie ce que je fais et je suis heureux ainsi.


Propos recueillis par Aurélien Dirler et Elodie Leroy, à Paris, en mai 2008.
Chaleureux remerciements à Audrey Tazière.
date
  • juin 2008
crédits
Interviews