Entretien avec Wang Quan-an et Yu Nan


Aurélien Dirler : Tout d’abord, pourriez-vous chacun revenir sur votre parcours respectif et sur ce qui vous a amené au cinéma ?


Wang Quan-an : Nos débuts sont assez similaires, puisque nous avons tous les deux fait l’Académie du cinéma de Pékin. J’ai ensuite commencé à travailler à Xian, où l’industrie cinématographique était la plus développée.

Yu Nan : Après mes études secondaires, je me suis rendu compte que j’aimais vraiment le cinéma et la comédie. C’est pourquoi j’ai décidé d’aller étudier à l’Académie du cinéma de Pékin. En troisième année, j’ai rencontré Wang et c’est à partir de là que j’ai commencé à travailler avec lui.


AD : Pourriez-vous revenir sur la naissance de ce projet ? Comment vous est venue l’idée de faire ce film ?


WQA : A travers le cinéma, je voudrais ne raconter que des choses réalistes. J’ai déjà fait un film sur la ville, un sur la campagne, et, là, un film sur les minorités. Ici encore, avec le Mariage de Tuya, je raconte une histoire réaliste. En fait, l’idée de départ m’est venue après avoir vu un reportage à la télévision. Je l’avais trouvé très original et souhaitais donc transposer ce que j’avais vu en tournant ce film.


AD : Dans votre film, le contraste entre ville et campagne est très fort. Les villes semblent manquer d’humanité, tandis que la campagne serait plus accueillante. Pouvez-vous revenir sur ce contraste ?


WQA : Il est vrai qu’en Chine, le contraste entre la ville et les campagnes est très important. Les villes sont beaucoup plus riches et symbolisent la richesse, tandis que les campagnes sont pauvres. Ce contraste existe vraiment en Chine. Je ne souhaitais pas particulièrement parler de la ville en bien ou en mal. Je souhaitais plutôt mettre en évidence ce contraste et le fait qu’il est parfois difficile de s’adapter à la ville. On a parfois du mal à s’habituer. Mais je ne voulais pas donner une vision négative de la ville pour autant.


AD : Le personnage de Tuya fait preuve d’une force assez incroyable par moments. Ce qu’elle dit à son fils quand il lui montre les loups en témoigne assez bien : « N’aies pas peur. S’ils viennent, je les mangerai. » D’où vient la force de ce personnage ?


WQA : Ah, cela vient de mes propres connaissances des mamans et de mon expérience. Les mères sont vraiment les personnages les plus importants. Personne ne peut les remplacer pour protéger les enfants et elles sont indispensables. Une mère serait capable de tout pour ses enfants. Il est en effet courant pour une mère chinoise de dire qu’elle mangerait quelqu’un pour protéger son enfant. Les enfants ont une telle confiance en elles que les mères leur semblent invincibles.


AD : Et vous, comment avez-vous abordé ce personnage si fort ? Tuya semble même bien plus forte que son mari. Pouvez-vous nous parler de votre travail d’actrice pour interpréter ce personnage ?


YN : Dans ces régions-là, il est évident que l’homme est très important. Mais, quand il est invalide, il n’y a pas d’autre choix pour la femme que de reprendre sa place. Pour ma préparer, j’ai vécu durant une assez longue période là-bas, pour m’imprégner. J’ai donc assimilé ces notions et cette façon de vivre, ce qui m’a permis de rentrer dans le rôle assez facilement et de comprendre que, puisque l’homme était invalide, il fallait que je joue son rôle.


AD : Tuya apparaît par moments comme étant immaculée, à l’image de la blancheur de ses dents, qui contraste avec la dureté de l’environnement. Comment l’expliquez-vous ?


WQA : Mais, en Mongolie Intérieure, les gens sont vraiment comme ça. Ils ont les dents très blanches. Ce n’est pas une erreur dans le script ou un détail oublié. Les gens sont vraiment comme ça. Ce que j’aime, dans le personnage de Tuya, c’est qu’il s’agit d’une femme très forte mais qu’elle n’a pas perdu sa féminité pour autant. Elle a un côté amoureuse et coquine malgré tout, et ce, sans le jouer et le montrer de manière manifeste. C’est ce côté féminin que j’adore chez elle. Je pense que si elle apparaît comme étant immaculée, c’est parce qu’elle n’a rien perdu de son côté féminin.


AD : On peut constater que le fait de remporter une récompense dans un grand festival permet à des auteurs chinois tels que Jia Zhangke de s’exprimer beaucoup plus librement. Pour vous, que change cet Ours d’or que vous venez de remporter au festival de Berlin ?


WQA : Remporter un prix dans un grand festival européen est très important, cela aide énormément, tout particulièrement pour notre génération de réalisateurs. Cela nous offre plus de liberté dans la réalisation du film suivant. Et, même si je n’ai pas de problème financier particulier sur mes projets, il est toujours important d’avoir un soutien de plus.


Propos recueillis par Aurélien Dirler le 13 septembre 2007.
Chaleureux remerciements à Mutchi Huynh, Pascal Launay, Kim Ye-jin, Wang Quan-an et Yu Nan.
date
  • septembre 2007
crédits
Interviews