Interview de Stanley Kwan à Vesoul

Le Festival International du Film Asiatique de Vesoul rend hommage cette année à Stanley Kwan en lui décernant un Cyclo d'Or d'honneur pour l'ensemble de son oeuvre et en lui consacrant une rétrospective complète dans des conditions idéales au Majestic de Vesoul. Grace à l'excellente organisation et la disponibilté de toute l'équipe du festival, Stanley Kwan a eu la grande gentillesse de consacrer une heure de son temps à répondre à mes questions, qu'il trouve ici l'expression de toute ma gratitude. Jeffy


A propos de votre situation actuelle, où en est votre projet de film "Green Mansion" ?


Le projet est mis de coté pour le moment car nous n'arrivons pas à trouver les fonds nécessaires. La situation du cinéma hongkongais est assez délicate actuellement car le marché continental est bien bien supérieur au marché local, en conséquence la plupart des producteurs ciblent le marché chinois. Mais la politique culturelle du gouvernement chinois impose un contrôle sévère des sujets traités. Le sujet de Green Mansion est une histoire d'amour érotique et ce genre de sujet n'est pas politiquement correct. Je travaille en ce moment sur deux autres projets distincts: le premier au long cour, car il y a une question de droits à régler, sur la vie de Bruce Lee. Le second est une comédie musicale romantique sur le script duquel je travaille actuellement. Si tout se passe comme je le souhaite, le tournage pourrait commencer en juin à Bangkok.


Votre principale difficulté est financière, est-ce que malgré les problèmes pour rassembler les fonds nécessaires une diversification des sources de financement ne vous offrirait pas d'avantage de liberté d'expression qu'un producteur unique ou majoritaire?


C'est un cercle vicieux, soit les films hongkongais doivent passer par un financement chinois en respectant les règles du jeu, ou alors le réalisateur choisit de recourir à des financements étrangers mais se ferme complètement le marché chinois. L'équilibre entre les deux est difficile à trouver. Par exemple dans le cas de My Blueberry Nights, Wong Kar-Wai obtenu la diffusion en Chine car le contenu du film est politiquement neutre et qu'il a accepté le doublage en mandarin pendant le tournage. C'était aussi un choix économique de sa part vu l'importance potentielle du marché chinois. Il faut savoir s'adapter pour accèder à ce marché.


Quelle vision avez-vous de l'exil de certains réalisteurs hongkongais avant la rétrocession?


Si l'on trouve des producteurs pour financer, quelque soit le pays c'est bien. Si l'on considère Lou Ye, Suzhou River ou Summer Palace ont été produits avec de l'argent étranger.


Après Colour Blossoms (2004), Yonfan a déclaré ne plus vouloir tourner à Hong-Kong ou en Chine du fait des difficultés qu'il y rencontre. Jusqu'où êtes-vous prêt à aller pour continuer de travailler pour le marché chinois? Et y-a-t-il une limite à partir de laquelle vous choisiriez de vous expatrier pour réaliser vos films?


Au début de ma carrière, j'ai fait des films grand public, je voudrais continuer à tourner pour un large public, mais aussi pouvoir faire des films plus personnels. Tant que j'arriverai à faire les films dont j'ai envie, je ne m'impose pas de limite précise. Si j'accepte des financements étrangers, c'est toujours dans un très petite proportion. Je ne cherche pas à ce que des producteurs hollywoodiens viennent me proposer de faire un film. Certes, j'y réfléchirais peut-être si c'était le cas, mais ce système de production ne laisse généralement pas assez de place au réalisateur à la différence de ce qui existe en Europe et en Chine.


Dans votre filmographie, on pourrait déceler une rupture à partir de votre documentaire Yang ± Yin: Gender in Chinese Cinema (1996), Everlasting Regret (2005) marquant le retour à un certain classissisme. Cette "transgression" post-rétrocession dans votre oeuvre ne fait-elle pas écho dans le contexte de l'époque à ce que d'autres réalisateurs ont exprimé par leur expatriation?


Je crois que mes films constituent le regard d'un hongkongais sur Hong-Kong. Après 1997, il y a eu pour tous les hongkongais un changement dans leur vécu et bien sur cela trouve aussi une traduction dans mes films. Même si Everlasting Regret est un film à grand budget se situant à Shanghai, il n'est pas pour moi en rupture avec mes films précédents. Le personnage principal interprété par Sammi CHENG Sau-Man abandonné par ses amants, représente symboliquement la situation de Hong-Kong. Ce rapport a Hong-Kong peut être retrouvé à travers tous mes films.


Vos personnages sont souvent imprégnés par leur contexte socio-politique et possèdent un lien fort avec leur origine. La perte de ce lien et le déracinement qui en résulte est un paramètre récurrent dans vos films. N'y a-t-il pas là aussi un écho au problème de l'identité hongkongaise?


Ce thème de l'exil est effectivement présent même s'il ne date pas de 1997, mais à débuté avec la signature des accords sinobritaniques en 1984. Il y a eu une première vague de films nostalgiques ou de comédies traitant de la relation d'Hong-Kong à la Chine. Il en est résulté toute une culture de la confusion qui a imprégné le cinéma hongkongais. Après 1997,les changements n'ont pas été imposés d'en-haut mais ont été ressentis concrétement par les hongkongais dans leur vie quotidienne à travers la façon de penser, les détails de la vie, l'échelle des valeurs. Maintenant qu'il faut se tourner vers la Chine pour trouver des financements, on a une sorte de complexe. Alors que le cinéma hongkongais se considérait avant 1997 comme supérieur au cinéma chinois, il nous faut maintenant repenser notre relation à la Chine continentale.


Je désirerais vous poser maintenant des questions plus personnelles si vous le permettez ?


Pas de problème.


Yang+/-Ying peut être décomposé en  deux parties distinctes: un témoignage personnel à propos de votre vécu et la démonstration d'une tolérance traditionnelle de la société chinoise vis-à-vis de la question de l'identité sexuelle. Cela correspond-il à ce que vous vouliez faire passer à travers votre documentaire?


Effectivement, la première partie montre de quelle manière étant enfant je me suis représenté le corps masculin aussi bien dans la vie qu'à travers les films. Historiquement, le statut social des acteurs de l'opéra de Péking était si bas que seul les hommes pouvaient y jouer. De fait, ce travestissement constituait déjà par lui-même une certaine ouverture socialement reconnue. Tout le monde savait que dans ces représentations il y avait une partie sous-jacente érotique. Tout le monde le sait, mais personne ne le dis. Cela devait rester implicite. Dans ce documentaire, je montre que les actrices qu'aimait ma mère constituaient aussi un vrai couple dans la vie et que cela ne posait pas de problème moral. Dans ce contexte c'était perçu comme tout à fait normal. C'est pour cela que j'ai tenu à avoir à la fin du film la conversation avec ma mère, car même si ma mère savait depuis longtemps que j'étais gay, cela restait un non-dit. Yang+/-Ying a été pour moi le moyen d'exprimer avec elle ce non-dit.


Pour illustrer l'émergence de cette question de l'identité sexuelle dans le cinéma chinois contemporain, vous prenez comme exemple Farewell my concubine (1993) et The Wedding Banquet (1993). Il y a eu à Hong-Kong un an après ces deux films, un film très important sur cette question, au moins sur le plan quantitatif compte-tenu de l'audience qu'il a eu à sa sortie en salle, il s'agit de He is a woman, she is a man (1994). Pourquoi n'avez-vous pas mentionné ce film dans votre documentaire?


J'ai choisi Farewell my Concubine à cause de son lien avec l'opéra de Péking, mais je commente le film en le critiquant car de mon point de vue, Zhang Yimou s'est débarrassé du problème de l'histoire d'amour entre les deux acteurs. Dans Wedding Banquet, ce qui est intéressant  c'est le rapport du fils à ses parents et l'écho personnel que cela pouvait avoir pour moi. Par contre, je n'aime pas He is a Woman, She is a Man. Je reproche au film son aspect caricatural qui n'est qu'un retour en arrière du point de vue des mentalités. Leslie Cheung avait participé à l'écriture du scénario, je lui avais demandé pourquoi il avait retenu un personnage aussi stéréotypé pour le rôle du producteur homosexuel interprété par Eric Tsang, et il m'avait répondu qu'il n'y avait pas d'autre moyen pour faire accepter le film sous sa forme de comédie.


Je me doutais que vous n'aimiez pas ce film. Quand on voit le rôle que vous avez donné à Eric TSANG Chi-Wai dans Hold you tight (1998), vous prenez le contre-pied complet de son personnage de He is a Woman, She is a Man en lui confiant un des plus beau rôle de votre film.


Quand on est une minorité, que ce soit minorité sexuelle ou autre, on n'a pas à subir une représentation injuste du simple fait des préjugés.


Pour revenir sur le rôle d'Eric Tsang dans Hold You Tight, sans être le rôle principal, il porte une vraie signification dans ses rapport aux autres. C'est lui qui assure la cohésion du film. Avez-vous investi beaucoup de vous-même dans ce rôle?


Les différents personages du film représentent différentes étapes de ma vie depuis que je suis enfant. Eric Tsang est effectivement le personnage qui me représente le plus. Il fait le choix de rester honnète vis-à-vis de lui-même et des autres. Même s'il n'a pas le rôle principal, c'est lui qui permet de donner un sens au film.


J'aimerais finir par deux questions à propos de Leslie CHEUNG Kwok-Wing. Tout d'abord, dans Rouge (1988) qui lui offre son deuxième grand rôle au cinéma après A Better Tomorrow, il y apparaît pour la première fois de sa carrière avec cette capcité d'expression flugurante de tout son être à travers un regard ou un simple geste. Je voulais savoir comment vous vous y étiez pris pour qu'il exprime cela pour la première fois devant une caméra?


Je connaissais Leslie depuis longtemps, depuis l'époque où j'avais été l'assistant de Patrick Tam sur le tournage de Nomad (1982). Dans Rouge, Leslie a effectivement commencé à changer dans son jeu. Le rôle principal était tenu par Anita MUI Yim-Fong, ils étaient très bon amis dans la vie. Leslie appréciait de ne pas avoir la pression du film sur ses épaules, du coup il était très naturel pendant ce tournage et il a pu prendre son plus beau visage...(rires)


Une dernière question pour finir s'il vous plaît: il avait été question vers 2000, avant le tournage de Lan Yu, que vous refassiez un film avec Leslie Cheung et Anita Mui, pourquoi ce projet n'a-t-il jamais vu le jour?


En fait à l'époque le scénario n'était pas encore achevé et à cela s'ajoutait un problème de financement. Outre Leslie Cheung et Anita Mui, HU Jun aurait aussi du faire parti du casting. Malheureusement le projet n'a pas pu être mis en place avant la mort de Leslie et d'Anita. C'est justement sur ce même scénario de comédie musicale que je travaille aujourd'hui. En fait pour le rôle initialement prévu pour Leslie Cheung, j'aurais voulu trouver un acteur qui ressemblait à 80% à Leslie, mais cela était simplement impossible. Finalement, c'est Aaron Kwok qui jouera ce rôle.


Avez-vous penser à Daniel WU Yin-Cho pour ce rôle?


Impossible, il ne sait pas chanter ni danser... (rires)

date
  • février 2008
crédits
  • interprète
  • Wafa Ghermani
  • interviewer
  • jeffy
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